Les grossistes contactés par le Journal de l’assurance disent observer une hausse considérable des demandes depuis le début de l’année. Tous expliquent le phénomène par un durcissement du marché.

Sébastien Gabez, directeur financier et vice-président pour le Québec chez APRIL Canada, évalue une hausse des demandes de l’ordre de 20 % à 25 % par rapport à la moyenne habituelle depuis le début de l’année. « Je sens un appétit moindre de la part des assureurs, surtout en assurance des entreprises de masse et dans certaines niches de ce segment », souligne-t-il.

Des assureurs se retirent de certains créneaux, rappelle Guy Boissé, président, ventes et opérations assurances, chez Groupe d’assurance Totten. « Il y a Markel, Economical et d’autres qui sont en réorganisation. On remarque que les assureurs domestiques se réalignent. De plus, 2017 n’a pas été une année payante. Tous les effets que personne n’attendait se font sentir. On a un marché haussier en ce qui concerne les primes », explique-t-il.

Plusieurs comptes dits « faciles » ou traditionnellement souscrits par les assureurs réguliers se retrouvent donc sur les marchés. Pierre Chicoine, président de Profescau, rappelle que les grossistes sont là pour les courtiers. « Au Québec, il y a très peu d’assureurs. La solution facile pour les courtiers qui se retrouvent à devoir magasiner est de faire affaire avec les grossistes. »

Les catastrophes naturelles aussi en cause

M. Chicoine ajoute que la détérioration des résultats financiers des assureurs causée par les pertes liées aux catastrophes naturelles les mène à redéfinir leur appétit au risque. « Ils ont perdu de l’argent avec les catastrophes et ne font pas de profit avec les risques réguliers. Pour nous, cela entraine une augmentation de la quantité de demandes. Depuis janvier, nous avons de la difficulté à traiter toutes les demandes et nous voyons que les courtiers cherchent des solutions », remarque-t-il.

« Avec les catastrophes naturelles et la réassurance, les assureurs ont besoin de primes, confirme pour sa part Jean-François Raymond, président de Groupassur. Rien n’indique que le marché va se ramollir, c’est même l’inverse. »

Plusieurs notent que cette tendance pourrait ne pas s’essouffler d’ici la fin de l’année. « Je ne sais pas combien de temps elle va durer, mais je soupçonne qu’elle continuera au moins pour douze mois », estime M. Chicoine.

« C’est dur à prévoir quand le flot de demandes va ralentir, mais le premier trimestre peut être un bon indicatif des suivants. La situation pourrait prendre entre 12 et 18 mois à se calmer », renchérit M. Boissé.

Sébastien Gabez a surtout remarqué les effets de ce durcissement de marché dans le segment d’assurance de véhicules lourds et dans le transport. « Rien qu’au mois d’avril, April a doublé le montant de nouvelles affaires que ce qui est normalement souscrit. Et cela ne compte pas les renouvèlements. » Il souligne que les conditions qui se restreignent, les taux à la hausse et le nombre de plus en plus petit d’assureurs présents dans le marché justifient ces résultats.

Il se réjouit que cette hausse des demandes se traduise par une croissance des affaires. « Nous arrivons à souscrire entre 20 % et 25 % de ces demandes supplémentaires, soit un taux dans les normes de l’industrie. C’est clairement une bonne nouvelle pour nous », dit le CFO d’April.

M. Gabez note toutefois que ce ne sont pas tous les segments en assurance des entreprises qui subissent les effets du durcissement du marché. Il cite en exemple les taxis et les bateaux, notamment.

Somme toute, ces conditions de marché s’annoncent favorables pour les grossistes, dit Johanne Pistagnesi, présidente de Pistagnesi Doyon. « Le resserrement des normes de souscription des assureurs réguliers a été bénéfique en 2017 et continuera de l’être en 2018. »

Shirley Gauthier, directrice pour le Québec de Premier Canada, et Pierre Chicoine ont également affirmé que des évènements à Londres ont affecté les marchés de Lloyd’s. « Les contrats d’agence et les capacités venant de Londres ont été plus difficiles pour certains », remarque Mme Gauthier. M. Chicoine ajoute que les syndicats ont aussi vu leurs profits descendre.

Rare main-d’œuvre

Certains grossistes peinent à répondre à ce flux de demandes. « Nous sommes des boites avec quelques employés seulement, contrairement aux assureurs qui peuvent en compter des centaines. On ne peut pas traiter cet afflux de nouvelles demandes. On donne donc priorité à nos renouvèlements. On reçoit en moyenne une vingtaine de demandes de plus par jour », estime Pierre Chicoine. Dans le cas de Groupe d’assurance Totten, ce chiffre s’élève à une centaine de demandes par jour.

Mme Pistagnesi soulève la même problématique. « Le recrutement demeure un enjeu important. Nos souscripteurs doivent être capables d’analyser les dossiers sans avoir recours à des outils de tarification informatiques comme chez les grands assureurs. »

En revanche, Sébastien Gabez dit qu’April est apte à faire face à cette hausse. « Nous avons une équipe de dix souscripteurs dédiés à l’assurance des entreprises qui est prête à accueillir les demandes. »

« Ce n’est pas une année facile pour personne, tant pour les assureurs que pour les courtiers. On n’a qu’à prendre en exemple la situation en camionnage. Ces derniers doivent davantage magasiner certains risques auparavant placés chez des assureurs réguliers. Les courtiers sont pris entre les assureurs et les clients, qui eux ne comprennent pas forcément la tendance de durcissement de marché. C’est une année de transition pour le courtage », conclut M. Gabez.