Dans une lettre récemment expédiée au ministre des Finances du Québec, Éric Girard, un collectif de quelque 650 conseillers financiers l’exhorte à mettre fin au préjudice que subissent selon eux les représentants en épargne collective.

Inscrits auprès du courtier en épargne collective Desjardins Sécurité financière Investissements (DSFI), ces conseillers sont membres d’une société sans but lucratif appelée Conseil des Partenaires du Réseau SFL. Ils font affaire avec SFL Placements, cabinet de services financiers.

Gilles Garon

Président du Conseil des Partenaires du Réseau SFL, Gilles Garon rappelle dans la lettre qu’un représentant en épargne collective ne peut s’incorporer, à moins de détenir un droit d’exercice dans une autre discipline qui le permette, telle l’assurance de personnes. Le représentant peut partager le revenu tiré de commissions de fonds communs à son cabinet incorporé en assurance de personnes.

Le représentant devra toutefois déclarer ses revenus de commission sur une base personnelle, ce qui entraîne pour lui un fardeau fiscal supplémentaire. Le Conseil des Partenaires du Réseau SFL dit écrire à Éric Girard après avoir constaté l’absence de mesures visant à corriger la situation dans le dernier budget du ministre.

Rectifier le tir par règlement 

Inscrit en tant que représentant en assurance collective, en assurance de personnes, en planification financière et en épargne collective, M. Garon souligne que l’absence d’un droit formel d’incorporer un cabinet d’épargne collective crée un flou juridique. Ce flou permet d’après lui « à Revenu Québec et à l’Agence du revenu du Canada (ARC) de cotiser les représentants qui partagent les commissions auxquels ils ont droit avec leur cabinet en services financiers ». 

Il existe pourtant un moyen simple de rectifier le tir, croit le conseiller : l’Autorité des marchés financiers doit adopter un règlement « qui permette expressément au représentant en épargne collective d’exercer ses activités par l’entremise d’une société par actions dont il serait actionnaire », écrit-il. 

Surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution à l’Autorité, Éric Jacob a pour sa part dit lors du Colloque du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ) du 10 mai 2022 qu’une modification législative serait nécessaire pour régler la situation. La loi à laquelle fait référence M. Jacob est la Loi sur les valeurs mobilières du Québec (LVM). 

En entrevue avec le Portail de l’assurance, Gilles Garon a fait valoir que le ministre pourrait facilement permettre à l’Autorité de procéder par règlement, pour rendre possible l’incorporation des représentants en épargne collective.

« Tout ce dont nous avons besoin, c’est que le ministre porte son regard sur cette situation et dise à l’Autorité que la situation d’aujourd’hui est anachronique, et qu’il faut la régler », ajoute M. Garon. Il s’agirait selon lui de considérer les revenus de commission des fonds communs comme le sont ceux des fonds distincts, sans avoir à remettre en question la LVM.

Faire comme l’ACFM 

Le Conseil des Partenaires du Réseau SFL signale que les règles de l’Association canadienne des courtiers en fonds mutuels (ACFM ou MFDA en anglais) permettent au représentant en épargne collective de s’incorporer.

Il suggère que l’Autorité adopte par règlement des dispositions similaires à celle de l’ACFM. « Les représentants qui le souhaitent seraient en mesure de faire allouer les revenus générés par leurs activités professionnelles en épargne collective à cette entité », peut-on lire. 

L’amendement de la LVM ne suffit pas 

Le problème a fait surface lorsque le législateur a transféré les disciplines d’épargne collective et des plans de bourse d’études à la LVM en septembre 2009. Ces disciplines étaient régies par la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) depuis 1999. L’article 100 de la LDPSF permettait aux représentants en épargne collective de partager des commissions à un autre cabinet. Depuis le transfert de 2009, le représentant en épargne collective ne peut plus se prévaloir de cet article.

Après des années de tolérance, l’Autorité a rappelé en 2016 que le versement de la rémunération découlant d’activités en valeurs mobilières ne peut se faire qu’à une personne inscrite. Le régulateur a alors précisé que le partage de commissions entre un courtier en épargne collective et un cabinet en services financiers n’était plus possible, rappelle Gilles Garon. 

Il écrit par ailleurs que le législateur a ajouté l’article 160.1.1 à la LVM en 2018, pour corriger une omission lorsque la discipline d’épargne collective a été transférée sous cette loi en 2009. Selon l’article 160.1.1, le courtier en épargne collective peut partager la commission qu’il reçoit avec un autre courtier ou conseiller régi par la LVM, un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome régie par la LDPSF.

« La LVM ne précise pas dans quelles circonstances ni pour quelles raisons un courtier en épargne collective peut partager les commissions qu’il reçoit avec d’autres intermédiaires », signale cependant M. Garon. 

Des années de pressions sans succès 

Gino-Sebastian Savard

L’industrie dénonce depuis longtemps la situation difficile des représentants en épargne collective. Des agents généraux avaient réagi à un durcissement de ton de l’Autorité dans un avis publié en janvier 2016. En copie de la lettre du Conseil des Partenaires du Réseau SFL, Gino-Sébastian Savard a salué la qualité de son travail, en entrevue avec le Portail de l’assurance

« Il ne peut être plus en ligne avec l’argumentaire que nous soutenons depuis plusieurs années », renchérit le président de MICA Cabinets de services financiers. Il lui semble incompréhensible que l’Autorité garde une position qui n’a, selon lui, aucun fondement logique.

M. Savard souligne qu’un représentant peut sans problèmes partager à son cabinet d’assurance des commissions de fonds distinct. Il en va autrement pour les commissions de fonds communs. M. Savard explique que le représentant en épargne collective peut partager ces commissions à son cabinet d’assurance, mais doit justifier chaque partage effectué si le fisc vérifie ses revenus. « La loi permet le partage, mais Revenu Québec l’interprète en ne considérant que le règlement de l’Autorité », dit le président de MICA.

Partager ou s’incorporer 

Mathieu Goulet

Vice-président, finances de MICA, Mathieu Goulet observe que le problème prend racine à l’instauration de la LVM, parce qu’elle ne prévoyait pas les mêmes possibilités que la LDPSF en matière de partage de la rémunération entre un individu et un cabinet. « Il a alors fallu jauger entre une loi plus permissive (LDPSF) et l’autre moins (LVM), ce qui a créé un flou. On était entre deux lois qui nous faisaient pencher vers un partage possible ou pas de partage du tout », a-t-il dit en entrevue avec le Portail de l’assurance

La modification apportée à la LVM en 2018 n’a pas réglé le problème. « Le partage a été permis, mais pas l’incorporation pure d’une pratique en épargne collective. Revenu Québec est venu s’instituer en juge pour déterminer ce qui est ou non un partage raisonnable vers un cabinet inscrit à la LDPSF, effectué par un individu qui reçoit la commission en fonds communs », relate M. Goulet.

Il ajoute que cette position du fisc a poussé le réseau de distribution à réclamer la pleine incorporation, sans équivoque ni zone grise. « Nous avons demandé qu’il y ait encore moins d’ambiguïté, quitte à enlever les paragraphes permettant le partage, et simplement permettre l’incorporation à 100 %. »

Partage raisonnable… 

En attendant, il n’est pas facile pour un représentant en épargne collective de démontrer au fisc que le partage à son cabinet d’assurance est raisonnable. Mathieu Goulet voit une seule situation dans laquelle le fisc considérera que le partage est adéquat : s’il survient dans le cadre d’un référencement (ou indication de client). 

Selon M. Goulet, Revenu Québec jugera raisonnable le partage « d’une certaine portion de la commission de fonds communs, si le cabinet inscrit à la LDPSF a effectué un service de référencement en faveur de son représentant et actionnaire, en lui transférant un client de fonds communs ».

Il précise que le cabinet facturera cette portion à son représentant, soit le montant d’une commission de référencement, plus taxe. « Cette portion-là qui est jugée raisonnable et qui sera envoyée au cabinet est extrêmement faible, car le cabinet ne rend selon le fisc aucun service à part référer son client au représentant », dit M. Goulet.

Le vice-président, finances de MICA, se demande pourquoi le fisc s’attaque uniquement au partage d’une commission en fonds communs entre un représentant et son cabinet, et non au partage d’une commission entre deux représentants. Il se demande aussi pourquoi Revenu Québec permet au représentant de partager une commission de fonds distinct avec son cabinet, même en totalité, sans poser aucune question. 

Mathieu Goulet trouve inéquitable que le fisc cible le secteur des fonds communs. « Pourtant, la LVM dit noir sur blanc permettre le partage d’une commission en fonds communs entre un individu et son cabinet inscrit à la LDPSF », rappelle Mathieu Goulet au sujet de l’article 160.1.1 de la LVM. « Si le fisc et la jurisprudence fiscale s’appuient sur des principes commerciaux, pourquoi Revenu Québec s’entête-t-il à faire fi d’une loi qui régit le commerce de l’épargne collective au Québec ? » C’est la position que M. Goulet a avancée auprès de Revenu Québec.

… Ou argent remis 

En attendant une réponse définitive de Revenu Québec, Mathieu Goulet observe que le fisc peut annuler le traitement fiscal de tous les revenus transmis par le représentant en épargne collective à sa corporation, par exemple dans les trois dernières années. Il traite ensuite ces revenus comme s’ils avaient été gagnés personnellement.

M. Goulet explique que Revenu Québec remet la facture au représentant sous forme de « projet de cotisation ». Pour s’y opposer, le représentant doit prouver qu’il s’agit d’un partage de commission de référencement, dans une proportion qui justifie le montant transmis à la corporation.