La Commission des finances publiques a tenu des consultations sur le projet de loi 92 (PL-92), le 20 mai dernier à l’Assemblée nationale du Québec. Les deux organismes d’autoréglementation (OAR) en assurance ont exprimé des réserves à l’égard des dispositions du PL-92 en matière de protection du public. 

Le PL-92 est une loi omnibus de 186 articles qui modifie plusieurs lois encadrant les services financiers au Québec, dont la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF). La fusion de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) et de la Chambre de la sécurité financière (CSF) pour créer la future Chambre de l’assurance, neuf mois après l’adoption de la loi, est l’un des principaux changements apportés. 

Le nouvel OAR créé par cette fusion sera reconnu par l’Autorité des marchés financiers (AMF) en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur l’encadrement du secteur financier (LESF). Cette reconnaissance pourra par la suite être révoquée, modifiée ou remplacée par l’AMF. 

Adoption rapide 

Dans ses remarques préliminaires, le ministre des Finances, Éric Girard, a confirmé que le gouvernement espérait faire adopter le PL-92 avant la fin de la présente session parlementaire, même s’il entend prendre le temps qu’il faut pour améliorer la pièce législative. 

La ChAD était représentée par le président du conseil, Ted Harman, et le PDG Marc Beaudoin. Ils ont eu quelques minutes pour faire leurs commentaires sur le PL-92. Leurs réserves ont été exprimées précédemment lors d’un entretien avec le Portail de l’assurance

Le nouveau président du conseil, Jean-Philippe Vézina, a parlé au nom de la CSF. Il était accompagné par le président du comité de gouvernance de l’organisme, Eddie Leschuita. La veille, la CSF avait rendu public son mémoire

Les deux chambres ont confirmé de vive voix ce que le Portail de l’assurance a précédemment rapporté, à savoir qu’elles n’ont jamais été consultées sur ce projet de fusion. 

Après leur présentation, le ministre Girard a demandé aux représentants des deux chambres si les discussions tenues avec le ministère des Finances depuis le dépôt du PL-92 avaient permis de les rassurer sur la transition vers la future Chambre de l’assurance. Les représentants des deux OAR ont confirmé leur inquiétude. 

« On n’a pas été rassurés concernant les brèches qu’on voit dans le projet de loi », indique M. Vézina. De son côté, M. Beaudoin indique que durant la période transitoire, on comprend que les règles en vigueur seront maintenues. « Mais ce qui viendra après, on n’en sait rien, et ce sont ces règles qui auront un impact sur la protection du public », dit-il. 

De gauche à droite: Eddie Leschuita, Jean-Philippe Vézina, Marc Beaudoin et Ted Harman.

Le ministre surpris 

Le ministre Girard dit être très surpris par l’opposition des deux chambres à la fusion de leurs activités prévue dans le PL-92. « Je vous rappelle que mon prédécesseur suggérait d’abolir les deux chambres. »

Le ministre faisait référence au projet de loi 141 déposé par le précédent gouvernement de Philippe Couillard, dont la version initiale soumise par Carlos Leitao proposait de confier l’encadrement déontologique de l’ensemble de l’industrie à l’Autorité. 

M. Girard affirme que son ministère a tenu des consultations à l’interne de même qu’avec l’AMF et avec l’industrie avant de déposer son projet de loi omnibus. La délégation des pouvoirs sur les représentants en épargne collective à l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI) est en cours à la grandeur du pays, et le gouvernement doit modifier le cadre législatif, ajoute le ministre.

« Maintenant, c’est le moment de faire des propositions », insiste-t-il lors des échanges avec les représentants des deux chambres. « Ultimement, ce qu’on veut, c’est un modèle plus robuste, une meilleure protection des épargnants. Pour les règles de transition, on a justement clarifié une ligne du temps sur neuf mois pour réduire l’incertitude », ajoute le ministre Girard. 

« Tout le monde doit être concentré pour faire le meilleur projet de loi possible maintenant. On ne pourra pas reporter ça dans quatre ans », insiste-t-il.

L’expertise en assurance existe et elle sera reconnue par la future Chambre de l’assurance, souligne Éric Girard, et en même temps, le PL-92 permet de reconnaître le nouveau modèle en vigueur du côté de l’épargne collective. « Le regroupement de cette expertise, avec la supervision de l’AMF, amènera une protection supplémentaire, ce qui est positif », poursuit-il.

Concernant les inquiétudes des deux chambres sur la période de transition, Éric Girard dit avoir posé beaucoup de questions à l’Autorité sur ce qu’il se passera durant la période de transition de neuf mois qui mènera à la création de la future Chambre. « Si la transition ne se fait pas de manière harmonieuse et que tout le monde ne travaille pas ensemble, l’accouchement sera difficile », indique le ministre des Finances. 

Le financement 

Eddie Leschuita rappelle que l’OCRI est créé depuis janvier 2023 et qu’il aura besoin de quatre ans pour finaliser la mise en place de toutes les règles de gouvernance applicables aux représentants en épargne collective. « On ne veut pas que ça prenne quatre ans. Mais une fusion, ça se prépare. » 

Il faut surtout éviter que les discussions entre les deux OAR les distraient de leurs activités quotidiennes liées à leur mission première, soit la protection du public, selon M. Leschuita. Il rappelle que les deux organismes doivent s’autofinancer et qu’ils n’ont pas accès à du financement bancaire en cas de déficit. 

Le surplus accumulé à la CSF est d’un peu moins de 10 millions de dollars (M$), ce qui correspond à neuf mois d’activité, poursuit-il. Le transfert des activités en épargne collective vers l’OCRI réduira les revenus d’une somme qu’il estime à 6,4 M$.

Ailleurs au pays 

Frédéric Beauchemin, critique de l’opposition officielle en matière de Finances et député libéral de Marguerite-Bourgeoys, a cherché à comprendre en quoi la protection du public était menacée par le PL-92.

Ted Harman souligne que la création d’un organisme à but non lucratif (OBNL) privé, sous l’encadrement de l’Autorité, enlève les protections inhérentes et inscrites dans la LDPSF liées aux activités d’enquête du bureau du syndic et au respect de la déontologie par le comité de discipline de chacune des chambres.

« Il n’y a rien là-dessus dans le projet de loi, ça sera négocié durant la période de transition », dit-il. « On remplace quelque chose qui fonctionne par une structure inconnue. Ça fait cinq semaines que le projet de loi a été déposé et on ne sait toujours pas quelle forme ça prendra », ajoute M. Harman. 

Plusieurs disciplines 

Jean-Philippe Vézina rappelle que selon l’estimation de la CSF, quelque 6  500 représentants certifiés en épargne collective sont aussi détenteurs de permis dans d’autres disciplines qui ne relèveront pas de l’OCRI, mais de la future Chambre. « C’est justement une de nos forces, dans le système qu’on a au Québec, la multidisciplinarité », dit-il. 

Il y aura donc quand même un grand nombre de représentants qui devront cotiser à deux OAR et se conformer à deux régimes distincts en matière de formation continue. M. Vézina dit craindre que certains conseillers choisissent de se consacrer à une seule discipline, ce qui réduira l’offre de produits notamment dans les cabinets établis hors des grands centres urbains, selon lui. 

Frédéric Beauchemin a demandé aux deux chambres si l’exercice de comparaison avait été fait avec la situation ailleurs au Canada. Ted Harman, qui est détenteur d’un permis de courtier en Ontario, rappelle que les deux professions sont encadrées par des organismes distincts, en l’occurrence le Registred Insurance Brokers of Ontario (RIBO) pour l’assurance de dommages et l’Agence de réglementation des services financiers (ARSF) pour l’assurance de personnes. 

« C’est justement le point qu’on apporte aujourd’hui : est-ce qu’on peut se poser toutes les bonnes questions en amont, planifier correctement le projet pour ensuite le réaliser ? », souligne Marc Beaudoin. 

La ChAD reçoit des demandes d’enquête de la part d’un consommateur insatisfait du travail accompli par son représentant certifié. « Le Bureau du syndic fait son travail d’enquête, et cela représente une grande partie de nos activités. Le projet de loi propose d’enlever aux enquêteurs le pouvoir de demander les documents essentiels pour produire un rapport d’enquête. On peut le demander aux individus », explique Marc Beaudoin. 

Désormais, les dossiers sont informatisés. Le syndic ne pourra plus demander à l’organisation de fournir les documents réclamés, selon les dispositions du PL-92. « Cela va se traduire en délais supplémentaires. La prochaine entité, avec un syndic dont les pouvoirs sont encore inconnus, devra passer par le Tribunal administratif des marchés financiers pour faire la demande et obtenir les documents. Il y aura des délais et j’aimerais qu’on m’explique en quoi cela assure une meilleure protection du consommateur qui aura fait une plainte », ajoute M. Beaudoin.

Il n’y a pas d’opposition à la fusion de la part des chambres, poursuit Marc Beaudoin. Les dispositions qui encadrent la gouvernance et la déontologie « devraient être inscrites dans la LDPSF, comme c’est le cas actuellement ». M. Beaudoin souligne que cette proposition faisait d’ailleurs partie des options soumises par le ministre dans son mémoire remis au conseil des ministres pour défendre son projet de loi. 

M. Vézina souligne que les règles touchant la formation continue des représentants en épargne collective sont très claires au Québec et relèvent de la responsabilité de chacun des certifiés. Selon lui, on ne sait pas encore ce qu’il se passera du côté de l’OCRI à cet égard.