Selon l’économiste Stéfane Marion, les problèmes de la dette souveraine en Europe ne doivent pas être pris à la légère par les investisseurs. De plus, le problème du vieillissement démographique qui perturbera l’économie québécoise dans les prochaines années est plus aigu en Europe.M. Marion, qui est économiste en chef de la Banque Nationale, est l’un des plus réputés prévisionnistes au Canada, notamment plébiscité par l’agence Bloomberg. Le 21 novembre, à Montréal, dans le cadre du Congrès 2012 de l’assurance et de l’investissement, il a fait le point sur l’état de l’économie mondiale et présenté ses prévisions de croissance. La veille, le ministre des Finances du Québec, Nicolas Marceau, dévoilait le premier budget du nouveau gouvernement dirigé par Pauline Marois. « Il était impératif de retourner à l’équilibre budgétaire. On a déjà réalisé 12 milliards de dollars (G$) en efforts pour y revenir. Bravo! »

S’il approuve la détermination du ministre Marceau à équilibrer son budget en 2013-2014, M. Marion croit qu’il lui faudra éventuellement prendre des décisions difficiles. « Selon Luc Godbout, de la Chaire en fiscalité de l’Université de Sherbrooke, la valeur nette de nos obligations liées à l’âge d’ici 2050 est évaluée à 385 G$. » En conséquence, poursuit-il, la taxe santé, « ce n’est pas à 158 $ par personne qu’il fallait la mettre, mais à 2 000 $ par personne, par année. » Jamais un élu n’admettra un tel trou dans les finances publiques, mais il faudra bien un jour affronter la réalité du vieillissement démographique, dit-il.

Pour maintenir, voire augmenter l’assiette fiscale qui permettra au gouvernement de s’acquitter de ses obligations, il faut notamment augmenter la participation des 55 ans et plus au marché du travail. « Dans les pays de l’OCDE, la moyenne est de 40 % pour cette classe d’âge. Dans le reste du Canada, c’est 38 %, mais le Québec est à 32 %. Il faut réduire cet écart.»

Le Québec peut se consoler en se comparant à la France, où seulement 18 % des personnes de 55 ans et plus sont toujours actives sur le marché du travail. « Sans leur participation, il faut faire preuve de scepticisme devant la certitude des gouvernements qu’ils pourront assurer la pérennité à long terme des programmes sociaux », dit-il.
La crise en Europe

La crise de la dette souveraine en Europe a occupé une bonne partie de l’allocution de M. Marion. Ce n’est pas pour bientôt que l’économie européenne retrouvera son élan, dit-il.
« Les gouvernements doivent imposer des mesures d’austérité en même temps que le chômage est en hausse », ce qui n’est guère prometteur pour le revenu personnel disponible des contribuables de la zone euro. L’effet domino de la crise financière qui affecte la Grèce, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie, le Portugal et bientôt la France est très préoccupant. « On a même vu des taux d’intérêt nominaux négatifs l’été dernier! C’est impossible selon la théorie économique. Même au Japon, où l’économie stagne depuis plus de 20 ans, on n’avait jamais vu cela. »

Dans plusieurs pays de l’Union européenne, le système bancaire est déjà fragilisé par les mauvais prêts, souligne-t-il. Malgré l’énormité de l’effondrement du marché immobilier aux États-Unis, les prêts non performants atteignent 4,8 %. Les mêmes taux sont de 20,2 % en Grèce, 10,7 % en Espagne et 10,5 % en Italie. On ne peut donc pas compter sur le système bancaire déjà ébranlé par l’éclatement de la bulle immobilière pour mutualiser la dette souveraine des États partenaires de la zone euro. Les déposants ont déjà retiré, en 2012, 250 milliards d’euros des banques espagnoles, une chute de 14 %.

Le vieillissement de la population est préoccupant pour l’avenir des finances publiques. Quand les grands programmes sociaux ont été implantés, il y avait en moyenne sept travailleurs pour chaque personne âgée de 55 ans et plus. Dans les pays de l›Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en 2012, ce ratio est tombé à 4 travailleurs par retraité. Dans les pays de l’Union européenne, il n’y a plus que 3 travailleurs par personne âgée.
Aux États-Unis, les consommateurs américains ont grandement réduit leur endettement. L’économiste surveille particulièrement les demandes de refinancement hypothécaire, qui sont un bon indice de la reprise du marché immobilier.
« Si le marché immobilier se rétablit, et que l’on réduit de moitié l’écart entre le taux hypothécaire officiel et le taux du marché, ce qui est la cible de la Réserve fédérale, cela dégagera l’équivalent de 200 $ par mois de plus par ménage. » Cette marge de manœuvre permettrait aux familles d’augmenter leurs dépenses de consommation, ce qui est favorable aux exportateurs canadiens.

Entre 2000 et 2007, aux États-Unis, et jusqu’en 2012, au Canada, l’augmentation spectaculaire de la valeur des propriétés a été un important facteur de création de richesse. M. Marion prévoit d’ailleurs que le prix des maisons pourrait baisser de 5 à 7 % au Canada, en 2013. La construction de nouvelles unités est au ralenti, tandis que du côté de la revente, il y a plus de nouvelles inscriptions et moins d’acheteurs, et les maisons demeurent plus longtemps sur le marché.
« Les actifs doivent s’ajuster au revenu personnel des gens. Comme les taux d’intérêt ont fini de baisser et que le fardeau fiscal s’alourdit, les gens n’ont plus le même pouvoir de dépenser. Soyez plus conservateurs sur le plan des attentes de croissance des dépenses de consommation. C’est peut-être là où le gouvernement fait fausse route avec sa prévision à 1,3 %; ça pourrait être plus faible », conclut-il.