Des assureurs remettent en cause les actions entreprises jusqu’ici pour endiguer l’effet dévastateur des troubles mentaux sur les régimes d’assurance collective. Le défi sera selon eux d’outiller les employeurs pour stimuler l’utilisation des programmes mis en place et promouvoir de saines habitudes de vie auprès des employés.

Le Rassemblement pour la santé et le mieux-être en entreprise qui s’est déroulé récemment à Montréal a réuni cinq assureurs et une spécialiste indépendante autour d’une table ronde. Animé par Stéphan Bureau, le forum leur a permis de débattre des avenues de solutions pour freiner l’explosion des troubles mentaux en milieu de travail. Le Journal de l’assurance y était. Un consensus ressort : il faut responsabiliser davantage les employés.

Directeur de la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité au travail de l’Université Laval, Jean-Pierre Brun avait d’ailleurs mis la table en conférence d’ouverture. M. Brun a entre autres révélé que 24 % des Canadiens vivent des troubles psychologiques et 35 % à 55 % vivent une quelconque détresse psychologique.

Premier vice-président assurance collective de SSQ Groupe financier, Carl Laflamme a lancé le premier pavé dans la marre en réagissant à ces statistiques. « Quand j’entends les pourcentages élevés de maladies psychologiques mentionnés par M. Brun, on peut se demander si vraiment on a mis en place les bonnes choses, s’interroge M. Laflamme. Depuis les 24 dernières années, j’ai vu beaucoup d’évolution dans les programmes que nous avons mis en place. Nous voyons toutefois qu’il y a encore beaucoup de travail à faire et on peut se questionner sur les pratiques à adopter. »

Vice-présidente, développement, commercialisation et stratégie, assurance pour les groupes et les entreprises de Desjardins Assurances, Nathalie Laporte a observé de son côté que les employeurs ne veulent plus seulement que leur assureur paie les prestations d’invalidité. « Ils veulent que l’assureur leur offre des solutions pour améliorer la santé de leurs employés, dit-elle. Une clé importante consiste à impliquer davantage les employés dans la gestion de leur santé. »

Certaines habitudes de vie peuvent jouer un rôle

Carl Laflamme croit aussi qu’il ne faut pas oublier le rôle du participant. « Si un patient a un problème de cholestérol, le médecin lui demandera de modifier son alimentation pendant six mois et de revenir le voir ensuite. Bien souvent, la rencontre avec le médecin doit se passer rapidement. A-t-il toutes les compétences pour traiter des problèmes de santé mentale aussi rapidement qu’il le ferait pour un problème de cholestérol », se demande-t-il.

Il rappelle certaines habitudes de vie qui peuvent jouer un rôle dans la détresse psychologique. M. Laflamme souligne entre autres que l’endettement est un facteur de stress important dans la société. « Je ne crois pas que les gens soient enclins à parler de leur situation financière avec leur médecin. Ils aborderont plus volontiers avec lui les problèmes qu’ils vivent au bureau », dit-il.

L’employeur a selon lui la responsabilité d’aider ses employés à atteindre un meilleur équilibre. « Mais lorsque des sujets tabous comme les finances personnelles ou les problèmes familiaux ne sont pas abordés, l’employeur peut difficilement évaluer la situation. L’employé aurait peut-être plus besoin de services de planification financière dans certains cas », avance M. Laflamme.

L’employeur doit éviter toute forme de paternalisme, estime de son côté Diane Miller Bourdon. Consultante en santé organisationnelle de Great-West. « Il ne doit pas devenir le thérapeute de son employé. Il doit plutôt mettre en place les mécanismes qu’il faut pour éviter d’en arriver là », lance-t-elle.

Amélie Meilleur, directrice principale, équipe nationale des meilleures pratiques de Manuvie, renchérit à ce sujet. Elle observe que les gens veulent faire partie du processus de décision. Le paternalisme serait un retour en arrière. Il faut redonner du pouvoir aux employés et les rendre actifs dans leur guérison. Les victimiser réduit selon elle leur faculté de se prendre en charge.

Intervenir en amont

Selon Mme Miller Bourdon, il y a beaucoup à faire pour mieux réintégrer en milieu de travail les assurés en invalidité. Il y en a tout autant en prévention, « car souvent, les gens souhaitent demeurer au travail », ajoute-t-elle.

La prévention en a rallié plusieurs. La directrice, santé mentale au travail de Financière Sun Life, Marie-Hélène Pelletier, croit que l’émergence des problèmes de santé mentale passe trop souvent inaperçue, comme un fantôme.

« Vous êtes-vous déjà senti pris dans une mauvaise situation trop longtemps, au point où votre santé s’en trouve affectée? Trop souvent, on s’en occupe quand cela devient visible. Nous devons être des leadeurs dans ce domaine, tant au niveau personnel que professionnel », dit-elle.

« Les employeurs écoutent les conseils des assureurs lorsque ça va mal, mais sont-ils prêts à intervenir en amont », a demandé l’animateur Stéphan Bureau aux participants.

Cela dépend de la culture de l’organisation, observe Carl Laflamme. « Souvent, les employeurs sont en mode réaction. Les mieux équipés ont intégré des programmes de soutien. Mais il faut plus, croit-il. La majorité des assureurs ont des programmes en place pour aider les PME. Mais les assureurs et les employeurs ne doivent pas négliger les autres parties. Il y a l’employé, mais aussi le médecin et le fournisseur de programme d’aide aux employés (PAE) », dit-il.

Amélie Meilleur prône d’ailleurs le recours à des équipes multidisciplinaires de spécialistes. D’après elle, psychologue, ergothérapeute, infirmière et travailleuse sociale arriveront avec des perspectives différentes. Cette interaction permettra de mettre en place un meilleur programme, croit-elle. « Les assureurs et les employeurs doivent assurer une approche de gestion globale de l’invalidité. Il faut avoir une approche qui va au-delà de s‘assurer que le participant reçoive un bon traitement en regard de son diagnostic. »

Éviter les rechutes

Pour sa part, Diane Miller Bourdon souligne qu’on aura beau avoir les meilleures pratiques, si le retour d’un employé est mal coordonné, on revient à la case départ. « Il y a alors rechute et peut-être une invalidité de plus longue durée encore », ajoute-t-elle. Un retour mal préparé débouchera sur une rechute dans plus de 50 % des cas, a quant à elle révélé Nathalie Laporte.

Il ne faut revenir ni trop tôt ni trop tard. Des cas sont parfois moins désespérés qu’on ne le croit, révèle un cas vécu présenté par Manon Charbonneau, présidente et fondatrice du Groupe de travail sur la stigmatisation-discrimination, présente au conseil d’administration de la Commission de la santé mentale du Canada.

« J’ai vu récemment une personne qui souffrait d’un stress post-traumatique où il ne semblait pas y avoir de retour possible. De notre côté, on croyait au rétablissement. Nous avons suggéré un retour au travail avec 7 mois d’assistance supplémentaires et le retour a fonctionné. On tue l’espoir si on n’envisage pas de retour possible », croit Mme Charbonneau.

Mme Miller Bourdon parle d’ailleurs de la stigmatisation dont souffrent les personnes atteintes de ces troubles. « J’ai entendu des employés dire : j’ai donné 25 ans de ma vie à cette entreprise. Je quitte pour un problème de santé mentale et c’est comme si je n’existais plus », dit-elle.

Développer les compétences des gestionnaires pour éviter la stigmatisation devient alors essentiel, mais ce n’est pas si simple, rappelle Carl Laflamme. « Plusieurs entreprises ne sont pas équipées pour former leurs gestionnaires. Il n’est pas facile non plus pour les gestionnaires, souvent débordés, d’assister à des formations. On ne peut songer à développer les compétences des gestionnaires si les dirigeants de l’entreprise ne sont pas sensibilisés à cette nécessité. Il faut parler à la tête. Si on pense que cela viendra de la base, on fait fausse route », tranche-t-il.

Si la dépression demeure la plus grande partie des troubles en cause dans l’absentéisme pour causes psychologiques, Marie-Hélène Pelletier invite l’industrie à ne pas sous-estimer les troubles d’adaptation, un mal en forte croissance.

Nathalie Laporte abonde. Elle explique qu’on a déjà vu de jeunes travailleurs de moins de 30 ans affectés à peine 2 ans après leur entrée au travail.

M. Laflamme se dit peu surpris de cette situation. On voit de plus en plus de cas de troubles mentaux chez les jeunes enfants. S’ils ne sont pas bien traités à cette étape, il y aura de sérieux risques de récidive. Manon Charbonneau révèle d’ailleurs que 70 % des adultes aux prises avec un trouble mental en ont ressenti les premiers symptômes dès l’enfance ou à l’adolescence.

« Sommes-nous plus malades qu’il y a 20 ans? Il y a 20 ou 30 ans, on travaillait beaucoup plus physiquement que maintenant, avec toute la technologie qui supplée à plusieurs tâches », signale Diane Miller Bourdon.