Le Centre d’étude de la pratique d’assurance (CEPA) a annoncé, le 13 décembre, la fermeture prochaine de son portail. Plusieurs raisons expliquent le geste, mais l’une d’elle a pesé très lourd : les assureurs ont signifié à l’organisme leur volonté de cesser de financer son développement.Après six ans de développement et l’injection de 15 M$ dans ce projet, le portail d’assurance du CEPA a fait long feu. En ligne depuis moins de six mois, le portail n’a jamais emporté l’adhésion massive des courtiers ontariens. Ce qui a entraîné la désaffection des courtiers québécois envers ce projet qui avait perdu toute crédibilité dans la Belle province.

Lorsqu’il a annoncé la dissolution du projet de portail, le conseil d’administration du CEPA a résumé sa décision ainsi : « Le besoin d’une solution d’industrie était beaucoup moins important que par le passé ». L’organisme a aussi évoqué l’émergence de technologies concurrentes, notamment basées sur les normes XML, « qui facilitent les connexions multi-interfaces dans le monde des affaires électroniques de l’industrie de l’assurance ».

Il s’agit presque mot pour mot de la raison évoquée par le directeur général du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ), Hubert Brunet, qui a affirmé en décembre, à nos publications-sœur The Insurance Journal et FlashFinance.ca, que des technologies nouvelles avaient pratiquement signé l’arrêt de mort du portail. Il a aussi ajouté que le portail, des années après son lancement, connaissait encore des ratés. « Nous n’accepterons jamais de lancer le portail du CEPA au Québec parce que c’est une technologie dépassée », avait-il du même souffle tranché.

Plus pertinent

« Nous avons refusé de lancer le portail à notre congrès de 2004 car il n’était pas encore complété, poursuit-il aujourd’hui. Nous étions supposés lancer une version opérationnelle à notre congrès de 2005. Quand ils ont fait leur spectacle, rien n’était prêt. On a ensuite reporté son lancement de six mois. Puis ce fut au début 2006. Personne n’est venu nous faire la démonstration que ça marchait comme on nous l’avait promis. C’est bien simple, nous étions tannés d’attendre. »

Aujourd’hui, M. Brunet se montre conciliant : « C’est certain que cette disparition est regrettable. Après tous les efforts qui ont été mis dans ce projet. C’est déplorable d’avoir travaillé aussi longtemps pour en arriver à ce résultat. Quand j’étais courtier et président du RCCAQ, il y a cinq ans, j’ai fait une tournée provinciale pour vanter les mérites de ce projet. Ensuite, il y a eu report après report. La confiance s’est émiettée. »

Lorsque le CEPA a demandé au RCCAQ de lancer le portail à son congrès de l’an dernier, l’organisme a refusé. M. Brunet soutient toujours que cette technologie n’était pas au point lorsqu’elle fut lancée : « La moitié des assureurs n’étaient pas présents sur le portail, qui n’était, dans les faits, qu’un engin de tarification comparative, dit-il. Nous ne pouvions demander aux courtiers d’endosser cette technologie et d’utiliser CompuQuote, une technologie de tarification comparative établie de longue date, pour obtenir les tarifs des assureurs qui n’étaient pas présents sur le portail. Ce n’était pas très sérieux. Jamais les courtiers n’auraient accepté une telle situation. »

Mauvaise stratégie

M. Brunet refuse de blâmer les assureurs. Ces derniers ont souvent été pointés du doigt pour leur incapacité à s’entendre rapidement sur l’établissement de normes et d’une technologie commune d’échange de données électroniques sur une base sécurisée. « C’est une combinaison de facteurs qui a tué le portail. Une mauvaise stratégie de vente, une technologie qui a fini par être dépassée et un manque de communication entre assureurs, courtiers et fournisseurs de systèmes de gestion de cabinets de courtage », commente M. Brunet.

Le président du CEPA au Québec, le courtier John Morin, président de Morin Elliott et Associés, se déclarait déjà moins optimiste qu’auparavant au sujet du portail, quelques jours avant que l’organisme n’annonce sa fermeture.

M. Morin affirme qu’il a fallu beaucoup d’efforts pour convaincre les assureurs de s’asseoir à une même table et de collaborer pour établir des normes communes. « Les assureurs sont de fiers compétiteurs, ajoute-t-il. Chacun a dû faire son bout de chemin pour se convaincre qu’un protocole commun de transmission de données ne constitue pas un avantage stratégique. Si on va au bout de cette logique, Alexandre Graham Bell n’aurait inventé le téléphone que pour communiquer avec sa femme! »

Il refuse lui aussi d’accuser les assureurs d’avoir causé l’échec du portail. « Dans l’univers de la technologie, si vous prenez trop de retard, vous risquez d’être moins pertinent, dit-il. Tout le monde en est conscient. Dans d’autres industries que l’assurance, des projets similaires ont fonctionné sans attendre les développements technologiques actuels. Pourquoi notre industrie est-elle incapable de faire la même chose? »

Mais, selon lui, le portail n’est pas un échec sur toute la ligne. « Il faut comprendre que le portail n’est pas le seul projet du CEPA. J’ai hâte de voir un jour un article qui fera le bilan des réalisations positives de cet organisme. Car le CEPA a tout de même permis à l’industrie d’établir des normes communes, qui ont énormément simplifié le travail des courtiers. Le fait d’avoir des formulaires uniques constitue un avantage indéniable. Le protocole de taux garanti en est un autre. Ces acquis représentent tout de même la concrétisation d’un consensus. »

John Morin se désole de cette fermeture prévisible depuis des mois : « Je suis là depuis le début, j’ai mis beaucoup de temps dans ce projet. Plusieurs courtiers ont quitté leur bureau et leurs familles pour s’impliquer dans des réunions pendant des années afin de doter notre industrie d’une solution technologique adéquate. Des gens y ont travaillé très fort. »

M. Morin affirme que la décision de cesser de financer le développement du portail fut prise de façon collégiale, tant chez les courtiers que chez les assureurs. Mais les assureurs étaient les principaux contributeurs au projet. Dans un rapport annuel de l’Independant Brokers Association of Ontario (IBAO), publié en septembre dernier, le président de l’organisme, Chris Floyd, avait affirmé que l’engagement des assureurs à appuyer le portail s’était volatilisé.

Des gens amers

Plusieurs personnalités ontariennes de l’industrie se sont d’ailleurs dites frustrées et déçues par cette fermeture. Notamment parce que le portail ne s’est jamais rendu à l’étape de l’obtention d’une connectivité sécurisée entre ordinateurs de cabinet de courtage et ordinateurs d’assureurs (single sign on).

Hubert Brunet reconnaît que ses commentaires, relayés dans nos pages le mois dernier, ont créé de l’amertume dans le reste du pays. « Je soutiens que la stratégie de développement et, surtout, de déploiement du portail n’était pas la bonne, dit-il. Et je maintiens encore que la décision de l’IBAO fut une erreur. Ils n’auraient pas dû lancer le portail en Ontario alors que cette technologie n’est pas encore au point.

Rappelons que cet organisme s’est réjoui du haut taux d’adhésion de ses membres au portail. Un peu plus de 30% des membres (241 courtiers en octobre dernier) s’étaient inscrits au portail, dépassant l’objectif original de 215. Une donnée inscrite au communiqué de presse de l’IBAO annonçant la fermeture du portail.

Mais, de ce nombre, le CEPA n’a retenu que 186 courtiers à cause de problèmes de connectivité ou de capacité informatique. En bout de ligne, 43 cabinets se servaient du portail de façon régulière. L’IBAO compte plus de 8000 membres.

Dans le même communiqué, IBAO affirme que le portail a tout de même permis de « stimuler la compétition, au point où les courtiers ont aujourd’hui de multiples options, des fonctionnalités et un niveau de service amélioré ».

Du côté des fournisseurs de systèmes de gestion de cabinets de courtage, la nouvelle n’a pas fait de vagues. « Je n’ai qu’un commentaire à vous faire : je ne suis pas surpris de cette annonce, déclare Greg Purdy, chef des opérations de la filiale canadienne de Applied Systems. Nous avions des indications depuis longtemps, au sein de l’industrie, que quelque chose clochait avec ce projet et qu’ils n’atteignaient pas leurs objectifs. »

Chez Technologies Keal, Patrick J. Durepos, président du conseil, tient le même discours. « Nous nous attendions à ce qu’ils prennent cette décision depuis un certain temps, dit-il. Je crois que le CEPA a fait un mauvais choix que en misant sur une première phase de développement de son portail tournée vers la tarification comparative. Ils ont copié une technologie qui existait déjà, celle de CompuQuote, et facturaient plus cher pour le même service. Or, la tarification comparative est une opération qui est reliée aux nouvelles affaires, une activité qui n’accapare que 10% des opérations d’un cabinet de courtage. Les renouvellements et les avenants comptent pour 80% de leur travail. Je crois que le CEPA s’est trompé de cible. »

Chez les fournisseurs basés dans l’ouest du pays, comme la manitobaine Custom Software Solutions, ou PowerSoft, basée à Vancouver, on estime que la fermeture du portail ne changera pas grand chose dans l’industrie de l’assurance par courtage. On y voit même de nouvelles occasions d’affaires. Chez PowerSoft, on se réjouit de la fermeture du portail, parce qu’elle élimine « des incertitudes » pour les fournisseurs de solutions technologiques.

Randy Carroll, directeur des opérations de l’IBAO, Robert Fitzgerald, président du conseil du CEPA et vice-président et chef de l’exploitation chez Aviva, ainsi que David Patrick, chef de la direction du CEPA, n’avaient pas répondu à nos multiples appels avant de mettre sous presse. Aucun assureur contacté par le Journal de l’assurance n’a voulu émettre de commentaire.