Pour le représentant en assurance de personnes, l’incorporation d’un cabinet permet de partager les commissions qu’il reçoit de façon fiscalement avantageuse. À l’achat d’un bloc d’affaires d’un autre conseiller, l’incorporation permet aussi au représentant en assurance de personnes de rembourser le vendeur à même les revenus de sa compagnie, plutôt qu’avec ses revenus personnels. 

Cette possibilité échappe aux représentants en épargne collective, en raison de divergence entre les lois actuelles et la position de Revenu Québec

Éric Jacob

Surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution à l’Autorité des marchés financiers, Éric Jacob s’est fait demander où en était ce dossier, lors du Colloque des fonds d’investissement. Cet événement organisé par le Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ) s’est déroulé virtuellement le 10 mai 2022. 

Éric Jacob confie que le sujet des accords de versement de commission à des tiers est complexe et que de nombreux éléments doivent être pris en considération. « Un groupe de travail composé de parties prenantes concernées aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), auquel participe l’Autorité, a été créé dernièrement », a-t-il ajouté. 

M. Jacob rappelle que l’article 160.1.1 de la Loi sur les valeurs mobilières autorise le partage des commissions pour les courtiers en épargne collective, selon les mêmes modalités de l’article 100 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF). L’article 160.1.1 dit entre autres que le courtier en épargne collective peut partager la commission avec un autre courtier, ou un conseiller régi par la loi. Il peut aussi le faire auprès d’un cabinet, un représentant autonome ou une société autonome régie par la LDPSF. Pour sa part, l’Autorité avait adapté sa réglementation en conséquence. 

Changement législatif requis 

Il faudra plus qu’un changement à la réglementation pour en arriver à une solution pour les représentants en épargne collective, selon les propos du surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution. 

« La détermination du cadre fiscal applicable aux courtiers ne relève pas de l’Autorité. Je n’ai pas le pouvoir de permettre l’incorporation des représentants de façon préliminaire. On pense qu’une modification législative serait nécessaire pour le permettre. Nous sommes rendus au bout de ce que l’on pouvait faire », reconnaît Éric Jacob. 

Des problèmes au Québec 

« Plusieurs parties prenantes nous ont avisés pour que l’on permette l’incorporation des représentants en épargne collective », rapporte Éric Jacob. L’incorporation leur permettrait de bénéficier des mêmes allègements dont bénéficient les représentants en assurance de personnes, ajoute-t-il.

Dans un mémoire déposé à la consultation des ACVM sur le nouveau cadre réglementaire des organismes d’autoréglementation (énoncé de position 25-404) en 2021, le CFIQ a souligné des problèmes vécus au Québec en raison du partage de commissions à un cabinet tiers. 

« En 2020 et 2021, Revenu Québec (RQ) a émis des avis de cotisation à plusieurs représentants ayant effectué un partage, au motif qu’il ne reconnaît pas la validité dudit partage. Cette position de RQ est contraire aux dispositions de la LVM (Lois sur les valeurs mobilières), dénonçait le CFIQ. Ces avis de cotisation, parfois pour des montants importants, menacent la continuation même des activités professionnelles de ces représentants qui ont pourtant agi de bonne foi et à l’intérieur des paramètres de la LVM. » 

Un rappel du cas des agents généraux 

Une rencontre de clarification avec Revenu Québec en juin 2021 n’a pas apaisé le CFIQ. « À leurs yeux, le partage de commissions d’un représentant en épargne collective avec un cabinet en assurance n’est pas valide puisque ce n’est pas le cabinet qui a rendu le service », peut-on lire dans son mémoire. Une position qui rappelle celle prise par Revenu Québec d’appliquer la taxe de vente du Québec (TVQ) et la taxe sur les produits et services (TPS) aux revenus de commissions des agents généraux.

Au terme de la rencontre, Revenu Québec a expliqué verbalement au CFIQ que le cabinet peut recevoir des honoraires de la part du représentant, mais seulement une fois que le représentant a déclaré toutes ses commissions comme revenus personnels. « Ces honoraires payés au cabinet seraient de même nature que des honoraires payés pour d’autres services », a commenté le CFIQ. 

Incorporation : seule avenue 

Le CFIQ voit un conflit entre l’interprétation que fait Revenu Québec de la Loi sur les impôts, et la LVM. Selon le CFIQ, cette interprétation annule le bénéfice du partage des commissions, que le législateur voulait accorder aux représentants en épargne collective en adoptant le projet de loi 141 en 2018.

« La seule manière complète, efficace, claire et prévisible de régler cet enjeu est d’accorder la possibilité aux représentants en épargne collective d’incorporer leurs activités. L’incorporation des représentants aurait le grand avantage de régler, une fois pour toutes et de manière non équivoque, la situation problématique que nous vivons avec l’interprétation fiscale sur le partage des commissions au Québec », conclut le CFIQ.

Nouvel OAR : règles ou principes ?  

La révision amorcée en décembre 2019 par les ACVM arrivera bientôt à son terme, malgré les nombreux remous qu’elle a suscités. Le 1er janvier 2023, un nouvel organisme d’autoréglementation en fonds communs et en valeurs mobilières regroupera l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM) et l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).

Du même coup, le Fonds canadien de protection des épargnants (FCPE) et la Corporation de protection des investisseurs (de l’ACFM) deviendront un seul Fonds de garantie. Les courtiers du Québec ne verseront pas de cotisations au nouveau fonds de protection des épargnants pour les comptes situés dans cette province. Ils continueront toutefois d’en verser au Fonds d'indeminsation des services financiers. 

Les ACVM ont dévoilé le 12 mai 2022 le nom des membres qui formeront le conseil du Nouvel OAR et celui du nouveau Fonds de garantie. Elles ont du même coup lancé plusieurs consultations visant entre autres la reconnaissance des deux entités à venir. 

Le regroupement au sein d’un Nouvel OAR soulève plusieurs questions dans l’industrie : certaines ont été débattues avec l’Autorité des marchés financiers, lors du Colloque. Courtiers et représentants se demandent ainsi de quel côté penchera le nouvel encadrement : vers un modèle fondé sur des principes comme le font les ACVM, ou vers un modèle plus prescriptif comme celui de l’ACFM ? 

« Les membres vont définir ensemble les règles qui seront appliquées. Il y a un bout qui appartient à l’organisation qui va naître. Il est raisonnable de penser que ce chantier prendra plusieurs mois », a répondu Éric Jacob. 

Supervision et dédoublements 

À une autre question, l’Autorité s’est défendue que l’arrimage du Nouvel OAR aux autres entités réglementaires puisse créer des doublons réglementaires. « L’Autorité travaillera avec le Nouvel OAR et la Chambre de la sécurité financière pour coordonner les efforts de mise en place », a répondu Éric Jacob. Il soutient que l’Autorité limite déjà dans la mesure du possible les dédoublements avec la Chambre, dans ses activités de supervision, d’inspection et d’application des règlements.

En ce qui touche la collaboration avec le Nouvel OAR, Éric Jacob rappelle que l’Autorité continuera de procéder aux inspections et aux enquêtes en ce qui concerne les activités au Québec des courtiers en épargne collective, durant la période transitoire », dit M. Jacob. L’Autorité évaluera la possibilité d’effectuer des inspections en collaboration avec le Nouvel OAR, en certaines circonstances. Il explique qu’une fois dans sa phase permanente, le Nouvel OAR inspectera courtiers et représentants en épargne collective selon ses règles, sans le concours de l’Autorité. 

En outre, le surintendant à la distribution a assuré qu’il n’y aura pas de changements à l’inscription des courtiers et des représentants en épargne collective au cours de la phase transitoire. « Pour faciliter l’adhésion, les courtiers inscrits au Québec seront présumés satisfaire à l’obligation d’adhésion au Nouvel OAR, à partir du 1er janvier 2023 », ajoute-t-il. 

Coûts proportionnels aux services 

Hugo Lacroix

Appelé à se prononcer sur les droits qu’imposera le Nouvel OAR, Hugo Lacroix a quant à lui signalé que sa structure tarifaire n’est pas encore définie. Elle le sera après le début des activités de l’organisme, assure le surintendant des marchés de valeurs de l’Autorité.

Les ACVM souhaitent que la tarification soit basée sur les coûts de fonctionnement du Nouvel OAR. M. Lacroix précise que la tarification devra permettre de répartir équitablement et proportionnellement les coûts, selon les activités des membres. « Les membres ne sont pas tous dans le même modèle d’affaires. Le principe est que le niveau des droits ne doit pas être un obstacle déraisonnable à l’accès. » 

Hugo Lacroix signale qu’il y aura « une période de transition d’environ un an à partir du 1er janvier 2023, jusqu’à ce que les règles définitives soient adoptées.

Il indique que les frais seront proportionnels aux services rendus par le Nouvel OAR aux courtiers et représentants du Québec, qui sont encadrés en vertu du Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription et les obligations continues des personnes inscrites.

En consultation jusqu’au 27 juin 2022, le Règlement modifiant le Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d'inscription et les obligations continues des personnes inscrites - Mise en oeuvre du plan de transition des courtiers en épargne collective au Québec entrera en vigueur le 1er janvier 2023. Ces modifications concernent la transition des courtiers au Québec vers le Nouvel OAR. M. Lacroix souligne qu’un moratoire sera imposé à l’augmentation des droits pendant cette période de transition.

Économies d’échelle et de conformité 

Le surintendant des marchés de valeurs n’a pas voulu préciser les économies que le nouvel encadrement permettra de dégager. « Il nous a été dit à travers le pays que l’harmonisation des règles et de l’encadrement du courtage créera des opportunités », relate-t-il. Au Québec, il y a une opportunité d’affaire encore plus grande de prendre de l’expansion, d’étendre ses activités à travers le Canada, selon Hugo Lacroix. 

Il rappelle que le Nouvel OAR permettra aux groupes intégrés (institutions financières dotées à la fois d’un courtier en épargne collective et d’un courtier en valeurs mobilières) de réaliser « des économies d’échelles importantes ». « Elles pourront regrouper ces deux forces de vente en une même entité juridique, et administrer un seul programme de conformité », rappelle M. Lacroix. 

Moins de freins pour les indépendants 

Quel avantage pour les courtiers indépendants ? Hugo Lacroix dit anticiper des bénéfices pour les courtiers indépendants qui ne sont pas membres d’un groupe financier, et ne peuvent regrouper deux forces de vente.

« On nous a dit que la désharmonisation des encadrements crée des écueils opérationnels », rapporte-t-il. Ces écueils « freinent les efforts des courtiers qui souhaitent moderniser leur offre de service, leur back-office (système d’administration). Il donne en exemple les courtiers qui veulent offrir des fonds négociés en bourse. 

Selon le surintendant du marché des valeurs, le Québec est un peu isolé en fonctionnant différemment de l’ensemble du Canada. Ces courtiers ont plus difficilement accès à des solutions, en raison d’un bassin moins attrayant aux yeux des développeurs de technologies. 

Divulgation des frais totaux 

Appelé à commenter la consultation en cours sur la divulgation des frais totaux des fonds distincts, Éric Jacob a qualifié de gros projet cette initiative des ACVM et du Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA), à laquelle collaborent l’ACFM et l’OCRCVM. La consultation doit prendre fin le 27 juillet 2022. 

« La publication définitive est prévue dans la première moitié de 2023. Nous avons proposé une période transitoire d’environ 18 mois à partir de la publication finale », révèle-t-il. Cet échéancier tient tant pour le secteur de l’assurance que des valeurs mobilières. « On vous encourage vivement à planifier les capacités et les ressources à mettre en place pour être prêts lorsque nous annoncerons les versions finales. » 

M. Jacob rappelle que les modifications proposées visent une plus grande transparence des frais et une meilleure protection des investisseurs, en les informant mieux sur les frais de gestion et d’opération intégrés à leurs fonds. Le résultat final sera aussi d’harmoniser les règles de divulgation des fonds distincts à celles des fonds communs.