Depuis une décennie au Canada, les pertes catastrophiques assurées augmentent à un rythme annuel de près de 9 %, « ce qui n’est pas soutenable », selon la professeure Mary Kelly

Mme Kelly, directrice des programmes en assurance de l’Université Wilfrid-Laurier, signe une chronique dans le bulletin trimestriel Parlons solvabilité de janvier 2025. Publié par la Société d’indemnisation en matière d’assurance IARD (SIMA, ou PACICC selon son acronyme anglais), son texte s’intitule Combler les lacunes de l’assurance contre les risques de catastrophes pour le Canada

Les pertes enregistrées en 2024 à la suite des sinistres catastrophiques survenus en Alberta, en Ontario et au Québec montrent qu’il n’y a aucune région du pays qui est à l’abri des grandes catastrophes induites par le climat, indique-t-elle. 

Une étude de la SIMA publiée en 2023 sur les cas d’insolvabilité chez les assureurs soulignait que les pertes découlant des changements climatiques représentaient un risque d’insolvabilité grandissant à la grandeur de la planète. La SIMA a des moyens limités de gérer des faillites, rappelle la professeure Kelly. 

« Dans le cas de faillites exigeant des fonds de plus de 3 G$, la seule activation du mécanisme de perception des cotisations de la SIMA aurait pour effet de créer des risques systémiques pour l’ensemble de ses membres assureurs. »

Cette fragilité met en évidence la nécessité de réformes systémiques pour assurer la stabilité et la résilience du marché de l’assurance. L’auteure énumère ensuite la gamme des options qui s’offrent aux gouvernements et aux assureurs pour créer des programmes d’assurance contre les risques catastrophiques. 

« L’assurance facilite le redressement financier après les catastrophes, mais elle ne peut les prévenir. L’augmentation des primes dans les zones très exposées risque d’exclure les populations vulnérables et d’inciter les assureurs à se retirer des régions », écrit Mary Kelly, ce qui fait écho à la situation en cours en Californie en raison des feux de forêt de janvier 2025

Les modèles d’assurance traditionnels montrent leurs limites pour couvrir des événements à évolution lente, comme l’élévation du niveau de la mer. Mme Kelly suggère aux gouvernements divers moyens à adopter pour atténuer les risques et améliorer la résilience des collectivités aux extrêmes météorologiques. La révision des codes du bâtiment et la limitation de la construction dans les zones à risque élevé sont des solutions à envisager, écrit-elle. 

Partage des risques 

Le partenariat entre les gouvernements et les sociétés privées « est au cœur de la création de cadres d’assurance catastrophe », poursuit-elle. Des événements inédits comme l’ouragan Andrew (en 1992) et les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ont déstabilisé les marchés privés et ont révélé les faiblesses de l’assurance catastrophe. Les ententes de partage de risques ont été révisées.

« Ces réajustements peuvent mener à l’établissement de mécanismes de marché résiduel pour couvrir les biens à haut risque et rétablir la confiance du marché », indique Mary Kelly.

Des ententes structurées de réassurance couvertes par des garanties gouvernementales « donnent aux assureurs la confiance nécessaire à offrir des couvertures dans les zones à haut risque », ajoute-t-elle en donnant l’exemple de l’assurance paramétrique. Des programmes qui déclenchent le versement rapide des indemnités selon des critères précis contribuent à l’efficacité et à la rapidité de la réponse aux événements catastrophiques. 

« Alors que les changements climatiques s’accélèrent, le coût de l’inaction ne peut que progresser », écrit-elle. La création du Programme national d’assurance contre les inondations est une première étape cruciale pour le Canada, mais l’élargissement des cadres d’assurance pour inclure les feux de forêt et autres périls pourrait contribuer à combler les lacunes en matière de couverture, selon la professeure Kelly. 

Les séismes 

Selon Alister Campell, les mécanismes privés de transfert de risque pour ceux qui sont exposés à des périls catastrophiques sont toujours préférables au paiement après le fait par les programmes gouvernementaux, car les pertes sont alors supportées par les contribuables, incluant ceux qui sont peu ou pas exposés au risque. 

Dans son texte publié dans le même bulletin, M. Campbell, qui est PDG de la SIMA, constate que les changements climatiques engendrent maintenant des catastrophes naturelles qui dépassent les estimations historiques des modèles actuariels. 

Les moyens que peuvent prendre les assureurs pour demeurer rentables dans ce contexte sont éprouvés : tarification, franchise, exclusion, sous-limites, etc. Ultimement, si la combinaison de ces moyens ne suffit pas, l’assureur refuse de couvrir le risque au renouvellement, explique-t-il. On crée ainsi un déficit de protection qui s’accentue avec le temps. 

À cet écart, l’assurance contre le risque de séisme est un exemple de ce scénario de déficit de protection. En Colombie-Britannique, la prime trop élevée fait en sorte qu’une large proportion de propriétaires choisissent de ne pas inclure cette couverture dans leur police. Ceux qui acceptent de la payer se font néanmoins imposer des franchises élevées et des exclusions importantes.

« Il est fort probable que, lorsqu’un séisme de très grande envergure frappera la Colombie-Britannique, la proportion de pertes non assurées fera apparaître un énorme déficit », écrit-il. 

Au Québec, où la probabilité d’un séisme est aussi élevée, la combinaison des prix proposés et du faible risque perçu par les consommateurs produit « des taux anémiques d’adhésion à l’assurance contre les séismes ». Les propriétaires seront couverts contre le risque d’incendie consécutif à un tremblement de terre, mais une large portion du risque total demeure non assurée. Encore là, les pertes éventuelles seront « socialisées », souligne M. Campbell. 

« Il est inexcusable qu’un pays du G7 comme le Canada accuse un déficit de protection si énorme », ajoute-t-il en déplorant l’inaction du gouvernement fédéral en matière d’assurance contre le risque sismique. 

Comme chercheur émérite à l’Institut C.D. Howe, Alister Campbell a récemment publié la mise à jour d’une étude sur le coût de l’assurance au Canada et ailleurs dans le monde. Les assureurs utilisent déjà la tarification comme moyen de paiement des pertes éventuelles. Ce mécanisme n’est pas adéquat, car les prix déjà élevés de l’assurance montent plus vite au Canada que dans le reste des économies développées.

« J’en conclus qu’étant donné que notre pays ne dispose pas de mécanismes de partenariat public-privé pour partager le risque de catastrophe naturelle, les Canadiens (…) paient le plein prix pour tous les risques extrêmes. Résultat ? Notre déficit de protection est plus élevé… et fort probablement en expansion », indique M. Campbell. 

Feu de Jasper 

Par ailleurs, concernant les sinistres catastrophiques de l’été 2024, le Bureau d’assurance du Canada (BAC) vient de mettre à jour l’estimation de la facture des dommages assurés découlant des feux de forêt qui ont ravagé Jasper en Alberta. Il s’agit du deuxième sinistre du genre le plus coûteux de l’histoire canadienne.

L’estimation provient de Catastrophe Indices and Quantification (CatIQ), qui l’a rendue publique le 27 janvier dernier. Six mois après faits, CatIQ vient de publier sa quatrième estimation, qui atteint désormais 1,23 milliard de dollars (G$).

Cela comprend à la fois l’assurance de dommages des particuliers (auto et habitation) et des entreprises. CatIQ souligne d’ailleurs que la moitié des dommages assurés provient des polices souscrites par les entreprises ou les organismes. 

Le complexe des feux a touché la région de Jasper du 22 juillet au 17 août 2024. Deux incendies signalés dans le parc national au sud et au nord-est ont forcé l’évacuation de la municipalité. Le feu du côté sud, alimenté par le vent, a touché la municipalité dans la soirée du 24 juillet. 

Quelque 358 des 1 113 structures de Jasper ont été endommagées partiellement ou totalement par le feu. Quelque 1 700 réclamations sont issues de ces feux. Même s’il y a eu des incendies dans des agglomérations plus densément peuplées à Kelowna (Colombie-Britannique) et Halifax (Nouvelle-Écosse) en 2023, l’intensité des feux à Jasper a empiré les dommages. 

La troisième estimation de CatIQ, faite trois mois après le sinistre, était de 1,05 G$. La première estimation des dommages assurés était de 880 millions de dollars, souligne le BAC. Une cinquième et dernière estimation sera publiée fin juillet 2025. 

À titre comparatif, CatIQ souligne qu’en 2016, les quelque 33 000 réclamations en assurance de dommages associés aux feux de Fort McMurray ont coûté 3,64 G$ en dommages assurés.

Ainsi, le coût moyen de réclamation à Jasper est quatre fois plus élevé qu’il ne l’était à Fort McMurray. « Cela souligne la réalité qu’un incendie n’a pas besoin d’une empreinte massive pour causer des pertes importantes », note Laura Twindle, présidente de CatIQ.