Selon le professeur Philippe Gachon, de l’UQAM, le Québec peut créer un système de surveillance et d’alerte pour limiter les dommages causés par le débordement des cours d’eau s’il se dote des moyens adéquats.
En 2017, la débâcle avait été empirée par des précipitations abondantes de pluie durant tout le mois d’avril, rappelle M. Gachon. En 2019, l’épaisseur de neige et la profondeur du gel des sols ont contribué au débordement de certains cours d’eau.
Les travaux du Réseau Inondations Intersectoriel du Québec (RIISQ) ont débuté le 15 avril 2019. Deux jours plus tard, la population de la Beauce avait les pieds dans l’eau, et le 20 avril, c’était au tour des gens de Rigaud.
« Au Québec, on mesure plusieurs éléments, mais on évalue encore l’effet des précipitations en eaux libres, sans considérer l’épaisseur du couvert de glace dans certains cours d’eau ou l’effet du gel des sols », précise le directeur du RIISQ.
Le projet Info-Crues du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) vise justement à créer ce système de surveillance et d’alerte du niveau des cours d’eau. Les connaissances existent aux différents paliers de gouvernement, mais il faut mieux les arrimer, estime M. Gachon.
Avec un système d’alerte et par une meilleure prévention, on peut limiter les dommages, poursuit-il en donnant l’exemple des inondations dans les Alpes maritimes et dans le Var en novembre 2019. L’alerte rouge a été en vigueur durant plusieurs jours. « Il y a eu malheureusement quatre décès, mais le système d’alerte a certainement permis de sauver des vies », dit-il.
L’une des étudiantes du professeur Gachon, Clémence Benoît, a analysé le changement de vocation des zones habitées et les nouvelles infrastructures routières dans le bassin versant de la rivière des Outaouais entre 1990 et 2010. Seulement à Rigaud, la cartographie montre que durant les 20 années précédentes, la couverture végétale a été réduite dans plus de 50 % des zones habitées.
Selon M. Gachon, cet exemple montre qu’il est nécessaire d’augmenter les connaissances sur les processus physiques et les activités humaines de même que sur leur interrelation. « L’Homo sapiens doit réapprendre à mieux vivre ensemble et avec son environnement », dit-il.
Coupes en recherche
Malgré la grande quantité d’information sur la topographie des zones inondables et l’importance des crues, Philippe Gachon souligne que le travail d’analyse prend du temps. Or, les compressions budgétaires imposées aux universités n’aident pas les chercheurs à mener ces analyses.
« On ne règle pas ces problèmes sur le coin d’une table, à la petite semaine. Il faut se donner les moyens de les résoudre à long terme », plaide-t-il.
En situation de pénurie de main-d’œuvre, il faut d’autant mieux coordonner les efforts de chacun. L’information est là, mais elle est compilée de manière sectorielle. « Il faut mettre en place des plans d’action au fur et à mesure que l’on confirme nos conclusions », insiste-t-il.
Philippe Gachon souligne que les travaux de la commission Charbonneau ont permis de documenter les dangers de la collusion en matière d’aménagement du territoire. Les décisions touchant la sécurité civile doivent être prises sur la base des données récentes et des analyses scientifiques, et non pas sur des hypothèses non validées.
« Il y a un choix collectif à faire. On doit mieux comprendre l’ampleur des changements et prendre les moyens en conséquence », dit-il.
Les lacunes dans l’aménagement du territoire se corrigeront à moyen et à long terme, mais entretemps, des choses peuvent être faites rapidement. « C’est pour cela que le RIISQ favorise la recherche en mode multidisciplinaire, avec des juristes, des aménagistes du territoire, des psychologues, etc. », dit-il.
Selon M. Gachon, au Québec, la connaissance scientifique n’est pas toujours valorisée. À l’université de Waterloo, grâce au financement des travaux de recherche fourni notamment par l’assureur Intact, on obtient des résultats probants en matière d’ingénierie des infrastructures, précise-t-il. Les étudiants qui sortent des universités peuvent ensuite utiliser leur expertise dans les municipalités et les organismes publics.
« On a sous-estimé l’impact des compressions budgétaires sur l’expertise dans la fonction publique », déplore-t-il.
Aménagement
Par ailleurs, Philippe Gachon confirme que le gouvernement travaille à modifier le cadre règlementaire touchant le zonage du territoire. Selon lui, le régime de taxation foncière favorise la déresponsabilisation dans certaines municipalités où l’on tolère la construction en zones inondables.
« J’habite dans la vallée du Richelieu, où on a vu des gens se reconstruire des maisons de 2 millions de dollars. Comme c’est le public qui paie, les municipalités autorisent la reconstruction, car ça leur rapporte des revenus », dit-il. La façon d’interrompre ce cercle vicieux est de compenser les autorités municipales qui décident de retirer des zones du territoire habitable pour les vouer à la conservation.
« Il faut arrêter de se battre contre la nature, on sait que les niveaux d’eau vont grimper. Il faut limiter les impacts en amont pour éviter les problèmes en aval », ajoute M. Gachon.
Le Québec a désigné des zones d’intervention spéciale (ZIS) après les inondations de 2019, mais il a plusieurs fois modifié leurs limites pour alléger les impacts dans certaines municipalités. « La cartographie des ZIS avait été faite très rapidement et il y a eu du mécontentement », confirme M. Gachon. Selon lui, il y a eu des améliorations, mais ces efforts relèvent davantage de la gestion de crise que de la prévention des risques.
Modélisation
Philippe Gachon utilise les données d’Environnement Canada pour alimenter un modèle de prévision climatique, afin de suivre l’impact des changements saisonniers sur un large territoire : épaisseur de la neige, couvert de glace, hausse des températures, niveau des précipitations, etc. On veut en arriver à créer un indice de risque des crues. « Ce n’est pas un exercice facile. Chaque rivière se comporte différemment en période de crue », dit-il.
On peut désormais inclure l’effet d’une cellule orageuse, à une échelle très fine, pour suivre l’hydrologie d’un territoire donné. « Il faut partager l’information et l’expertise. C’est l’attitude à prendre en matière de prévention des inondations », conclut le professeur Gachon.