L’augmentation des dégâts d’eau au cours des dernières années a incité plusieurs assureurs à revoir leur manière de couvrir ce sinistre dans le contrat d’assurance habitation. Même si aucune compagnie n’a complètement cessé d’offrir cette garantie, c’est une possibilité qui a été évoquée par certaines d’entre elles, révèle une enquête menée par le Journal de l’assurance.Le Journal de l’assurance a sondé les 20 plus grands assureurs de dommages au Québec pour connaitre leurs intentions relativement à la couverture qu’ils offrent en matière de dégâts d’eau. Un peu plus de la moitié ont accepté de répondre à nos questions.

Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) a permis aux assureurs d’amorcer leur réflexion en 2010, lorsqu’il a créé deux avenants scindant la couverture des dommages causés par l’eau. Un premier avenant couvre les dégâts au niveau du sol, comme un refoulement d’égout, et un second peut être offert pour les dommages au-dessus du sol, comme l’infiltration d’eau par le toit.

TD Assurance fait partie des assureurs ayant récemment revu leur garantie sur les dégâts d’eau. Son annonce a d’ailleurs fait grand bruit dans certains médias grand public. Les changements apportés par TD touchent l’infiltration d’eau par la structure de la maison (fondations, toit ou fenêtres). « Nous allons continuer d’offrir une couverture pour les dégâts d’eau, mais nous avons apporté quelques modifications aux types et aux degrés de couverture. Avec l’augmentation des phénomènes climatiques majeurs, nous devons ajuster nos produits d’assurance en conséquence », dit Fiona Hirst, responsable des affaires publiques et internes de TD.

L’assureur a aussi annoncé au Journal de l’assurance son intention de réviser les critères d’admissibilité aux deux avenants liés à l’infiltration d’eau. « Nous voulons permettre à la majorité de nos clients d’acheter des protections selon leurs besoins », précise Mme Hirst.

Du côté de RSA Canada, on dit aussi être en période de réflexion par rapport aux couvertures. « En réponse aux récents sinistres causés par l’eau (inondations à Calgary et Toronto), RSA revoit sa stratégie afin de déterminer ce qui doit changer, particulièrement dans les zones à haut risque. La couverture disponible devra prendre en compte la réalité actuelle tout en demeurant accessible et abordable. Les modifications pourraient toucher les définitions, le montant des franchises, les mesures de prévention requises ou de limites de couverture », a dit au Journal de l’assurance son vice-président, Est du Canada, Glen Bates.

L’assureur révise actuellement le zonage et laisse savoir qu’il aura une meilleure idée des changements à apporter au cours de 2014. « Au Québec, RSA a été historiquement très prudente dans son offre de montants de garantie pour les dégâts d’eau en habitation, dit M. Bates. Nous prévoyons que notre révision de zonage nous permettra d’offrir une meilleure couverture aux clients situés dans les zones à faible risque. Les consommateurs et assureurs devront se concentrer sur les facteurs d’atténuation comme une cartographie des inondations adéquate et les mesures sur la construction et la protection des propriétés individuelles. La prévention est aussi placée en priorité. Nous nous associons avec les courtiers afin de fournir des conseils pour prévenir les dommages importants ».

Henry Blumenthal, vice-président, ventes et service à la clientèle chez belairdirect, dit ne pas être en mode panique sur la question de la couverture des dégâts d’eau. « Il n’y a pas de panique présentement. Nous n’enlevons pas de couverture. Nos clients ont accès aux pleines protections comme dans le passé. On scinde la couverture comme l’industrie le fait », a-t-il expliqué en entrevue au Journal de l’assurance,

Suzanne Michaud, vice-présidente, expérience client pour l’Industrielle Alliance confirme qu’avant les travaux du BAC concernant les dégâts d’eau, il n’y avait pas de limite de couverture dans leur police de base. « Avec ces recommandations, nous avons clarifié les protections comme tout le monde. C’est la même chose en ce qui concerne les refoulements d’égouts. On suit la ligne du BAC. »

La majorité des assureurs questionnés suivent en effet la ligne tracée par le BAC. Pour que la clientèle accepte de tels changements, la conformité de l’industrie aide assurément. « Ce n’est pas toujours évident de prendre ce genre de décision. Nous avons été l’un des derniers à placer certaines limites sur les dégâts d’eau dans le marché. Nous avons donc eu moins de relations publiques à faire », dit Marie-Ève Vézina, directrice du secteur garanties, stratégies, évolution pour Desjardins Assurances.

Infrastructures inappropriées

François Côté, président du Groupe Ledor, se dit moins préoccupé par la question des dégâts d’eau, puisque sa compagnie traite moins avec des clients qui habitent dans des zones à risque. « Nous sommes plus présents en banlieue ou dans les secteurs semi-urbains et ruraux, où les infrastructures sont adéquates », explique-t-il. Il dit être le seul assureur qui offre encore toutes les couvertures dans sa garantie de base. Est-ce que certains clients souscrivent chez Ledor seulement pour cela? « Pas encore… », dit-il.

Les infrastructures font d’ailleurs partie des arguments amenés par les assureurs lorsque le sujet des montants des garanties pour les dégâts d’eau est soulevé. « Il faut suivre la tendance de l’industrie, qui est préoccupée par les changements climatiques, mais il faut aussi regarder la question des infrastructures déficientes », dit Hélène Tremblay, directrice aux normes des assurances et des produits, chez La Capitale assurances générales.

« Il y a des municipalités qui ne sont vraiment pas bien entretenues et les assureurs sont tannés, ajoute Suzanne Michaud, de l’Industrielle Alliance. On entend parler que dans telles municipalités, il y en a certains qui veulent arrêter d’offrir des couvertures. On ne cachera pas que ce sont les dommages par l’eau qui nous font le plus mal. Il n’y a pas de changements prévus cette année dans notre protection, mais il va falloir voir notamment si le gouvernement va nous imposer d’assurer ou si l’industrie va s’autoréguler. »

Mme Michaud ajoute que le virage de densification urbaine n’aide en rien à régler la problématique des dégâts d’eau. « Avec tous ces nouveaux condos, à un endroit où il y avait une maison, maintenant, il y en a trois. De nouveaux facteurs s’ajoutent. C’est certain qu’il n’y avait pas beaucoup de problèmes de lave-vaisselles dans les années 1950 », dit-elle.

Afin d’amoindrir les conséquences de la croissance des sinistres liés aux dégâts d’eau, la prévention demeure chez tous les assureurs une stratégie clé. « On insiste de plus en plus pour que les clients sachent ce qu’ils achètent. On leur explique qu’une équipe d’urgence pour nettoyer, ça peut couter des milliers de dollars, par exemple », explique Henry Blumenthal, de belairdirect.

Il souligne toutefois que pour le commun des mortels, les dégâts d’eau sont encore complexes. « Les gens mélangent inondations, dégâts d’eau et refoulements d’égouts. Nous avons travaillé pour simplifier le langage des polices. Nous croyons que la relation d’affaires passe par l’information. Je crois que nous informons le public correctement. On peut même les aider à remplacer leur chauffe-eau, par exemple », dit-il.

Désarroi face à un dégat d’eau

Marie-Ève Vézina, de Desjardins Assurances, a fait l’exercice de se rendre sur la route avec un expert en sinistres. « Il y a du désarroi lorsqu’il y a de l’eau. Il faut prendre cela en considération lorsqu’on explique les protections aux clients. »

À La Capitale Assurance et services financiers et sa filiale par courtage L’Unique, on dit aussi miser de plus en plus sur la prévention. « Les agents de La Capitale vont toujours parler aux clients des clapets, ou de la durée de vie d’un chauffe-eau ou d’une toiture. On mise énormément sur la sensibilisation. Nous avons un blogue et un magazine publié deux fois par année dans lequel on parle de prévention », dit Hélène Tremblay, de La Capitale.

À noter que les deux assureurs offrent un avenant moins répandu dans l’industrie, c’est-à-dire la couverture bris de l’entrée d’eau. « C’est une couverture plus méconnue, mais il y a une méconnaissance générale sur l’étendue des couvertures, souligne Mme Tremblay. On ne peut pas se porter garant du futur. Aujourd’hui, nous avons une stratégie de couverture complète, mais nous continuons de suivre l’évolution du marché », dit Jean-Philippe Keable, directeur principal, assurances des particuliers de L’Unique.

Henry Blumenthal souligne que l’opinion des clients sur la prévention change, mais petit à petit. « Ils sont de mieux en mieux informés sur leur couverture. Ils sont aussi de plus en plus au courant qu’il y a des dégâts d’eau. Ils savent que la nature se déchaine de plus en plus. On met aussi beaucoup d’information en ligne. Nos clients veulent être informés dans les dossiers de dégâts d’eau. Il faut rendre les choses les plus simples possible », dit-il.

Vice-président et directeur général de la Banque Nationale auto habitation, Denis Blackburn dit lui aussi percevoir un changement dans la perception de la clientèle. « Il y a cinq ans, lorsqu’on parlait de ces risques, l’écoute n’était peut-être pas la même, mais avec des désastres comme celui de Saint-Jean-sur-Richelieu, les gens sont plus sensibles », dit-il.

Communication avec l’assuré

La sensibilisation des consommateurs joue aussi un grand rôle, dit M. Blackburn. « Quand on explique à notre client dans quelle situation ça va le mettre, ça aide à prévenir des sinistres. On entre ainsi en communication avec les assurés et on encourage l’installation d’un système de détection des fuites d’eau », précise-t-il.

Chez Intact Assurance, les courtiers peuvent faire de la prévention via l’outil Mon diagnostic habitation, qui permet d’identifier les points d’amélioration dans la maison dans le but de minimiser les dommages par l’eau. Ils peuvent porter une attention particulière à l’infiltration par les fondations, le remplacement préférable d’un chauffe-eau, la réfection du toit ou la présence d’un clapet antirefoulement, entre autres.

Intact accorde aussi un rabais en fonction de l’état de plusieurs points névralgiques de la maison. « Les assurés qui entretiennent leur maison et qui sont prévoyants sont récompensés avec un rabais additionnel sur leur prime d’assurance. Ce genre de remise est d’ailleurs de plus en plus monnaie courante dans l’industrie », dit Alexandre Royer, porte-parole d’Intact Assurance.

Du côté de Desjardins, on dit être proactifs auprès des clients. « Depuis deux ou trois ans, nous sommes à même de donner des conseils personnalisés. Nous avons par exemple, l’an dernier, créé une vigie météo qui nous permet d’envoyer un courriel aux clients pour les informer d’un redoux qui s’annonce, ou encore pour leur suggérer de déblayer la neige sur leur toit », dit Marie-Ève Vézina.

Chez Wawanesa, on souligne qu’il n’y a pas eu de changements récents sur la portée des limitations et exclusions, hormis la majoration du prix des avenants, en raison des formulaires destinés aux propriétaires-occupants. Cette hausse est attribuable au taux de sinistralité élevé associé à ce segment de son livre d’affaires. « Nous envoyons des préventionnistes inspecter les lieux assurés uniquement lorsque requis. Par contre, comme tout assureur, notre questionnaire comporte des questions sur l’âge des bâtiments et les sinistres antérieurs afin de déterminer l’admissibilité à nos différents contrats et avenants. Notre personnel du service des ventes sensibilise notre clientèle sur les dommages par l’eau et leur prodigue des conseils adaptés à leur situation », explique Maurice Lefrançois, directeur du service des ventes de Wawanesa.