Le projet de loi 92 (PL-92), qui vise à fusionner la Chambre de la sécurité financière (CSF) et la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) pour créer la Chambre de l’assurance, doit être modifié et bonifié. Il est incomplet. Ses échéanciers sont irréalistes. Il met fin à la multidisciplinarité. Il va à l’encontre de l’approche holistique adoptée au Canada en services financiers depuis une décennie. Son entrée en vigueur mettra en danger la protection du public. Quelque 6 000 conseillers au Québec avec multiples permis subiront lourdeur et complexité relevant de deux organismes de contrôle plutôt qu’un seul. 

Voilà quelques-unes des nombreuses critiques en assurance de personnes et en services financiers à l’égard du PL-92 recueillies par le Portail de l’assurance depuis le début du mois de mai. Ce projet entend redessiner l’encadrement des professionnels en assurance et en services financiers au Québec.

Révélé par le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, le 8 avril dernier, le projet a surpris beaucoup de monde dans l’industrie. Ouvertement ou derrière les portes closes, on a reproché au ministère son manque de consultation.

Le projet est étudié devant la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale ce mardi 20 mai.

Dans une allocution au congrès de la Canadian Association of Independent Life Brokerage Agencies (CAILBA), l’association des agents généraux du Canada, à Montréal, le 1er mai dernier, Hugo Lacroix, le surintendant, marché des valeurs mobilières et distribution, à l’AMF a parlé d’un échéancier serré pour son adoption.

« Ce qu’on a dans les cartons présentement, c’est un ministre qui veut avancer rondement avec son projet de loi. Il souhaite une adoption de son projet pendant la session actuelle de l’Assemblée nationale. Ce qui nous amène à l’adoption au 20 juin. Donc on peut envisager des consultations au courant du mois de mai », a-t-il précisé.

Le dimanche 18 mai, la CSF a rendu public son mémoire qui a été déposé au Ministère. Le document fait 26 pages. 

En quelques mots, la CSF tire la sonnette d’alarme. Elle juge qu’il s’agit d’une réforme précipitée qui soulèvera des risques majeurs pour la protection du public.

La fin de la multidisciplinarité  

Selon la CSF, c’est la fin de l’encadrement multidisciplinaire. Plus de 6 000 conseillers québécois détiennent aujourd’hui plusieurs titres professionnels. C’est le cas particulièrement pour ceux qui exercent à la fois en assurance de personnes, en épargne collective ou en bourse d’études.

Sous la réforme, ils devraient se conformer à des règles différentes, émanant de divers organismes soit la future Chambre de l’assurance, née de la fusion de la CSF et de la ChAD, l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI) ou encore l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour les bourses d’études. Pour l’instant, ils relèvent d’un seul organisme, la CSF.

Cette mesure de séparer les professionnels des fonds communs de placement et ceux de l’assurance a soulevé les commentaires de lecteurs du Portail de l’assurance. Ils l’ont fait sur une base anonyme, n’étant pas autorisés à se prononcer publiquement.

L’un d’entre eux résume les propos de plusieurs. Depuis 10 ans, de nombreuses sociétés ont réorganisé leurs services aux Canadiens afin qu’ils fonctionnent désormais de façon holistique, c’est-à-dire qu’ils tiennent compte de l’ensemble des besoins des clients : assurance et placement intégrés. 

Déjà en 2024, dans un article sur le Portail de l’assurance, un assureur avait décidé de regrouper toutes les ventes au détail dans une même plateforme de services partagés pour permettre au client de sentir qu’il traite avec l’ensemble de la compagnie et non uniquement avec le petit bloc lié à l’une de ses gammes de produits. Sa dirigeante d’alors précisait que l’institution ne voulait pas que le client se dise qu’il fait affaire seulement avec le volet assurance vie, ou simplement avec les fonds communs. 

De nombreuses sociétés ont adopté le modèle. L’objectif : se concentrer sur les besoins du client plutôt que de pousser un produit.

Au Québec, défend ce lecteur, la surveillance déontologique des représentants en épargne collective et en assurance de personne sous un même régulateur, la CSF, venait faciliter le suivi sous une approche holistique.

La formation continue affaiblie 

La CSF s’alarme également du transfert de l’encadrement de la formation continue à l’OCRI, dont le modèle repose davantage sur la responsabilité des firmes que sur celle des individus. Elle craint un nivellement par le bas des exigences et la perte d’un savoir-faire local développé depuis 25 ans. 

En 2024, la CSF rapporte avoir enregistré plus de 44 000 inscriptions à des formations via sa plateforme numérique. Elle y voit le reflet de la valeur ajoutée de son modèle axé sur la déontologie, la compétence et la prévention des manquements. 

En matière disciplinaire, la CSF souligne une perte de pouvoirs pour les syndics et le comité de discipline, notamment l’impossibilité d’ordonner une radiation provisoire en urgence ou d’agir en matière autre que déontologique. La période de transition, qui est jugée irréaliste, créerait même un vide juridique pour les plaintes visant certains types de représentants. 

Appel à une pause ciblée 

La CSF ne s’oppose pas à la modernisation ni à l’harmonisation réglementaire, mais elle demande au gouvernement de suspendre les articles du PL-92 qui la concernent, le temps de mettre en place des protocoles clairs entre l’AMF, l’OCRI et la future Chambre de l’assurance. L’objectif : éviter une rupture dans la protection du public, préserver l’expertise québécoise en formation et en discipline, et assurer une transition ordonnée dans l’intérêt de l’industrie et des consommateurs. 

Des professions fort différentes 

La CSF soulève en plus que le PL-92 fusionne deux professions qui ont peu en commun. « D’une part, l’assurance de personnes qui répond à une planification visant la sécurité des personnes et l’investissement à long terme, et d’autre part, l’assurance de dommages relatifs aux biens. Ce ne sont pas les mêmes risques, les mêmes modèles d’affaires, les mêmes défis de formation ni les mêmes parties prenantes qui sont en cause », rappelle la CSF. 

Volte-face de l’Autorité des marchés financiers  

Le projet de déplacer les représentants en épargne collective sous l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI) plutôt que de les garder sous la Chambre de la sécurité financière (CSF) marque une volte-face du ministère des Finances, et de l’Autorité des marchés financiers (AMF), selon un lecteur du Portail de l’assurance qui suit l’évolution de la réglementation au Canada depuis des années.

Selon cet intervenant, qui réclame l’anonymat de crainte de représailles, il s’agit là d’une position à l’opposé des propos antérieurs de l’AMF dans les discussions au sein des autorités canadiennes en valeurs mobilières. 

Démarrées en 2019, des discussions entre régulateurs visaient à revoir l’encadrement de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM). De 2019 à 2022, les régulateurs ont recueilli 67 mémoires, des consultations publiques et ont réalisé de nombreuses analyses. 

Dans leur énoncé de position 25-404, les autorités canadiennes en valeurs mobilières avaient émis diverses hypothèses, dont celle que les modifications de structures ne modifieraient pas le mandat, les fonctions et les pouvoirs de la CSF.

À ce moment, l’AMF adhérait à la position des autres régulateurs canadiens voulant qu’un nouvel organisme d’autoréglementation (OAR) regroupant les activités des régulateurs en valeurs mobilières, réunis sous l’OCRCVM, et celles des régulateurs en fonds communs, réunis sous l’ACFM, était dans l’intérêt supérieur des investisseurs et du secteur financier.

L’AMF y voyait des bénéfices comme une plus grande harmonisation de l’encadrement applicable au Québec avec celui des autres provinces, une réduction de la complexité et de la confusion pour les investisseurs, une réduction de la charge de conformité et, en conséquence, une réduction des coûts. 

Dans cet énoncé, l’AMF affirmait que la « reconnaissance du nouvel OAR ne modifierait pas le mandat ainsi que les fonctions et pouvoirs de la CSF ». 

Dans diverses plateformes publiques, l’AMF a affirmé depuis que la délégation de l’inscription à l’OCRI touchera environ 800 professionnels au Québec. Dans les faits, selon cette source, c’est environ 6 500 conseillers multidisciplinaires qui seront touchés.

Appelée à rendre public le cumul des permis dans différentes disciplines, la CSF a dévoilé ces chevauchements au Portail de l’assurance.

Ainsi, au 30 avril 2025, sur un total de 34 093 membres, 25 866 détenaient un seul permis. Les titulaires de permis multiples se répartissaient ainsi :

  •  6 107 membres ont deux permis 
  • 1 661 membres ont trois permis 
  • 458 ont quatre permis d’exercice 
  • 1 membre détient les cinq disciplines 

Selon une évaluation de la CSF, plus de 6 400 représentants devraient être membres à la fois de la nouvelle Chambre de l’assurance et de l’OCRI, parce qu’ils détiennent plus d’un titre de pratique.

La CSF estime aussi qu’ils devront également assumer des coûts et frais additionnels compte tenu d’un fardeau accru pour la formation continue et la surveillance liée à deux organismes disciplinaires.