L’évolution du marché en assurance de dommages fait en sorte que les assureurs réguliers cherchent à se spécialiser, allant ainsi dans les talles du marché non standard. Cette spécialisation entraine toutefois la frilosité des assureurs réguliers qui se montrent plus frileux au moment d’accepter des risques qui sortent de leur zone de confort, ouvrant la voie aux grossistes.En mai, Co-operators annonçait le lancement d’une protection d’assurance novatrice en Alberta, visant à couvrir les propriétaires de résidence contre les dommages causés par les inondations. Quelques jours plus tard, en juin, c’était au tour d’Aviva d’annoncer le lancement d’une protection contre les dommages causés aux habitations par les eaux de surface, tant pour les propriétaires que pour les locataires d’habitations.

Depuis, de nombreux assureurs songent à leur emboiter le pas. Considéré auparavant comme un risque non standard, le risque d’inondation est sur le point d’être proposé par de nombreux assureurs réguliers.

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« Dans le marché actuel, les termes de standards et sous standards sont en train de disparaitre. On parle désormais de créneaux spécialisés. Les assureurs comme les grossistes ont modifié leur approche », prévient Guy Boissé, président de SCN, un grossiste québécois qui a été racheté par le Groupe Totten en mars.

Les assureurs réguliers sont ainsi devenus les compétiteurs des grossistes, dit M. Boissé. « On voit plus les assureurs dans nos talles, même si nous avons une approche plus spécialisée qu’eux. Historiquement, les grossistes étaient reconnus pour le non standard. Aujourd’hui, tout le monde veut aller là. Le marché est très favorable aux grossistes. Jamais le marché n’a été aussi performant », affirme-t-il.

Le constat est le même pour Richard Bélanger, vice-président au Québec du Groupe Totten. Aujourd’hui, l’avenir appartient à ceux qui se spécialisent, dit-il.

« Il y a encore quelques années, on parlait de marché monde. Aujourd’hui, la situation a changé, on parle plutôt de bulles. Auparavant, les compagnies étaient généralistes, les grossistes aussi. Aujourd’hui, tout le monde se spécialise », dit-il.

Si la spécialisation représente l’une des recettes du succès, c’est aussi la multiplication des fusions et acquisitions dans l’industrie qui semble ouvrir de nouvelles avenues de développement pour les grossistes. « Aujourd’hui, le courtier fait affaire avec 2 ou 3 assureurs. Avant, c’était 7 ou 8. Mais si les 2 ou 3 assureurs avec qui il fait affaire ne proposent pas le produit qu’il veut, alors il va se tourner vers les grossistes », dit M. Bélanger.

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Johanne Pistagnesi, présidente de Pistagnesi Doyon, fait la même constatation. « Quand j’ai commencé à Toronto en 1996, il y avait plus de grossistes que d’assureurs. C’est ce que je remarque aujourd’hui au Québec, explique-t-elle. J’ai le sentiment qu’il y a de moins en moins d’assureurs, et que les courtiers ne savent pas où aller. C’est le cas par exemple pour le marché des condos, tous les courtiers se tournent vers les grossistes. C’est l’année des grossistes », s’enthousiasme-t-elle.

Autre signe de démarcation, le grossiste est là pour combler ce qu’il n’y a pas ailleurs, pour jouer le rôle d’entremetteur. Pour John Morin, président de Morin Elliott Associés, « il s’agit d’un côté de l’industrie qui n’est pas près de disparaitre ». Pour celui qui vient de vendre son cabinet aux Gestionnaires d’assurances SUM, les grossistes sont une belle soupape pour l’industrie.

« En assurance responsabilité, certains grossistes deviennent l’entremetteur d’un pool d’assureurs, car il est rare qu’un assureur veuille prendre le risque tout seul. Certains n’assurent qu’une partie d’un risque », donne-t-il en exemple.

Si certains assureurs n’hésitent plus à se tourner vers le non standard, Jean-François Raymond, PDG de GroupAssur, pense que depuis un certain temps, on assiste, au contraire, au retrait de certains assureurs de segments d’affaires complexes comme les restaurants ou les condos. Il y voit du positif pour les grossistes.

« C’est un phénomène cyclique. On assiste au retour du balancier. C’est une bonne période pour les grossistes. On revient à un marché où les résultats du sous-standard sont très bons », dit-il.

M. Raymond remarque que quand les assureurs réguliers viennent sur le terrain du non standard, ils créent des attentes chez les courtiers et les consommateurs en termes de prix et surtout de garanties offertes. Et quand ces derniers se tournent vers les grossistes, ils recherchent les mêmes garanties qu’ils avaient chez les assureurs. De quoi parfois entrainer certaines frustrations.

« La couverture inondation est un bon exemple, souligne pour sa part Nick Kidd, PDG d’April Canada. Historiquement, il s’agissait d’un manque dans le marché. Récemment, les assureurs ont changé leur fusil d’épaule, ils viennent sur ce marché. Notre challenge est donc de savoir où on peut apporter une valeur ajoutée. Les grossistes doivent constamment améliorer leurs produits, et en sortir de nouveaux. »

Nick Kidd voit aussi dans le marché actuel les signes d’une mutation encore plus profonde. « Le marché est en train de changer, prévient-il. Il devient facile de travailler avec les grands assureurs réguliers. C’est pourquoi nous devons penser avant tout à nos produits. Il faut se demander s’ils sont adaptés à nos clients, se poser la question «À qui s’adresse-t-on?», «Pourquoi vient-il chez nous plutôt que chez un assureur régulier?» Il faut démontrer au client notre valeur ajoutée. Et se demander comment transformer le marché. »

Cyberrisque et technologie

Si le marché est en train d’opérer une profonde mutation, c’est aussi parce que les risques évoluent. Aujourd’hui, les risques émergents se nomment cyberrisque, drones, pollution et autres catastrophes naturelles.

« Le cyberrisque s’inscrit dans la mode actuelle, c’est un risque émergent même si le Groupe Totten propose une garantie terroriste depuis plusieurs années, souligne Richard Bélanger. Il s’agit d’une préoccupation majeure. On ne se rend pas bien compte du danger qu’il représente. »

Pour John Morin, « il y a toujours de nouveaux produits, mais certains grossistes peuvent ne pas être intéressés. Ces avenues vont toujours être ouvertes ». Chez Morin Elliott Associés qui tente de se « spécialiser dans le non standard très pointu », les drones personnels ou les locations de résidence type Airbnb représentent les nouvelles niches. « Avant, il y avait la pollution ou le cyberrisque. Désormais, les assureurs font tous du cyberrisque, et les grossistes peuvent en offrir avec un pool. »

Même s’ils existent depuis un certain temps, Jean-François Raymond de GroupAssur identifie aussi le cybercrime et les risques environnementaux comme émergents. En revanche, il ne voit pas de rentabilité élevée sur ces segments pour les grossistes. « Il n’existe pas de gains à long terme sur ces lignes d’affaires, car les assureurs veulent en faire et les courtiers vont en vendre en masse », dit-il.

Nick Kidd d’April Canada ne manque pas de souligner la récente brèche qui a touché le site de rencontre Ashley Madison. Il cite donc le cybercrime comme un risque émergent incontournable. Il identifie également deux nouvelles avenues de développement pour les grossistes. « D’un côté, il y a les risques émergents et l’utilisation en constante augmentation de la technologie, comme c’est le cas avec les drones. D’un autre, il faut s’assurer que les offres plus traditionnelles sont bien calibrées. »

La « vraie » assurance

La raison du succès chez les grossistes est aussi à aller chercher dans la relation privilégiée que ces derniers entretiennent avec les courtiers. Avec le temps, une relation qui repose sur la confiance s’établit, car l’assurance, au Québec de surcroît, demeure un petit monde.

« Notre client, c’est le courtier, rappelle Johanne Pistagnesi de Pistagnesi Doyon. S’il nous demande de développer des choses, on va les développer en fonction de ses besoins comme c’est notamment le cas avec les syndicats de copropriété. On n’a pas de machine comme les assureurs. On fait du personnel. Chaque cas est unique pour nous. Et plus c’est difficile, plus on aime ça. Dernièrement, j’ai embauché quelqu’un ayant travaillé chez un assureur. Un jour, il m’a dit : «enfin je fais de la vraie assurance!» »

Pour John Morin de Morin Elliott Associés, il y aurait de plus en plus de courtiers dans le non standard, multipliant ainsi les demandes de courtiers qu’il ne recevait pas auparavant. « Avant, le courtier s’affairait avant tout en standard. Aujourd’hui, il a la volonté d’aller vers le non standard. Il est là pour aider le client qui a un problème d’assurance. Le non standard est venu s’ajouter en complément de ce qu’il fait. De plus, on constate aussi qu’il est de plus en plus difficile de grossir de façon organique. D’où l’ouverture vers un nouveau segment d’affaires, le non standard. » Si de plus en plus de courtiers viennent vers le non standard, un rapprochement s’opère inévitablement. « Le courtier offre le risque, le grossiste analyse le risque et pose les questions, poursuit John Morin. Quand on a à faire avec des cas difficiles, on préfère que le courtier nous dise tout, nous raconte toute l’histoire, même si tout n’est pas rose… »