Deux décisions récentes en lien avec l’assurance des chantiers de construction ont attiré l’attention des juristes du cabinet Tremblay Bois Avocats.
Le 13 décembre dernier, l’Institut d’assurance de dommages du Québec présentait un webinaire sur la jurisprudence nouvelle de 2022. L’avocat Pierre-Alexandre Fortin avait préparé sa présentation grâce à la collaboration de Me Camille Mercier.
L’une des décisions commentées par Me Fortin concerne un jugement rendu le 10 février 2022 par la Cour supérieure dans la poursuite des demanderesses Constructions Nomade Faubourg Boisbriand et de deux compagnies à numéro contre les assureurs Temple, GCAN, Aviva Canada et Les Souscripteurs du Lloyd's.
Le 3 octobre 2008, un projet résidentiel en cours de construction a été la proie d’un incendie. Certains bâtiments achevés et d’autres inachevés ont été détruits ou lourdement endommagés. Des coûts directs ont été supportés pour les réparer ou les reconstruire et des coûts accessoires ont été engagés afin de rattraper les ventes perdues et de soutenir le financement du projet.
Les assureurs ont indemnisé les compagnies assurées pour les réparations. Dès janvier 2009, les assureurs ont accepté de verser 7,7 millions de dollars (M$), dont une partie de près de 3 M$ ne sera versée qu’en août 2009.
Pour compenser divers coûts accessoires, les assureurs versent une indemnité de 368 858 $ en octobre 2010. Les assurées jugeaient que l’indemnité reçue était insuffisante parce que plusieurs coûts accessoires n’ont pas été compensés.
La Cour précise que l’assurance chantier est une assurance de biens qui couvre les dommages directement causés à l’ouvrage par un des risques couverts par la garantie. Le contrat comprend l’avenant 33 qui élargit la portée de la garantie pour couvrir certains coûts accessoires.
Un gros projet
Construction Nomade (9131-1050 Québec inc.) est une société fondée en 2003. Le projet Faubourg Boisbriand est plus important que ceux réalisés par l’entreprise dans le passé, tant sur le plan de l’envergure que sur celui des ressources à déployer pour l’exécuter.
En conséquence, elle s’associe à 9167-1050 Québec inc., formée par deux investisseurs spécialisés dans le financement de projets immobiliers. Les deux compagnies ont créé la société en nom collectif Construction Nomade Faubourg Boisbriand pour gérer le projet.
Le financement est fourni par le Centre de financement aux entreprises du Mouvement Desjardins par l’entremise de la Caisse populaire Desjardins de Rosemont, qui offre une marge de crédit rotative de 12 M$ pour la construction du projet Pimbina I.
Le projet est assuré par l’entremise de la firme Myrna Bonneville. Deux polices couvrent le chantier, dont l’une est reliée au stationnement en béton construit sous les bâtiments 10 à 21, qui n’est pas visée par le litige.
Au moment de l’incendie, le projet assuré comprend les bâtiments 7 à 21 de Pimbina I ainsi que la phase A du Britania. Les 126 unités font l’objet de promesses d’achat acceptées et 36 d’entre elles sont déjà assujetties à une déclaration de copropriété et ne font plus partie du chantier. Un autre assureur les couvre. Des locataires occupent déjà des unités.
Le sinistre touche la majorité des 21 bâtiments de Pimbina I. Quatorze bâtiments sont détruits, deux sont lourdement endommagés, trois légèrement et deux sont presque intacts. Les autres phases ne sont pas touchées.
La Caisse gèle le crédit disponible le 24 octobre 2008 et les travaux sont suspendus, même dans les phases non touchées par l’incendie. Le sinistre sera lourd de conséquences pour les sous-traitants, les acheteurs et les occupants.
Les assureurs confirment qu’ils acceptent de couvrir la perte le 3 décembre 2008. Les travaux reprennent en janvier 2009. Construction Nomade entreprend les travaux de reconstruction et de réparation.
Comme les bâtiments ne seront pas livrés dans les délais, des promesses d’achat sont annulées. Des ressources additionnelles sont déployées pour les travaux et la vente. La reconstruction se termine à l’automne 2009. La remise en état du projet se situe au 1er juin 2009. Certaines ventes seront reportées jusqu’en 2011.
Les indemnités
Le tribunal condamne les assureurs défendeurs à verser un montant totalisant 466 539,50 $ à Constructions Nomade, soit 41 586 $ pour les frais additionnels de chantier et 424 874,50 $ pour les coûts accessoires. Des frais d’expertise de 62 500 $ s’ajoutent comme étant des frais de justice.
Les parties ne s’entendaient pas sur la date de fin des travaux du projet Pimbina I. L’assurée suggère janvier 2010. Les assureurs suggèrent la date du 30 septembre 2009, ou au plus tard le 30 novembre 2009, la date finalement retenue et qui correspond à un délai de six mois après la remise en état des lieux suivant le sinistre.
Les frais financiers sont décrits et assurés par l’avenant 33. Une réclamation de 6 000 $ correspondant aux coûts non indemnisés jusqu’à novembre 2009 est ainsi accueillie.
Concernant les frais de consultant du Groupe Alto, les assureurs alléguaient que ces frais ont été engagés près d’un an après le sinistre et qu’il n’y a pas de lien entre ceux-ci et la perte matérielle. C’est la Caisse populaire qui finançait le projet qui réclamait les services de cette firme.
Selon le tribunal, l’analyse d’Alto est intimement liée aux conséquences de l’incendie sur les coûts du projet et sur les besoins de trésorerie de l’entrepreneur. L’institution financière retient les déboursés des assureurs dans l’attente que le consultant lui fasse ses recommandations à la lumière de l’analyse sur les flux de trésorerie, laquelle est une conséquence directe de l’incendie.
La réclamation se limite aux frais facturés à la fin de novembre, lesquels totalisent 26 099 $. Ces coûts sont indemnisables sous l’avenant 33, mais pas ceux facturés au-delà de cette date, conclut le tribunal.
Les intérêts additionnels payés par les assurées en raison du sinistre s’élèvent donc à 111 035 $, pour la période du 1er juin au 30 novembre 2009, en plus d’une somme de 201 621 $ pour les intérêts non indemnisés pour la période allant de l’incendie jusqu’au 1er juin 2009.
À compter du parachèvement du projet le 30 novembre 2009, le délai pour vendre les unités ne peut être attribuable aux dommages occasionnés par le sinistre, ajoute le tribunal.
Gestion des ventes
Par ailleurs, la réclamation pour les frais du consultant Gilles Robitaille, chargé de la gestion des ventes après le sinistre, est accueillie en partie. Le tribunal estime raisonnable que la moitié des honoraires facturés jusqu’au 30 novembre 2009 représente les frais engagés pour la remise en marché du projet Pimbina I en raison de la perte des acheteurs reliée au retard dans l’achèvement du projet. Le tribunal accorde 23 282,50 $.
Par ailleurs, le tribunal octroie une indemnité de 5 810 $ pour le loyer additionnel et les frais, soit 4 160 $ pour l’entretien ménager, ce qui correspond à 16 heures par mois pendant 13 mois, et 1 650 $ pour les coûts de main-d’œuvre pour créer une unité modèle vu l’impossibilité de vendre les unités en triplex.
L’avenant 33 comprend aussi les coûts de portage divers, lesquels se limitent à l’impôt foncier, les permis de construction et les primes d’assurance. Les coûts sont supportés par l’assurée une fois que les dommages à son chantier sont réparés, et ceux-ci découlent de l’annulation des ventes et du délai pour revendre les unités. Au 30 novembre, cette réclamation est estimée à 51 027 $ en tenant compte de l’indemnité déjà versée pour la période allant de l’incendie jusqu’au 1er juin 2009.
Certaines des réclamations faites par Construction Nomade n’ont pas été retenues par le tribunal. Les assureurs sont condamnés au prorata de leur participation au risque souscrit, à savoir : Temple (7,5 %), GCAN (14,5 %), Aviva (5 %) et Lloyd’s (73 %).
Enfin, les demanderesses devront verser les frais de justice de Myrna Bonneville inc., vu l’abandon des procédures en cours de procès. Les demanderesses ont omis de respecter l’obligation énoncée à l’article 20 du Code de procédure civile et qui impose aux parties de coopérer et de s’informer mutuellement.
Le tribunal est d’avis que Bonneville ne pouvait demeurer silencieuse concernant les avenants sur le délai d’ouverture révélés par le témoignage entendu par la cour. Cependant, l’information sur le sujet était disponible avant le procès. Les demanderesses ayant abandonné leur recours en cours de procès vu la preuve lacunaire constituée, elles sont condamnées aux frais de justice envers Bonneville.
Requête Wellington
L’autre affaire reliée à l’assurance chantier commentée par Me Fortin concerne une décision rendue le 5 juillet dernier par le juge Andres Garin de la Cour supérieure.
Dans cette affaire opposant Bridor c. la compagnie 9078-4497 Québec, le tribunal devait se prononcer sur les distinctions entre une police d’assurance chantier de type « Builder’s Risk » et une police d’assurance responsabilité de type « Wrap-Up ».
Bridor, entreprise spécialisée dans la boulangerie et la pâtisserie, utilise les services d’un fournisseur, la compagnie à numéro ci-dessus mentionnée faisant affaire sous le nom de Construction Mikado, pour réaliser les travaux d’agrandissement de ses installations. Les deux polices couvrant le projet et ses intervenants ont été émises par Starr Insurance & Reinsurance.
Dans une requête de type Wellington, Mikado demande à l’assureur de prendre fait et cause pour les dommages survenus aux panneaux architecturaux formant les murs extérieurs de l’agrandissement. La demande s’appuie exclusivement sur la police chantier et vise seulement la réclamation de Bridor concernant les panneaux, laquelle est estimée à un million de dollars (M$).
Selon Mikado, les allégations de la demanderesse sont tenues pour avérées et l’assureur a l’obligation d’assumer sa défense en raison de la possibilité d’une indemnisation.
Le tribunal donne raison à l’assureur et refuse la requête. L’obligation légale de l’assureur de défendre son assuré s’applique uniquement en matière d’assurance de responsabilité, écrit le juge Garin.
« Cette réalité est absente en cas d’assurance de biens dont la finalité consiste à indemniser l’assuré pour des pertes matérielles qu’il subit », ajoute le tribunal. La Cour d’appel du Québec a confirmé cette compréhension de l’assurance chantier dans la décision rendue en 2009 par la Cour d’appel dans l’arrêt concernant l’assureur Optimum et Plomberie Raymond Lemelin.