Selon la professeure Louise Hénault-Éthier, les municipalités doivent passer à l’action et adopter l’usage des phytotechnologies pour améliorer leur résilience aux changements climatiques. 

Mme Hénault-Éthier, directrice du Centre Eau Terre Environnement (CETE) à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), prononçait l’allocution d’ouverture de la 2e réunion annuelle du Réseau Inondations Intersectoriel du Québec (RIISQ), le 31 mai à Québec. L’INRS était l’organisme hôte de l’assemblée qui a duré deux jours. 

Les mauvaises nouvelles s’accumulent en lien avec les changements climatiques, selon Mme Hénault-Éthier : les études récentes sur les canicules, les risques d’inondations et d’érosion des berges, le manque d’eau dans les nappes phréatiques dans le sud du Québec, etc., sont autant d’indices des problèmes qui se pointent à l’horizon. 

Concernant l’étude sur l’impact des canicules au Québec qui faisait les manchettes le week-end précédent, Louise Hénault-Éthier avait été particulièrement choquée par l’analogie faite par Stephen Cheung, un professeur de l’Université Brock de Saint Catharines (Ontario) spécialisé dans la physiologie du corps humain. Dans les cas extrêmes de coups de chaleur, le corps commence à cuire. 

« C’est très semblable à la cuisson d’un œuf. La raison pour laquelle un œuf passe d’une masse blanche liquide à une masse blanche solide, c’est parce que les protéines se sont modifiées. (…) Si le corps d’une personne continue à se réchauffer et n’est pas capable de contrôler sa température, à terme, ses protéines vont faire la même chose dans ses cellules », disait-il dans le reportage de Radio-Canada diffusé le 29 mai. 

« C’est la première fois que j’entendais quelqu’un comparer le corps humain à un œuf cuit dur », ajoute Mme Hénault-Éthier. Selon son collègue René Lefebvre, la baisse des nappes phréatiques dans plusieurs municipalités du Québec méridional est constante depuis le début des années 1980. 

À propos du derecho du 21 mai dernier, Louise Hénault-Éthier rappelle que les pertes en vies humaines auraient été plus élevées si Environnement Canada n’avaient pas alerté les populations en leur annonçant l’imminence de l’orage dans leur communauté et en leur demandant de se mettre tout de suite à l’abri. 

La professeure souligne que la majeure partie des 10 personnes qui ont perdu la vie en Ontario et au Québec ont été fauchées par des arbres. « Mais je suis là pour vous dire que les végétaux sont nos meilleurs alliés dans la lutte aux changements climatiques », dit-elle.

Infrastructures grises 

« Pendant trop longtemps, on a voulu faire disparaître l’eau qui tombait du ciel et l’évacuer hors du système. L’homme a utilisé son génie pour aménager de grandes infrastructures grises auxquelles on a confié la gestion de nos eaux. Ce sont des milliers de dollars qui ont été investis pour retenir un seul mètre cube d’eau de pluie. Ces infrastructures se détériorent inexorablement avec le temps. Elles ne servent pourtant qu’à cette seule fonction et la majeure partie du temps, elles sont vides. Mais pour se protéger de quelques rares événements, on doit les surdimensionner », poursuit-elle.

Des moyens existent pour contrer l’imperméabilité des sols en milieu urbain

Des moyens existent pour contrer l’imperméabilité des sols en milieu urbain.
Photo : Louise Hénault-Éthier

Malgré cela, elles ne suffisent pas toujours à la tâche, ajoute Louise Hénault-Éthier en donnant l’exemple du 14 juillet 1987, où 100 mm de pluie sont tombés en une heure à Montréal, alors que le réseau pouvait en recueillir 40 mm. Elle se souvient fort bien du grand déluge, puisqu’elle a elle-même dû nager sous un viaduc du boulevard Décarie pour rentrer chez elle à la suite d’une activité à son camp de jour. 

L’asphalte, le béton et tout ce qui imperméabilise le sol des villes perturbent l’équilibre naturel des précipitations. L’évapotranspiration des végétaux et l’infiltration dans les sols permettaient auparavant de récupérer la majeure partie des précipitations. Désormais, le ruissellement de surface est surabondant en milieu urbain.

Dans plusieurs quartiers résidentiels, la seule végétation est le gazon, qu’il faut entretenir avec des fertilisants et des pesticides, sans parler du carburant requis par les tondeuses, et la forte demande en eau. Même les parcs urbains ne sont pas bien planifiés, ajoute Mme Hénault-Éthier. « Les arbres urbains ne sont pas adéquatement connectés à l’hydrologie naturelle des quartiers », dit-elle. 

L’utilité des arbres 

Une étude de 2019 révélait que les 413 300 arbres publics de Montréal permettent de récupérer le ruissellement de 6,7 millions de mètres cubes d’eau par année. Ces services écologiques des arbres ont été estimés à 4,3 millions de dollars par année. Mme Hénault-Éthier a participé à la campagne de la Fondation David-Suzuki visant à promouvoir la valeur des services écologiques apportée par les végétaux. 

Comment améliorer la résilience de nos écosystèmes urbains ? Montréal s’apprête à planter 500 000 arbres de plus pour s’adapter aux changements climatiques, souligne-t-elle. « Chaque essence a ses particularités pour combattre la sécheresse et résister aux coups d’eau », dit-elle.

Plus de végétation en milieu urbain permet une meilleure rétention des fortes pluies et limite le débordement des conduites

Plus de végétation en milieu urbain permet une meilleure rétention des fortes pluies et limite le débordement des conduites.
Photo : Louise Hénault-Éthier

Les arbres ont longtemps été choisis pour leurs qualités esthétiques, mais il faut aller plus loin pour diversifier la forêt urbaine et l’aider à affronter les changements climatiques qui surviennent. 

Sa collègue Sophie Duchesne s’intéresse à la gestion durable de l’eau et compare les coûts des infrastructures grises ou vertes. Dans le campus de l’INRS situé dans le parc technologique de Québec, son laboratoire de biorétention lui permet d’évaluer qu’il en coûte près de deux fois moins cher de retenir l’eau dans des infrastructures naturelles que de chercher à les évacuer par les infrastructures grises. On parle de 70 à 90 $ le mètre cube pour la première option et de 140 $/m3 pour la seconde. 

Même en hiver, ces installations de biorétention sont actives et permettent encore d’infiltrer l’eau dans le sol, sous la neige, et ce, même si les végétaux qui la composent sont en dormance. Ces techniques deviennent de plus en plus populaires dans les grandes villes.

Avec l’atmosphère qui se charge d’humidité et les océans qui se réchauffent, le niveau de l’eau en hausse et les précipitations plus abondantes risquent d’accélérer l’érosion des berges. Au laboratoire d’hydrologie environnementale de l’INRS, on gère un canal à vagues de 130 mètres de long, où l’on peut reproduire l’effet des vagues de près de trois mètres de haut. On y teste divers types de végétaux qui peuvent contribuer à maintenir les berges en place dans ces conditions.

Milieux humides 

Dans les bassins versants, les plantes jouent aussi leur rôle pour mitiger les risques d’inondations. Le professeur Alain Rousseau a estimé que les milieux humides des 1 684 km2 du bassin versant du lac Champlain peuvent réduire les débits de pointe de 9 % à 52 % dans la vingtaine des affluents. Cela équivaut à 15 cm d’eau en hauteur de moins dans le lac, ou 12 cm en moins dans la rivière Richelieu. 

Malheureusement, la préservation de ces milieux humides entre en conflit avec les besoins de financement des municipalités, dont les seules sources de revenus sont reliées à la taxation foncière des immeubles. Selon elle, il faut plutôt miser sur la nature. « Le financement des villes est directement associé à la destruction de ces milieux naturels », indique Louise Hénault-Éthier.

On en connaît désormais assez sur la performance des phytotechnologies pour les utiliser afin de mitiger les risques d’inondations, insiste-t-elle. « Même si on n’est pas à 100 % certain de savoir quel type d’essence il faut implanter à tel endroit, il faut dès maintenant passer à l’action. » 

Montréal a adopté son Plan climat en 2020, souligne Mme Hénault-Éthier, mais ce n’est qu’en 2022 que son comité d’experts a pu déposer son rapport sur les mesures à déployer pour l’adaptation aux changements climatiques. Plusieurs villes ont adopté des mesures d’urgence, mais elles ne disposent pas toutes des mêmes moyens pour mettre en place des infrastructures vertes.

Le transfert de connaissances reste à parfaire, car il persiste quelques mythes à déconstruire sur les biorétentions, les marais filtrants, les toitures végétalisées, etc. « Non, la biorétention n’est pas inutile même si l’hiver dure six mois. Non, les racines des arbres ne défoncent pas les fondations de vos maisons », cite-t-elle en exemple.

Il existe de nombreux outils qui permettent de transformer les villes en éponges, comme on peut le voir dans le site de la Société québécoise des phytotechnologies. La connaissance existe, les études montrent que les moyens sont moins coûteux que les méthodes classiques. « Il est temps de passer à l’action », conclut-elle. 

Juste avant d’être embauchée comme professeure associée et directrice du CETE de l’INRS, Mme Hénault-Éthier travaillait pour la Fondation David-Suzuki. Sous sa direction, l’organisme a publié en mai 2021 une trilogie d’études qui visent à aider les municipalités à agir pour s’adapter aux changements climatiques.

Le premier volume fait la revue de littérature et des études de cas. Le deuxième volume recommande des objectifs et des stratégies élaborées par des experts. Le troisième volume est consacré entièrement aux enjeux stratégiques du déploiement des infrastructures naturelles et des phytotechnologies en milieu urbain. 

La météo changeante 

La session matinale du 31 mai s’est poursuive par une présentation, faite en visioconférence, du météorologue Pascal Yiakouvakis, récemment retraité après 27 ans à la Société Radio-Canada. Ayant commencé à la télé en 1994, le météorologue souligne que les changements climatiques ne faisaient pas les manchettes à l’époque. 

M. Yiakouvakis estime que deux sinistres majeurs ont frappé l’imagination populaire. Les gens ont compris que la fréquence plus élevée des événements météorologiques extrêmes était probablement un indicateur de cette tendance. « Il y en a toujours eu, des catastrophes naturelles, mais là, on voit qu’il y en a plus qu’avant », dit-il. 

Le premier événement qui a sonné l’alarme a été les inondations au Saguenay–Lac-Saint-Jean et en Côte-Nord en juillet 1996. Il couvrait le sinistre pour le Réseau de l’information (RDI) à l’époque, rebaptisé le « Réseau des Inondations » pour l’occasion. « La modélisation est nettement supérieure aujourd’hui. À l’époque, la quantité de pluie tombée au Saguenay a été de 2,5 à 3 fois supérieure à la prévision », dit-il. 

Puis, la tempête de verglas de janvier 1998 et la longue durée des pannes d’électricité ont été révélatrices de l’impact grandissant de ces événements extrêmes. « Le réchauffement de la température a permis ce très long épisode de verglas, et le phénomène du courant El Niño a atteint un niveau record cette année-là », rappelle M. Yiakouvakis. 

Autre sinistre marquant pour le météorologue : la saison des ouragans de 2005 sur la côte de l’océan Atlantique qui a culminé avec la destruction de La Nouvelle-Orléans causée par Katrina. « C’était la première fois qu’on manquait de noms pour les ouragans, mais ça s’est reproduit depuis », dit-il.

L’amélioration des modèles permet désormais aux météorologues de faire de la prévention, notamment en matière de canicules. « Quand on en annonce une, on ne se trompe pas », note M. Yiakouvakis. 

« La météorologie est une science fascinante et exacte, c’est la prévision qui ne l’est pas », ajoute-t-il.

À ses débuts, il arrivait mieux à contrôler le message de la société d’État, car les sources d’information étaient peu accessibles. Aujourd’hui, tout le monde a accès à différents modèles prévisionnistes. Il en surveillait lui-même sept dans le cadre de son travail. « Aucun modèle n’est parfait. S’il en existait un, on s’en servirait », dit-il.

Pascal Yiakouvakis insiste particulièrement auprès des communicateurs de Radio-Canada pour qu’ils annoncent des fourchettes de précipitations pour se donner de la latitude. « Dans une même région, il peut tomber de 30 à 50 mm de pluie. On ne peut pas savoir s’il n’y en aura que 30 ou 50 », dit-il. 

Désormais, à la suite des inondations historiques de 2011 dans le Richelieu, et celles de 2017 et de 2019 dans plusieurs régions du Québec, tout le monde s’est éveillé à la réalité des événements extrêmes, conclut-il.