Chaque dollar investi dans l’adaptation et la résilience aux changements climatiques génère de 13 $ à 15 $ en bénéfices directs et indirects. C’est l’une des données les plus frappantes tirées d’un récent rapport publié par l’Institut climatique du Canada

Intitulé « Limiter les dégâts : réduire les coûts des impacts climatiques pour le Canada », ce rapport est le cinquième volet d’une série lancée par l’Institut en décembre 2020 concernant les coûts des changements climatiques. 

Selon Rick Smith, président de l’Institut, « le coût de l’inaction face aux changements climatiques est mesurable et ne cesse d’augmenter. Nous devons mettre en place des mesures d’adaptation et d’atténuation dès maintenant pour éviter de sérieux dommages à notre économie, à notre société et à notre bien-être », lit-on dans le communiqué accompagnant le rapport. 

De son côté, l’économiste principal de l’Institut, Dave Sawyer, souligne que l’économie canadienne paie déjà le prix de la vulnérabilité du pays aux aléas climatiques. « Dès 2025, les dommages réduiront de moitié la croissance économique », dit-il. 

Ce constat est basé sur l’évaluation des dommages liés au climat qui ralentiront la croissance économique de 25 milliards de dollars (G$) en 2025, soit la moitié de la croissance prévue du produit intérieur brut (PIB). 

Des constats 

L’analyse macroéconomique menée par l’Institut lui permet d’établir d’autres constats. Tous les ménages subiront les effets de cette diminution des revenus, mais les ménages les plus pauvres seront davantage affectés. 

Des emplois sont détruits par les changements climatiques. Les finances publiques seront mises à mal par l’augmentation des dommages. 

L’adoption de mesures d’adaptation proactives permettrait de diminuer de moitié les coûts des changements climatiques. Si on conjugue ces efforts à la réduction des émissions à l’échelle mondiale, ces impacts sur le PIB sont réduits de 75 %. 

Lors d’un webinaire tenu à la fin septembre, l’équipe de l’Institut a résumé les deux années de travaux de l’Institut, dont les efforts visent à aider le gouvernement canadien dans la conception de la stratégie nationale d’adaptation. 

À cette occasion, Rick Smith a rappelé que les sinistres majeurs survenus en 2021 en Colombie-Britannique et plus récemment dans les provinces maritimes « ne sont que deux exemples de ce qui nous guette en matière de sévérité des catastrophes naturelles dans les années à venir », dit-il.

Les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent être atteintes, mais le Canada doit aussi se préparer pour les aléas climatiques qui sont déjà plus importants, selon M. Smith. 

Caroline Lee, coauteure du rapport et animatrice du webinaire, souligne que sa famille qui réside à l’Île-du-Prince-Édouard a été privée d’électricité durant six jours à la suite du passage de Fiona. 

En Europe 

Blaz Kurnik, directeur du groupe impacts et adaptation aux changements climatiques de l’Agence européenne pour l’environnement, a abordé les mesures d’adaptation mises en place par l’Union européenne (UE) depuis deux décennies. L’Agence est basée à Copenhague (Danemark). 

L’été 2022 a été marqué par de nombreux épisodes de canicule en Europe et plusieurs records de température ont été battus. 

Entre 1980 et 2020, les dommages directs causés par les catastrophes climatiques sont estimés à 509 milliards d’euros (G€), dont seulement 116 G€ étaient couverts par l’assurance. Les pertes de vies humaines reliées à ces événements sont estimées à 142 101 personnes. « Environ 90 % de ces décès découlent des canicules », souligne M. Kurnik.

L’Agence prévoit que dans le scénario pessimiste de réchauffement des températures, l’impact des feux de forêt dans la deuxième moitié du siècle sera dévastateur dans le nord de l’Europe, comme ils le sont déjà pour les pays plus proches de la Méditerranée. 

Au premier plan, les températures plus élevées nuiront particulièrement à la production agricole, note M. Kurnik. La valeur des fermes dans tous les pays méridionaux ira en diminuant, prévoit l’Agence. 

Les vulnérabilités propres au continent européen ont déjà été l’objet d’un rapport de l’Agence en 2016, et depuis 2021, un index des risques climatiques est mis à jour en temps réel.

Les pays membres de l’UE adoptent à leur rythme leur propre stratégie nationale d’adaptation, mais un tout petit nombre seulement mesurent l’efficacité des approches par des indicateurs. Quelque 150 collectivités, à l’échelle locale ou régionale, participent à un vaste programme de l’UE axé sur la résilience et l’adaptation, doté d’une enveloppe d’un milliard d’euros. 

Impact économique 

Dave Sawyer a ensuite résumé les grandes lignes du rapport de l’Institut. Pour mener son analyse macroéconomique, l’Institut a analysé 16 facettes des effets des changements climatiques susceptibles d’entraîner des conséquences économiques importantes, réparties dans sept catégories : les infrastructures publiques, l’agriculture, la foresterie, le tourisme, la santé, les désastres naturels et les milieux nordiques. Dans le Canada septentrional, le dégel du pergélisol risque de libérer de grandes quantités de méthane emprisonnées dans le sol. 

Quelque 84 scénarios climatiques ont été modélisés sur la période 2015-2095, en limitant le réchauffement des températures moyennes mondiales entre 2 °C et 4 °C. La moitié des scénarios ne comprenait aucune mesure d’adaptation. Les montants ci-dessous sont en dollars de 2015. 

De 25 G$ par année en 2025, la hausse annuelle des coûts passera à 78 G$ pour le scénario modéré et à 101 G$ pour le scénario des émissions élevées en 2050. À la fin du siècle, les estimations des mêmes coûts sont de 391 G$ et de 865 G$ selon le scénario. 

Dans les scénarios de 2050 et de 2095, les coûts dépassent largement la croissance annuelle prévue du PIB. 

Dans aucun des scénarios modélisés, le Canada ne sort gagnant en matière de prospérité économique. En 2050, même dans le scénario modéré, le produit intérieur brut du pays sera affecté négativement par les catastrophes naturelles reliées au climat (-0,81 %), la baisse de productivité due aux canicules (-0,33 %), les décès prématurés (-0,32 %) et les inondations (-0,31 %).

M. Sawyer explique le « sophisme de la vitre cassée ». La réparation et le remplacement de biens dont la durée de vie a été interrompue créent de l’activité économique qui gonfle artificiellement le PIB, mais on omet ainsi le coût d’opportunité.

Ces sommes pourraient plutôt servir à financer de nouvelles activités qui génèrent de la richesse et feraient, à long terme, la prospérité de tout le monde au pays. « Ultimement, ce sont les ménages qui paient pour les vitres brisées », note M. Sawyer. 

Dès 2025, quelque 180 000 emplois sont perdus en raison des coûts reliés au climat. Les pertes grimpent entre 345 000 et 478 000 emplois en 2050.

L’impact sur le PIB par habitant sera important, dès 2050, particulièrement dans les territoires nordiques. L’Alberta est de loin la province qui sera la plus touchée, comme elle l’est déjà par les sinistres climatiques les plus coûteux.

Selon l’Institut, les changements climatiques rendront la vie moins abordable en raison de la diminution des revenus et de l’augmentation des dépenses. Le revenu disponible des ménages sera grignoté par les hausses d’impôt que les gouvernements devront imposer pour compenser les coûts des dommages climatiques. 

Les bénéfices directs que rapporte chaque dollar investi dans l’adaptation sont de 5 $. Ryan Ness, directeur de la recherche en adaptation à l’Institut et coauteur du rapport, explique ensuite l’effet ricochet, ou « machine à boules », de cet investissement dans l’adaptation.

Ces effets indirects, qui sont estimés à 10 $ pour chaque dollar investi, correspondent à ce qu’on évite comme problèmes : perturbation des chaînes d’approvisionnement, baisse de la productivité du travail, pertes de revenu attribuables au retard des transports et à l’endommagement du réseau routier, etc. 

Discussion 

Durant le webinaire, Ryan Ness a animé un atelier auquel participaient notamment Caroline Larrivée, directrice de la programmation scientifique du consortium Ouranos, et Craig Stewart, vice-président du Bureau d’assurance du Canada.

Mme Larrivée reconnaît que l’adaptation est un sujet rébarbatif et semble moins prioritaire que, par exemple, la réduction des émissions de GES. « C’était aussi considéré comme une préoccupation d’ordre environnemental. Or, le rapport de l’Institut confirme que l’adaptation est une nécessité pour l’économie, le bien-être des ménages et la santé des collectivités », ajoute-t-elle. 

La résistance naturelle au changement explique aussi le retard pris à s’engager dans l’adaptation, surtout quand les solutions sont multiples et exigent la contribution de tous les intervenants. La stratégie promise par le gouvernement fédéral devra créer un cadre propice pour établir des priorités d’action et coordonner les efforts, selon Mme Larrivée. 

Chez les assureurs 

Originaire de la Nouvelle-Écosse, Craig Stewart souligne que le récent passage de la tempête Fiona, tout comme les feux de forêt et les inondations en Colombie-Britannique en 2021, montrent que le Canada n’est pas à l’abri des aléas climatiques et n’est pas prêt à les affronter. 

Heureusement, les autorités publiques et le secteur privé ont compris l’urgence d’agir. La stratégie nationale d’adaptation sera bienvenue et il faut réduire plus rapidement les émissions, souligne-t-il. Mais il faut surtout se donner des cibles qui aident à mobiliser les collectivités. 

Les assureurs plaident donc pour la détermination de cibles précises de réduction des risques liés aux feux de forêt, aux inondations et aux canicules, avec des indicateurs pour mesurer les progrès et des responsables désignés. 

Le risque d’inondation est un bon point de départ pour établir une cible, comme il a été dévoilé dans le récent rapport du groupe de travail mandaté par Sécurité publique Canada. Quelque 300 000 propriétés au pays, soit 2 % de l’ensemble, représentent à elles seules la moitié des risques d’inondations. On doit s’attaquer à mitiger et éliminer ce risque, car l’on sait où sont ses habitations, note M. Stewart. 

Le Canada doit aussi investir davantage pour aider les gens à se réinstaller plus rapidement dans leur collectivité frappée par un sinistre. « La Croix-Rouge vient encore en aide à des sinistrés des incendies de Fort McMurray en 2016. Ça n’a aucun sens ! », lance M. Stewart.