Les commissions de suivi sont sur la sellette alors que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) s’apprêtent à réglementer la rémunération des fonds communs. Une première étude avait braqué les projecteurs sur ce mode de rémunération en juin. Une deuxième publiée en octobre conclut que ces commissions peuvent nuire à la performance des fonds des investisseurs.

En juin, les conclusions du Rapport Brondesbury ont relevé la pertinence de développer de nouvelles pratiques de rémunération en fonds communs. Les chercheurs ont toutefois reconnu manquer de données qui leur auraient permis de comparer le rendement des fonds à rémunération intégrée, à ceux des fonds conçus pour les comptes à honoraires. Les chercheurs de l’Université York les ont obtenues, et ont publié en octobre un rapport de 103 pages qui fait mal paraitre les commissions de suivi et les frais d’acquisition reportés.

Douglas Cumming, titulaire de la chaire de recherche de l’Ontario à la Schulich School of Business de l’Université York, s’est fondé sur une masse sans précédent de données comparatives pour pondre avec son équipe l’étude A Dissection of Mutual Fund Fees, Flows and Performance. Leurs analyses démontrent que les conseillers rémunérés à commission tendent à recommander un fonds commun, peu importe sa performance passée. Une inclinaison qui a un effet négatif sur la performance future de l’investissement de l’épargnant.

La recherche du professeur Cumming fait suite à une revue de la littérature effectuée par le Brondesbury Group, rappellent les ACVM. « Les deux études et les commentaires reçus lors de la consultation précédente comptent parmi les facteurs sur lesquels les ACVM appuieront leur décision d’effectuer ou non certaines modifications réglementaires », dit Louis Morisset, président des ACVM, aussi PDG de l’Autorité des marchés financiers.

Les ACVM gardent toutefois leurs distances. « Nous rappelons aux lecteurs que les points de vue et les opinions exprimés dans le rapport ci-joint sont ceux des auteurs », écrivent-elles. Elles prévoient publier des orientations sur la réglementation de la rémunération des fonds communs au premier trimestre de 2016.

Plus des deux tiers des fonds disséqués

Les chercheurs établissent leurs conclusions sur des données obtenues directement des gestionnaires de fonds communs au Canada. L’échantillon regroupe 43 familles de fonds sur les 113 que comptait le marché canadien à la fin de 2014.

Cela inclut entre autres 66,7 % de l’actif sous gestion des fonds individuels, soit 746 milliards de dollars (G$), sur un total estimé à 1,1 billion de dollars (mille milliards), selon les données de la firme de recherche Investor Economics. L’échantillon des chercheurs inclut aussi 48,6 % de l’actif sous gestion des fonds de fonds, soit 152 G$, sur un total estimé à 295 G$. L’échantillon représente 22 077 codes de fonds inscrits sur le système de transaction FundSERV.

Les chercheurs ont réparti ces données en quatre groupes, selon qu’elles proviennent de fonds de fonds ou de fonds individuels, et selon qu’elles proviennent de fonds qui peuvent ou non être achetés directement du manufacturier. Ils ont aussi analysé les fonds selon leur structure de frais : sans frais (et avec commission de suivi intégrée); avec frais de sortie; avec frais d’entrée négociables (et avec commission de suivi intégrée); avec honoraires.

La comparaison favorise la rémunération à honoraires par rapport à celle par commissions de suivi. La première incite les conseillers à recommander à leurs clients des fonds qui se démarquent du lot, par la performance qu’ils ont réalisée dans le passé. La commission de suivi les incite plutôt à recommander des fonds sans tenir compte de leur performance passée. Les chercheurs définissent la performance comme l’« alpha », soit une mesure qui permet de déterminer si le rendement d’un fonds a été supérieur ou inférieur à celui de son indice de référence, pour une période donnée. Plusieurs manufacturiers la définissent comme le rendement ajusté au risque.

Les entrées de fonds (ventes nettes) ne mentent pas. Généralement, les fonds qui performent le mieux récoltent plus d’actif, a découvert l’équipe du professeur Cumming. Par exemple, l’étude révèle que les fonds de premier quartile gagnent 0,21 % d’actif le mois qui suit. Les fonds de dernier quartile en perdent plutôt 0,02 %, le mois suivant.

Or, cette relation entre bonne performance et accroissement de l’actif tend à s’estomper pour les fonds avec commissions de suivi. Les chercheurs ont remarqué que l’actif afflue davantage dans ces fonds, même lorsque leur performance passée laisse à désirer. Ils font un constat similaire pour les fonds à frais d’acquisition reportés et les fonds vendus par un cabinet affilié.

Les fonds à commissions de suivi de 1,5 % (considérée parmi les plus élevées) voient les flux de ventes mensuelles s’accroitre de 0,3 % de l’actif géré chaque mois, peu importe les rendements antérieurs.

Les fonds à commissions de suivi dont la performance s’était détériorée ont récolté des entrées de fonds de 15 % supérieures à ce qu’elles ont été pour un fonds sans commission. Un autre dont la performance s’améliore récoltera 15 % moins d’actif que sa contrepartie sans commission. En outre, plus la commission de suivi est élevée, plus le seront les entrées nettes, peu importe la performance.

Un fonds vendu dans le cadre de la rémunération à honoraires se comporte tout autrement. S’il passe du premier quartile au dernier, il verra ses entrées de fonds chuter de 0,32 %, précise le rapport. Les entrées dans sa contrepartie à commissions de suivis ne chuteront que de 0,19 %.

La commission peut faire naitre un conflit d’intérêts, suggère en outre le rapport. « Les structures de rémunération en fonds communs peuvent présenter un conflit d’intérêts potentiel lorsque les conseillers sont incités à recommander des produits aux investisseurs pour des raisons qui ne sont pas strictement fondées sur la performance attendue du produit d’investissement. Ce conflit peut survenir lorsque des frais rémunèrent les conseillers et les gestionnaires, sans égard à la performance », peut-on lire dans le rapport.


Un organisme de défense des investisseurs souhaite la disparition des commissions de suivi

Aux antipodes, l’association de protection des investisseurs FAIR-Canada aimerait voir disparaitre les commissions de suivi.

FAIR-Canada milite depuis longtemps pour l’abolition des commissions de suivi. Il réagit positivement aux conclusions de l’étude, mais en donne une toute autre interprétation que celle des manufacturiers.

« Le rapport du professeur Cumming montre que les commissions de suivi influencent l’investissement dans les fonds communs, et cette influence nuit aux investisseurs », clame FAIR-Canada dans un bulletin publié en octobre.

Les ventes de fonds à commissions de suivi qui s’accroissent peu importe la performance passée fait sursauter FAIR-Canada. « C’est une mauvaise chose, car cela indique que stimuler les ventes passe avant les meilleurs intérêts des investisseurs », dit son bulletin.

Il relève l’effet qu’a une augmentation de ces commissions. « L’échantillon indique que 2,5 % des fonds ont augmenté leur commission de suivi de façon permanente. »

Pour ces fonds, la performance a chuté de 32,4 % en moyenne, cite FAIR-Canada. Laisser autre chose que la performance stimuler les investissements vers un fonds rend mois impératif pour ses gestionnaires de bien performer.