Le Canada compte plusieurs régulateurs en assurance à travers le pays. Certains sont pointilleux sur le suivi des règlements, d’autres s’attendent au respect de principes de base de fonctionnement. Qu’ils soient dans un camp ou dans l’autre, une chose est claire : ils exigent davantage de supervision des conseillers en sécurité financière.

Nina Kavalinas

C’est l’opinion tranchée qu’ont exprimé des régulateurs lors d’un panel du congrès de l’Association canadienne des agences indépendantes de courtage d’assurance-vie (CAILBA). L’événement s’est déroulé en juin à Whistler, en Colombie Britannique. 

Beaucoup de régulateurs travaillent à des changements qui affectent les acteurs de l’industrie et presque tous semblent s’efforcer de mieux comprendre l’industrie qu’ils réglementent. 

« Chaque province se penche sur la supervision et ses avantages, de façon pédagogique, mais aussi pour comprendre ce qui se passe réellement dans l’industrie », a déclaré la modératrice du panel, Nina Kavalinas, vice-présidente et directrice nationale de la conformité et des enquêtes chez Financière Horizons

Saskatchewan en avant-scène 

Parmi les provinces présentent au panel, la Saskatchewan se distingue. Dans cette province, les règles ont changé en 2020, obligeant à superviser les conseillers jusqu’à ce qu’ils aient vendu et détiennent 50 polices en vigueur.

Auparavant, la période de supervision d’un nouveau conseiller était de deux ans. Ce changement est survenu à la suite d’une analyse approfondie des conseillers après la fin de leur probation de deux ans. Le régulateur a observé que la majorité des conseillers visés par une inspection de supervision avaient vendu moins de trois polices pendant leur période probatoire. 

Certains étaient titulaires de permis depuis deux ans ou plus et n’avaient jamais vendu de police, même pas à eux-mêmes - April Stadnek 

« Certains étaient titulaires de permis depuis deux ans ou plus et n’avaient jamais vendu de police, même pas à eux-mêmes », déclare April Stadnek, directrice exécutive des Insurance Councils of Saskatchewan. « Nous avons estimé qu’une amélioration était nécessaire. Les nouveaux venus dans l’industrie ne devraient pas être autorisés à travailler seuls sans comprendre comment fonctionnent les polices et comment les vendre. » 

Le régulateur effectue désormais des inspections de supervision régulièrement. « Les gens nous demandent de les retirer de la supervision ; ils nous envoient tous leurs renseignements, dont ceux sur les polices », ajoute Mme Stadnek. Les informations requises incluent des données de type « connaissance du client », lorsqu’une police a été vendue en remplacement d’une autre, et si une analyse des besoins a été effectuée avant la vente de la police. 

Le régulateur n’exigera pas le même degré de détails aux conseillers autorisés à exercer dans une autre province. Il demandera toutefois des informations sur les polices vendues par l’agent général ou directement avec un assureur. « Nous voulons nous assurer que les organisations supervisant ces individus soient également au courant de ce qui se passe », ajoute-t-elle. 

Exemption 

La Saskatchewan dispose également d’une exemption pour le titulaire d’un permis qui ne vend pas de police. Le permis peut être restreint au poste occupé par son détenteur. Si sa situation change, il peut de nouveau être sujet à la supervision. 

Mme Stadnek a chiffré le problème des conseillers qui pourraient ne pas réaliser des ventes de qualité ou même aucune vente. « Des gens vendent 300 polices en 3 ans, mais n’en retiennent même pas 150. À quel genre de ventes avons-nous affaire », s’interroge-t-elle.

La directrice exécutive du régulateur de la Saskatchewan ajoute qu’un autre problème persiste : celui des conseillers qui vendent de nouvelles polices à des clients dont la police a été annulée ou abandonnée. Et cela, souvent par des conseillers qui reviennent aux mêmes assureurs. « Quelqu’un aurait dû s’en apercevoir depuis longtemps », ajoute-t-elle. 

Ignorance de la règle E&O 

Le régulateur saskatchewanais vérifie aussi la présence d’une assurance erreurs et omissions (E&O) en vigueur chez les conseillers. D’après April Stadnek, la plupart ignorent la règle selon laquelle les conseillers doivent informer le régulateur, si leur couverture expire. « Si vous ne le faites pas, nous vous sanctionnerons. Nous constatons que des gens ne prennent pas l’E&O aussi sérieusement qu’ils le devraient. Je sais que nous pensons tous faire du bon travail, mais nous sommes tous humains et nous faisons tous des erreurs. Nous devons nous assurer d’avoir une police E&O en place pour protéger le consommateur », ajoute Mme Stadnek. 

Chef de la direction d’Insurance Council of British Columbia, Janet Sinclair renchérit : seuls 42 % des conseillers inspectés dans la province étaient conformes aux exigences en matière d’assurance E&O. « Ce n’est pas que les gens n’en avaient aucune, mais leur police E&O ne répondait pas aux exigences », explique Mme Sinclair. 

Parmi les initiatives en cours en Colombie-Britannique pour résoudre ce problème figurent des consultations avec les cabinets qui vendent l’assurance E&O, de la formation et de la sensibilisation auprès des conseillers. L’objectif est d’augmenter la conformité. 

Examiner la formation 

D’autres statistiques amènent le régulateur de la Colombie-Britannique à jeter un œil à la formation des conseillers. En fait, seulement 18 % des titulaires de permis ont plus de cinq ans d’expérience, tandis que 41 % ont vendu entre zéro et cinq polices. « Nous traitons avec une nouvelle génération », ajoute-t-elle. « Ils ont besoin de supervision et d’orientation. » De plus, 42 % avaient vendu des contrats de remplacement, et 41 % ne connaissaient pas leur obligation de signaler des transactions suspectes ou dont l’origine des fonds demeure inconnue. 

Ce qui est particulièrement notable, cependant, c’est le fait que 65 % des superviseurs interrogés par le régulateur ne savaient pas qui ils supervisaient. « Il est évident que nous avons encore du travail à faire dans ce domaine », dit Janet Sinclair. 

Elle ajoute que le nombre de cas où les clients se plaignent de ne pas pouvoir payer leur couverture est également notable. « Nous voyons des individus avec des revenus annuels très faibles acheter des polices dont les primes coûtent des milliers de dollars par an. Comment arrivent-ils à payer ? Comment ces affaires franchissent-elles l’agent général ? L’assureur ? » 

Mme Sinclair affirme que ces questions suscitent de plus en plus l’intérêt du régulateur. « En Colombie-Britannique, nous avons un gouvernement très intéressé par les sources de fonds inconnues, dit-elle. L’agence gouvernementale s’attend à ce que nous y prêtions attention également. » 

Côté positif, le régulateur de Colombie-Britannique note également une augmentation de 77 % du nombre de conseillers et de compagnies qui accèdent à son service téléphonique de demandes de renseignements réglementaires. « Nous avons pu soutenir un meilleur résultat », dit-elle.

Quant aux inspections, le régulateur les destine à un usage pédagogique plutôt qu’à une tentative de pousser les conseillers vers des enquêtes. « Si nous vous poussons vers une faute professionnelle, c’est que nous avons trouvé quelque chose de vraiment grave », tranche Mme Sinclair.

Des conseillers réagissent négativement 

Les régulateurs ont été intéressés d’apprendre que les conseillers sont souvent surpris de découvrir qu’ils sont soumis à une réglementation. 

Au Nouveau-Brunswick, le régulateur a récemment commencé à inscrire des représentants d’assurance avec permis restreint. C’est un défi, selon Angela Mazerolle, à la Commission des services financiers et des services aux consommateurs, car beaucoup n’étaient pas habitués à être soumis à une surveillance réglementaire. Mme Mazerolle occupe la fonction de vice-présidente des opérations réglementaires et surintendante des régimes de retraite et des assurances de cette province. « Nos premières visites sur le site aux concessionnaires automobiles étaient intéressantes. Ils n’aimaient pas nécessairement qu’un régulateur en assurance se présente à leur porte », lance Mme Mazerolle. 

Mme Stadnek observe quant à elle que beaucoup de ceux à qui l’on demande des preuves de leurs processus d’affaires lors d’inspections de supervision résistent. Ils disent que ce sont des informations confidentielles. « Si vous ne voulez pas nous les donner, c’est absolument correct. Vous resterez sous supervision », dit-elle. « Si nous en avons besoin pour une autre raison, vous pourriez être sanctionné pour avoir refusé de nous répondre », prévient Mme Stadnek. 

Elle ajoute que certains assureurs ont également protesté, affirmant que de nombreux conseillers ne sortiront jamais de la supervision avec l’exigence de 50 polices en vigueur. « Ce n’est pas une mauvaise chose. S’ils n’ont pas vendu autant de polices, ils ne devraient probablement pas échapper à la supervision. » 

Recommandations 

Joseph Fernandez, registraire de l’Alberta Insurance Council, affirme que le régulateur constate généralement une bonne attitude des agents généraux à l’égard de la réglementation. Il observe toutefois des lacunes en matière de politiques et de procédures, ainsi qu’en gestion des plaintes. 

Sur la sensibilisation des conseillers aux politiques et procédures, M. Fernandez remarque que les nouveaux conseillers reçoivent très souvent une pile de documents à signer. C’est selon lui une bonne pratique, mais beaucoup ne les lisent pas.

« Ma recommandation : si vous avez des politiques et procédures, assurez-vous d’avoir des processus pour que les conseillers individuels les comprennent », souligne M. Fernandez. Les processus pourraient selon lui être abordés, lors de réunions régulièrement pendant une période de six mois. « Peu importe combien d’efforts vous mettez dans les politiques et procédures. Si les conseillers ne les voient pas, les efforts de votre agence ne seront pas couronnés de succès », dit-il. 

M. Fernandez plaide également pour que les agents généraux investiguent les circonstances rétrospectivement, pour mieux comprendre les problèmes. Le personnel sans permis pourrait être affecté à s’assurer qu’il y a une documentation adéquate dans les dossiers des clients. « Je vous encourage à appréhender les situations avant qu’elles ne deviennent problématiques, et adopter une approche rétrospective », ajoute le régulateur de l’Alberta. Il ne s’agit pas de trouver des fautes, mais de recommander des correctifs et des processus pour éviter que les mêmes événements se reproduisent à l’avenir.

De son côté, Janet Sinclair recommande d’aborder et de discuter de la conformité et de la réglementation d’une manière différente. « Vous entendrez souvent parler de la charge réglementaire. Le nouveau conseiller percevra alors ces exigences comme une charge », dit-elle. 

Elle relate les propos d’une conférence selon lesquelles conformité et engagement produisent ensemble des résultats différents. « Si c’est le cas, en tant qu’agents généraux ou de dirigeants cherchant à guider les gens, si vous abordez l’enjeu réglementaire comme un engagement à faire un meilleur travail pour les clients, je pense que vous obtiendrez des résultats différents. »