Un grand nombre de psychothérapeutes du Québec font face à un dilemme. Des assureurs refusent de rembourser leurs honoraires puisqu’ils ne sont pas psychologues ou médecins. Or, un article de loi les incite à ne pas faire cette distinction.

Depuis trois ans, l’Association des psychothérapeutes du Québec tente de faire entendre ses arguments auprès des assureurs. Un document a d’ailleurs été préparé à leur intention en juin dernier. Le Journal de l’assurance s’est entretenu avec Andrée Thauvette-Poupart et Nathalie Fortin, respectivement présidente et coordonnatrice générale de l’Association.

L’organisme assoit son argumentaire sur un changement survenu en juin 2012 en vertu de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines (Loi 21). Il y est mentionné que le titre de psychothérapeute et l’exercice de la psychothérapie sont réservés aux titulaires du permis de psychothérapeute, ainsi qu’aux médecins et aux psychologues déclarant exercer la psychothérapie. Ainsi, la psychothérapie n’est pas un acte réservé à une profession, mais partagé entre plusieurs professions de différents ordres professionnels.

Selon l’Association, cet article de loi aurait dû suffire aux assureurs pour rembourser les honoraires des psychothérapeutes ayant la certification requise pour porter ce titre. Or, plusieurs assureurs continuent de faire la sourde oreille et remboursent uniquement les frais des psychothérapeutes qui ont aussi une formation de psychologue ou de médecin de famille.

En 2014, l’Association a obtenu un avis juridique qui stipule que la psychothérapie n’est pas une profession, mais plutôt une activité d’exercice exclusif. « Son exercice est possible seulement par les personnes qui y sont légalement autorisées. Cette autorisation peut découler d’un permis ou d’une profession. Ce qui constitue l’exercice de la psychothérapie est légalement défini par le Code des professions, qui mentionne que la psychothérapie est notamment un traitement psychologique, mais qui n’est pas réservé aux psychologues », peut-on y lire.

L’Association s’appuie aussi sur un rapport déposé au ministère de la Justice du Québec en mars 2016 par le Comité consultatif interdisciplinaire sur l’exercice de la psychothérapie. Il y est indiqué que les pratiques de remboursement des assureurs vont à l’encontre du principe d’accessibilité compétente et de l’orientation fondamentale du gouvernement voulant que la psychothérapie soit un acte réservé et partagé en interdisciplinarité.

Toujours selon le rapport, cette disparité contribue aussi à réduire l’accessibilité des services de psychothérapie. Le rapport relevait aussi une crainte indiquant que les pratiques des assureurs en viennent à créer deux classes de psychothérapeutes. Ce rapport est présentement sur le bureau de la ministre Dominique Vien.

« Allez-vous nous abandonner ? »

Andrée Thauvette-Poupart souligne que les psychothérapeutes sont aux prises avec cette réalité au quotidien dans leur pratique. Elle-même psychothérapeute, elle dit voir certains de ses clients abandonner leur traitement en cours de route parce que leur assureur refuse de continuer à rembourser leurs frais. Et elle dit fréquemment entendre des collègues lui dire que des clients ont abandonné leur thérapie puisque les assureurs cessaient le remboursement. Dans certains cas, le nombre de clients perdus peut être de trois ou quatre par mois pour certains psychothérapeutes. « Plusieurs psychothérapeutes se font demander par leurs clients s’ils les abandonneront s’ils ne sont plus capables de payer. »

Dans certains cas, les assureurs remboursent les sessions de psychothérapie incluses dans un programme d’aide aux employés ou payés par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST, qui englobe maintenant la CSST). Mais ils arrêtent de payer par la suite, même si celles-ci devraient être remboursées selon l’esprit de la loi.

Et cet arrêt se fait bien souvent au détriment de l’assuré en premier lieu, dit Mme Thauvette-Poupart. « La personne qui consulte un psychothérapeute est souvent en détresse mentale. S’ouvrir pour en parler est souvent une étape difficile. Et si on lui coupe le remboursement de ses séances de psychothérapie, il arrive souvent qu’elle n’ait pas le gout de recommencer la démarche du début et abandonne le tout, alors que son problème est loin d’être réglé. On la revoit souvent des années plus tard et la situation s’est détériorée davantage. »

Dans l’intérêt des clients

Nathalie Fortin ajoute que l’Association des psychothérapeutes mène ses démarches dans l’intérêt de ses membres, mais surtout des clients des psychothérapeutes. « Ils n’ont pas de porte-parole. Or, ça demeure un sujet tabou. Les gens ne veulent pas étaler leurs problèmes de vie privée au grand jour. On est donc aussi le porte-parole de ces gens. C’est un choc pour eux de se faire dire que les honoraires de leur psychothérapeute ne sont plus remboursés, surtout s’ils se le font dire à la fin de l’année et qu’ils ont accumulé les reçus tout ce temps. »

Ce à quoi Mme Thauvette-Poupart ajoute que cet enjeu représente le gagne-pain de ses membres, mais qu’eux aussi souffrent des dommages collatéraux que leurs patients vivent à la suite de cette situation. « Il est de plus en plus prouvé que la psychothérapie a de meilleurs effets à long terme que la prise de médicaments, qui est bénéfique à court terme. Même qu’à moyen et à long terme, la prise de médicaments peut augmenter le problème. Le mieux est d’associer les deux ensembles. Sinon, c’est de l’argent gaspillé ! La psychothérapie est un changement profond, qui est payant à long terme. »

Ainsi, depuis 2013, l’Association a contacté tous les assureurs vie présents au Québec, avec des résultats mitigés. Dans son bulletin transmis aux assureurs, et dont le Journal de l’assurance a obtenu copie, l’Association dit avoir vu des améliorations chez Sun Life, iA Groupe financier, SSQ, Croix-Bleue et Desjardins.

L’Association n’est toutefois pas encore entrée en contact avec l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP). Elle entend aussi dresser un portrait plus précis de la situation dans un avenir proche.

« Des assureurs nous disent que le tout est traité au cas par cas. Si le client le demande, ils l’ajoutent, dit Mme Fortin. Nous avons toutes sortes de réponses. Dans certains cas, on nous dit même qu’on laisse le conseiller décider si le client doit être indemnisé ou pas quand il consulte un psychothérapeute. »

L’Association des psychothérapeutes trouve toutefois particulier que le gros des refus de remboursement provienne des grands joueurs de l’industrie. Mme Fortin fait remarquer que Great-West a créé un Centre pour la santé mentale des travailleurs en 2007. Manuvie a quant à elle une équipe nationale en santé mentale, créée en 2014, ajoute-t-elle.

L’Association a aussi dressé un parallèle quant aux remboursements que font les assureurs dans d’autres secteurs d’activités. Il n’y a pas nécessairement de distinction comme celle qui a cours entre les psychologues et les psychothérapeutes.

« Dans le secteur dentaire, les assureurs ne font pas de différence entre une chirurgie réalisée par une dentiste ou un denturologiste. Même chose pour les soins de la vue, où il n’y a pas de distinction entre les actes posés par un optométriste et un ophtalmologiste. Il y a quelque chose qui ne marche pas », dit Mme Fortin.

Les deux femmes rappellent aussi que les psychothérapeutes ont les mêmes obligations de formation continue pour pouvoir conserver leur titre, qu’ils soient psychologues ou non. Ceux-ci sont aussi inspectés. « Ils ont les mêmes obligations, mais pas les mêmes avantages », font-elles remarquer.

Peu de soutien des psychologues

L’Association des psychothérapeutes a sollicité le soutien de l’Ordre des psychologues du Québec dans ses démarches, mais sans succès. « Ils nous voient comme des concurrents », disent-elles.

Et pour complexifier le tout, l’Association des psychothérapeutes est chapeautée par ce même Ordre. « Les gens de l’Ordre sont pris entre deux chaises. Ils ont un mandat de protection du public à respecter, mais ils doivent mettre de l’avant les services de leurs membres. Le plus simple pour nous serait de faire en sorte que les assureurs remboursent les frais de tous les psychothérapeutes, comme la loi le stipule », dit Mme Fortin.

Et le problème est criant, ajoute l’Association, tenant compte que la dépression se classera au deuxième rang des principales causes d’incapacité à l’échelle mondiale d’ici 2020, derrière les maladies cardiaques. L’Institut de la statistique du Québec a rapporté en 2012 qu’une personne sur cinq se situe au niveau élevé de l’indice de détresse psychologique.

Position de l’Ordre des psychologues

Joint par le Journal de l’assurance, l’Ordre des psychologues du Québec a fait savoir qu’on lui a demandé à quelques reprises d’intervenir sur ce sujet pour défendre les intérêts des détenteurs de permis de psychothérapeute auprès des compagnies d’assurance. L’Ordre dit avoir informé les assureurs des changements apportés au moment de l’entrée en vigueur de la loi 21. Ils sont donc informés des personnes habilitées et compétentes pour exercer la psychothérapie au Québec, affirme sa directrice des communications Dominique Hétu.

« Les compagnies d’assurance sont libres dans le choix des produits qu’ils offrent à leur clientèle. Il revient toutefois au preneur qui souscrit à une police d’assurance, que ce soit un employeur ou un groupe d’identifier quelles couvertures ils souhaitent obtenir », a-t-elle ajouté.