Le ministère des Finances du Canada consulte l’industrie sur les changements qu’il entend apporter aux règles fiscales qui régissent les polices d’assurance vie. Le statut d’abri fiscal de l’assurance vie universelle pourrait en écoper.
Après les commentaires reçus lors d’une première ronde de consultation en 2012, le ministère des Finances récidive pour une deuxième ronde qui se terminera le 6 novembre. À l’issue de cette consultation, l’industrie pourrait voir le fisc réduire la somme des investissements que les titulaires de police peuvent maintenir à l’abri de l’impôt dans une police d’assurance vie.

Dans la mire d’Ottawa : mettre à jour le test d’exonération des polices d’assurance vie, applicable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le gouvernement veut dépoussiérer ce test mis à jour pour une dernière fois en 1982, et la fiscalité qui l’entoure. Ces changements toucheront la vie universelle ou toute autre police permanente qui permet d’accumuler de l’épargne, comme les polices vie entière avec participations.

Au centre des discussions figure la police type exemptée, un produit fictif qui sert de test d’exemption. Il existe un seuil d’épargne dans un contrat d’assurance au-delà duquel la police n’est plus exonérée du paiement de l’impôt sur le revenu. Indicateur de ce seuil dans la Loi de l’impôt sur le revenu, la police type exemptée pourrait voir sa générosité réduite par le législateur.

Outre la question de savoir si une police est exonérée ou non, cette consultation touche aussi trois autres aspects fiscaux concernant les titulaires de police d’assurance vie : déterminer dans quels cas le titulaire de police est réputé avoir disposé des fonds accumulés dans sa police; comment traiter cette disposition; et modifier l’impôt sur le revenu de placement des assureurs. Les polices établies avant 2016 bénéficient de droits acquis qui varient selon la date à laquelle un intérêt a été acquis la dernière fois.

Réactions de l’industrie


L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) et le Conference for Advance Life Underwriters (CALU) pourraient déposer sous peu leur mémoire dans le cadre de cette consultation. L’ACCAP veut comprendre les motivations du ministère des Finances derrière certaines propositions, a expliqué en entrevue au Journal de l’assurance Ron Sanderson, directeur général, rentes et imposition des titulaires de polices à l’ACCAP. L’organisme croit qu’appliquées telles quelles, ces propositions entraineraient un degré de complexité et des couts injustifiés pour les assureurs.

 

« Nous craignons qu’il y ait beaucoup de travail d’arrière-scène couteux pour les assureurs et qui seront transférés aux titulaires de polices, alors que ces changements ne sont pas nécessairement justifies par une logique solide, soutient M. Sanderson. Le gouvernement propose par exemple de calculer le test d’exonération au niveau de la couverture d’assurance plutôt qu’au niveau de la police. Cela entraine un degré de détail et de complexité qui pourrait ne pas ajouter de valeur pour le consommateur. »

L’ACCAP souhaite aussi certaines précisions, par exemple en ce qui touche les propositions de règles anti-évitement. « L’une d’elles dit en essence que si l’Agence du revenu du Canada (ARC) n’aime pas la façon dont une police est utilisée, elle peut procéder en vertu de cette règle et décider que la police ne sera pas exonérée. Mais les motifs qui déclencheront cette interprétation de l’ARC demeurent flous. Cette règle semble beaucoup plus vague que la règle générale d’anti-évitement actuellement contenue dans la Loi de l’impôt. Est-ce que cette nouvelle règle est appropriée, étant donné qu’une règle plus claire existe déjà », s’interroge M. Sanderson.

Dédié à la formation des conseillers spécialisés dans la clientèle d’affaire, CALU travaillera de concert avec l’ACCAP et le ministère des Finances fédéral pour comprendre l’impact des changements proposés qui entreront en vigueur pour les polices émises après 2015, a expliqué Kevin Wark, président de CALU, en entrevue au Journal de l’assurance.

« Notre principal souci est de veiller à ce que les propositions n’entrainent pas d’effets indésirables pour les titulaires de polices et pour le traitement fiscal équitable des différents types de polices d’assurance actuellement disponibles dans le marché », a déclaré le président de CALU.

Agent général dont plusieurs conseillers sont membres de CALU, le Groupe PPI analyse aussi les documents de consultation soumis par Ottawa. PPI ne soumettra pas de mémoire, mais son actuaire en chef, John McKay, participera à la réflexion de CALU. Contacté par le Journal de l’assurance, il a préféré s’abstenir de commentaires.

Dépoussiérer les pratiques actuelles


Conseiller spécialisé dans le type de clientèle le plus susceptible d’être touché par les changements proposés, André Cyr est un conseiller associé à PPI et membre de CALU. M. Cyr ne s’inquiète pas outre mesure des changements annoncés par Ottawa. Il est confiant que CALU et l’ACCAP sauront faire front pour amener le gouvernement à s’assurer que les changements n’entrainent pas d’effets indésirables pour les titulaires de polices.

 

M. Cyr voit plutôt dans cette consultation une occasion de dépoussiérer les pratiques actuelles. « De ce que je comprends, le test d’exonération pourrait désormais porter sur la valeur du fonds accumulé plutôt que sur la valeur de rachat », a dit M. Cyr en entrevue au Journal de l’assurance. Cet accent sur la valeur nette du fonds accumulé favorisera selon lui l’assurance à cout nivelé, un produit de vie universelle qu’il estime idéal pour l’épargne.

Le conseiller ne s’en plaindra pas. Il compte un peu moins de 200 clients dont la couverture d’assurance moyenne est de 10 millions de dollars (M$). Plusieurs de ces clients possèdent une vie universelle dans un but de protection et aussi d’accumulation. Il leur a systématiquement offert des polices universelles à cout nivelé. Celles-ci protègent mieux l›accumulation que celles dont le cout d’assurance croit annuellement. Ces dernières grugent avec le temps le fonds accumulé, surtout lorsque l’assuré atteint un âge avancé, dit-il. Ça n’ira pas en s’améliorant puisque les assurés vivent de plus en plus vieux, ajoute M. Cyr. « On voit de plus en plus d’assurés de 90 ans. »

Qu’en est-il du problème des vies universelles à cout nivelé vendues en fonction du versement d’une prime minimum ? M. Cyr n’en vend pas. « On ne vend pas la vie universelle pour vendre la prime minimum, ajoute-t-il. La vie universelle est faite pour accumuler un fonds. Si tu ne la nourris pas, pourquoi en avoir une? Il faut la vendre avec une prime payable sur 5 ans ou 10 ans et mettre de l’argent dans le fonds. Le but est qu’elle se paie le plus tôt possible. »

Enfin, il croit que faire porter le test d’exonération sur la valeur du fonds plutôt que la valeur de rachat répond à une intention du fisc fédéral d’endiguer certaines pratiques « cowboy ». En vertu de celles-ci, certains assureurs auraient conclu des ententes avec des conseillers dans lesquelles elles convenaient de maintenir la valeur de rachat à 0 durant les premières années où le test s’applique. Ils faisaient ensuite apparaitre cette valeur tout d’un coup, une fois la police suffisamment exonérée.

« Je n’ai jamais embarqué là-dedans. De toute façon, une police bien structurée deviendra éventuellement exonérée, même lorsque le dépôt initial dépasse les limites autorisées », explique M. Cyr. Il précise qu’un client déposera dès la première année une prime de 3,5 M$ dans sa police d’assurance vie universelle à cout nivelé (sa protection d’assurance est de 10 M$). En vertu du test d’exonération, son droit d’accumulation non imposable est de 600 000 $ par an. Il y aura alors 2,9 M$ non-exonéré du paiement de l’impôt dans le fonds de la police à l’année 1 de l’assurance. L’année suivante, ce fardeau se réduira d’un autre 600 000 $ et ainsi de suite. Au fil des ans, la police sera exonérée au complet. Les clients achètent ce genre de concept même s’il y a de l’impôt à payer, a fait valoir M. Cyr. « De toute façon, l’épargne de l’assuré ne serait pas mieux dans son compte à la banque, où elle serait aussi imposée. »