Fait particulièrement rare dans l’industrie, le cabinet de courtage lavallois Ostiguy Gendron a été racheté en interne, par certains de ses cadres. Alors que l’ADN du cabinet demeurera l’assurance aux entreprises, l’objectif affiché est d’atteindre un volume total de primes de 60 millions de dollars (M$) d’ici 2020.

Depuis le 1er septembre, le cabinet de courtage lavallois Ostiguy Gendron a officiellement changé de mains. Désormais les nouveaux actionnaires se nomment Jean Philippe Martineau, qui agit à titre de président, Louis-Philippe Dupuis, premier vice-président, Maxime Poulin, vice-président exécutif, ainsi que Monique Gagnon qui agit à titre de vice-présidente principale, gestion de risques et conformité.

Quant aux fondateurs et anciens coprésidents, Pierre Ostiguy et Daniel Gendron, ils continuent d’œuvrer au sein du cabinet à titre de producteurs et de conseillers stratégiques au service de certains clients d’envergure, et ce, pour les dix prochaines années. Vu de l’extérieur, il pourrait s’agir d’une transaction ordinaire, à un détail près : les acquéreurs faisaient déjà partie de la structure et la relève s’est donc organisée en interne au cours des dix dernières années.

« La réflexion en interne remonte à plus de 10 ans, elle s’est faite entre Pierre et moi, se souvient Daniel Gendron. On venait de recruter Jean Philippe sur lequel on fondait beaucoup d’espoir. À l’époque, on le considérait comme un potentiel à la relève. L’idée s’est ensuite développée, Jean Philippe a pris du galon, et des cheveux gris… L’idée originale était de concevoir une relève pour qu’on puisse continuer à œuvrer au sein de l’organisation, en choisissant nos termes et nos conditions de sortie, tout en ayant le plaisir de continuer de travailler avec les mêmes gens. »

Il y a trois ans, en 2012, la première étape s’est alors concrétisée avec l’ouverture de l’actionnariat. L’occasion pour Jean Philippe Martineau, alors vice-président exécutif, de devenir associé et de prendre de plus en plus de poids au sein du cabinet qui emploie une cinquantaine de personnes et possède près de 40 M$ de primes, dont 90 % provenant de l’assurance des entreprises.

« Il y a eu alors une entente selon laquelle, lors des cinq prochaines années, il y aurait du développement. Trois ans plus tard, cela s’est concrétisé. Le timing pour réaliser de nouveaux investissements était le bon, c’était mieux pour la nouvelle équipe de le faire maintenant », précise Pierre Ostiguy.

Une réflexion avec tous les employés

C’était en effet le bon moment pour passer le témoin à la relève, de façon à ce que les futures acquisitions ne coutent pas plus cher au cabinet. Dans un domaine en pleine effervescence, le moment était particulièrement propice. « C’est une question d’opportunité », précise-t-on à l’unisson chez Ostiguy Gendron.

Si la relève a pu s’organiser progressivement ces dix dernières années, c’est aussi parce que la réflexion s’est faite avec tous les employés. D’ailleurs, un des mandats qui avaient été confiés à Jean Philippe Martineau lorsqu’il est devenu vice-président aux opérations en 2012, c’était de se constituer une équipe pour lui et non pas pour les deux coprésidents d’alors. C’est aussi ce qui a permis à la transaction de se faire plus rapidement. 

« Jean Philippe ne s’est pas improvisé président, raconte Pierre Ostiguy. Il a opéré le bureau pendant trois ans avant de devenir président. On lui avait déjà confié une partie des guides. Pour le personnel, ça n’a pas été une transition difficile. Le plan de relève était déjà établi. »

Autre avantage d’une relève organisée en interne : la continuité dans la gestion des ressources humaines. « En faisant la transaction à l’interne, on protégeait tous les employés, souligne Daniel Gendron. On sait très bien que quand il y a une acquisition, il y a en général une rationalisation des dépenses qui doit se faire. On évite donc tout ce processus. D’ailleurs, nos procédures de travail n’ont pas changé, le personnel n’a pas changé, les gens sont encore à la même place… Pour nous autres, le seul changement, c’est que Pierre et moi ne sommes plus au centre décisionnel. » Ils ont d’ailleurs tous les deux choisi de laisser leur bureau respectif aux nouveaux dirigeants de l’entreprise, symbole d’une passation de témoin réussie, où les questions d’orgueil sont reléguées au second plan.

Si personne n’a été surpris en interne, il en a été de même chez les clients du cabinet comme chez les assureurs avec lesquels il fait affaire. Grâce à ce passage de témoin minutieusement préparé, la clientèle n’a pas été déstabilisée. Pour Pierre Ostiguy, tous les clients majeurs du cabinet ont vu l’opération d’un très bon œil, car contrairement à certains de leurs compétiteurs, elle se faisait à l’interne.

Servir de modèle pour l’industrie

Jean Philippe Martineau et Maxime Poulin

Jean Philippe Martineau et Maxime Poulin

« Il n’y avait pas d’incertitudes, les bureaux n’étaient pas à vendre, il n’y avait pas de situations problématiques, affirme sereinement le nouveau vice-président exécutif, Maxime Poulin, transfuge d’Intact Assurance en 2012. Au contraire, Pierre et Daniel vont être encore plus disponibles pour passer du temps avec nos clients. Depuis des années, ils ne le faisaient plus puisqu’ils devaient parallèlement gérer une cinquantaine d’employés, cinquante assureurs, les exigences des régulateurs, etc. Cette transaction les libère pour le développement, mais aussi pour passer plus de temps avec leurs clients. »

Selon la nouvelle direction, les premiers retours sont très bons puisque certains assureurs ont même proposé leurs services afin d’aider la société à aller « à un niveau supérieur ». Le cabinet reçoit aussi des appels d’autres courtiers qui manifestent leur vif intérêt sur la façon dont s’est déroulée la transaction.

« Je pense qu’on a été créatifs dans cette mécanique de vente. On a créé un intérêt dans l’industrie et on espère peut-être avoir motivé d’autres entrepreneurs pour donner des opportunités à des jeunes en interne, affirme Daniel Gendron. C’est un rêve qu’on avait quand on était plus jeunes. On se disait : un jour, si on a la chance, on aimerait réaliser ce concept-là, écrire une belle histoire en laissant un héritage. »

Jean Philippe Martineau espère simplement que cette relève réalisée en interne permettra de faire passer un message à l’industrie en montrant finalement que « oui, c’est possible ».

« Bien sûr, il faut que financièrement cela ait du sens, car il est difficile de faire les mêmes synergies que quand tu coupes la moitié du personnel, précise le nouveau président d’Ostiguy Gendron. Surtout, il faut qu’il y ait une réelle volonté, des deux côtés. Si nous, nous n’avions pas exprimé notre volonté au départ, ça n’aurait pas été une option pour les vendeurs. Et il n’y a rien de plus décourageant pour quelqu’un qui est un peu entrepreneur. Ne pas en parler aux propriétaires aurait été la pire erreur. Et si eux, ils n’avaient pas été prêts à laisser les rênes, ça n’aurait pas marché non plus. La job d’un entrepreneur, c’est de s’assurer que l’entreprise grossit au rythme des ambitions de ses employés. »

L’autre élément essentiel à la réussite d’une telle transaction, autant pour la clientèle que pour la pérennité du cabinet, c’est évidemment l’aspect financier.

« Il fallait que la transaction financière ait du sens pour ne pas hypothéquer les ressources du cabinet pour qu’il soit en mesure de continuer à investir dans des systèmes informatiques ou dans des employés de qualité. Le but n’était pas de faire une transaction pour faire une transaction », précise encore Maxime Poulin.

Plan de croissance

Selon M. Poulin, une chose est certaine : transaction ou non, le statu quo n’était pas une option. L’équipe dirigeant avait déjà travaillé sur un plan de croissance qui est resté sensiblement le même. Si l’ADN du cabinet demeure le commercial et demeurera le commercial, l’objectif affiché est de passer de 40 M$ à 50 M$ de primes d’ici à 2017, pour atteindre 60 M$ en 2020.

« Le but ce n’est pas de croitre pour croitre, met toutefois en garde Maxime Poulin. On ne veut pas devenir une grosse structure en consolidation pour l’assurance des particuliers par exemple. Ce n’est pas notre profil. Cela ne veut pas dire qu’on ne fera pas de particuliers ou de petit commercial, parce qu’on pense que ça peut être traité d’une façon qui peut être lucrative, rentable pour l’entreprise. Mais ce n’est pas la base de notre business. C’est la même chose quand on regarde les opportunités d’acquisition. »

Pour Jean Philippe Martineau, le plus gros défi concerne les ressources humaines. « Au commercial, ce qui va démarquer les bureaux, c’est l’expertise. Alors, si tu veux croitre pour croitre, tu perds cette expertise parce que tu l’as dilué. Il faut donc qu’on réussisse à croitre tout en demeurant spécialisé, en gardant les compétences en interne. »