La transaction qui a fait passer Jevco dans le giron d’Intact Corporation financière a réduit le nombre d’options qu’ont les grossistes pour aider les courtiers à souscrire des risques non standards. La transaction n’a toutefois pas que des effets négatifs pour eux. Elle a fait en sorte que les courtiers font plus appel à leurs services que jamais.John Morin, président de Morin Eliott et Associés, n’a pas hésité à qualifier cette transaction de « triste » lorsque le Journal de l’assurance l’a interrogé sur le sujet. « Jevco était une compagnie de valeur, car elle était libre d’accès. Cela signifie qu’on pouvait accéder à elle, sans lui promettre un volume. Le fait qu’elle ait été achetée par un assureur régulier fait une grande différence en ce sens, dit-il. À présent seuls Echelon et Pafco sont des assureurs libres d’accès. »
Résultat : pour profiter des produits de Jevco, il faut faire affaire avec Intact. Cela a donc incité plusieurs grossistes à travailler avec Intact.
Le même phénomène s’est produit à la suite de l’acquisition d’AXA par Intact. C’est le cas d’April Canada, qui s’est rapproché d’Intact à ce moment. « Ça n’a pas entrainé de changements dans nos procédures, car des anciens d’AXA exercent maintenant chez Intact », dit Bernard Laporte, président d’April Canada.
Quant au cabinet Morin Elliott et Associés, qui ne travaillait pas avec AXA avant l’acquisition, il s’est aussi tourné vers Intact à la suite de la transaction annoncée le 31 mai 2011.
Selon Guy Boissé, président de Service de Courtage National (SCN), les acquisitions entre compagnies d’assurance donnent lieu à une « belle période » pour les grossistes. « La diminution du nombre d’assureurs entraine une hausse des demandes adressées aux grossistes. À chaque transaction, le volume de nos demandes augmente de 10 % à 15 %. Ces derniers deviennent alors un marché alternatif qui n’est pas uniquement sollicité pour des risques sous standards. Ainsi, nous participons à la couverture de plus de risques », relève-t-il.
M. Boissé dit regretter, lui aussi, que les courtiers perdent un assureur qui n’exigeait pas de volume. De plus, il indique que l’offre d’Échelon est plus limitée que celle que proposait Jevco.
Au dire de ce dernier, la vague de consolidation atteindra bientôt les grossistes. « Il y a plus de 60 grossistes au Canada. Le marché arrive à saturation. SCN se positionne comme acheteur », dit M. Boissé.
M. Morin abonde dans le même sens. Il estime aussi que le marché pourrait connaitre une consolidation, « même si cela n’a pas été la tendance » au cours des dernières années. Il indique toutefois que son entreprise n’a pas de « plan d’acquisition ».
Une expertise à acquérir
Acquérir un grossiste ne suffit pas pour réussir dans le marché non standard. Il faut y détenir une certaine expertise en souscription pour y connaitre du succès.
Il est important de bien analyser le risque, mais aussi la personne à assurer, dit M. Morin. Il va même jusqu’à dire qu’il est plus important d’analyser la personne qui demande une couverture que le risque lui-même.
« Si l’on veut couvrir une maison vacante, il faut connaitre les projets de son propriétaire. Il faut savoir pourquoi il possède cette maison. Il faut savoir s’il veut la garder ou la vendre », donne-t-il en exemple. Une information sur le voisinage de la maison peut aussi être importante. « Les courtiers devraient mentionner tout ce qu’ils savent sur le risque, pour l’offrir à nu », dit M. Morin.
Selon le courtier émérite, qui s’est d’ailleurs vu remettre pour la première fois la distinction de courtier ayant contribué au développement de la profession par le Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) à l’automne (le prix porte d’ailleurs son nom !), un bon grossiste doit accorder plus d’attention à la souscription qu’au volume de risques couverts. « Le grossiste a tout intérêt à pratiquer une souscription sérieuse. Il ne doit pas tout assurer, juste parce qu’il peut fixer des prix élevés. Ce serait hasardeux », fait remarquer M. Morin. De même, il estime que le grossiste ne doit pas faire de la rétention des clients, son souci premier.
Le grossiste doit employer des souscripteurs spécialisés à même de bien évaluer les risques. Ainsi, au sein du cabinet Morin Elliott et Associés, certains souscripteurs sont spécialisés en assurance aux entreprises et d’autres en assurance habitation. « Nous avons une personne qui se charge uniquement des dossiers criminels », donne en exemple M. Morin.
Chez April Canada, certains souscripteurs sont spécialisés en responsabilité civile, d’autres en biens. Quant au grossiste Service de courtage national, qui possède des souscripteurs spécialisés notamment en responsabilité civile, il dit vouloir se spécialiser davantage.
Autre atout pour un grossiste : compter sur les talents de souscripteurs aguerris. « Pour avoir un bon spécialiste, ça prend une dizaine d’années », souligne M. Laporte. Aussi l’entreprise compte-t-elle dans ses rangs, des souscripteurs de niveaux junior, intermédiaire et senior. M. Boissé partage ce point de vue. Selon lui, posséder 10 ans d’expérience est un minimum pour être un spécialiste en assurance sous-standard.
Selon M. Morin, si un souscripteur part de zéro, il lui faudra cinq années pour devenir un spécialiste. Il en est autrement pour les souscripteurs ayant déjà les de l’expérience. « Deux souscripteurs de notre entreprise, ayant souscrit des risques réguliers pour des assureurs durant 20 et 25 ans, ont mis deux bonnes années pour se faire la main », ont mentionné M. Morin et Roger Lanctot, directeur de la souscription chez Morin Elliott et Associés.
Expérience essentielle
À quoi ressemble le profil d’un souscripteur ? Au dire de M. Boissé, le souscripteur type détient une expérience dans le courtage, particulièrement dans le service et placement de comptes majeurs et spéciaux, ainsi qu’une expérience de souscription chez un assureur. Certains ont acquis une expérience dans des segments de marché particuliers, tels que celui en erreurs et omissions. « Jadis les souscripteurs des grossistes était souvent considérés comme les laissés pour contre des assureurs, maintenant on y retrouve plusieurs érudits multi-diplômés en assurance qui ont choisi l’environnement moins routinier d’un grossiste, comparativement à celui de la compagnie d’assurance », explique-t-il.
M. Laporte ajoute qu’un grossiste tire avantage du fait de traiter avec un courtier spécialisé. « La discussion est plus pertinente qu’avec un courtier généraliste », note-t-il. Mais les experts rencontrés disent ne pas toujours en avoir l’occasion. « Les cabinets de courtage ne compte pas tous des courtiers spécialisés. Cela dépend de la stratégie de chacun », mentionne M. Laporte.