Au Canada, 60 % des ménages posséderaient un chien ou un chat. En revanche, ils sont peu attirés par les assurances qui les couvrent : au pays, à peine 4 % des propriétaires d’animaux détiendraient ce type de police. En comparaison, cette proportion dépasse les 30 % au Royaume-Uni et frôle les 50 % en Suède.
« Au Québec, 65 % des propriétaires d’animaux de compagnie n’ont aucune idée de quoi il s’agit même si ce produit est en vente depuis 30 ans », a indiqué Cinthia Duclos, professeure et directrice du Laboratoire en droit des services financiers (LABFI) à la Faculté de droit de l’Université Laval, lors d’un dîner-causerie sur le sujet auquel ont assisté des représentants de l’industrie de l’assurance.
Des reportages récents de Radio-Canada ont montré que le rachat de cliniques vétérinaires par des groupes internationaux s’était traduit par de fortes augmentations du coût des examens, traitements, médicaments et opérations. Une chirurgie peut facilement coûter 6 000 $ alors qu’une assurance pour animaux domestiques s’élève annuellement en moyenne entre 800 $ et 1000 $.
Pourquoi ce type d’assurance est-il si peu populaire ? L’absence de gros assureurs québécois de ce marché y est sûrement pour quelque chose, croit Cinthia Duclos.
Interrogé par le Portail de l’assurance, Promotuel a indiqué qu’un projet d’étude d’une assurance pour animaux n’était pas au menu en 2025. Beneva a répondu qu’il s’agissait d’un produit très niché et que l’assureur n’avait jamais envisagé de l’offrir. Desjardins l’offre, mais le contrat est émis par Petline.
Pour l’instant, les assurances pour animaux disponibles au Québec proviennent de l’Ontario. Ce qui est trompeur pour les propriétaires d’animaux, ont dit les panélistes, c’est qu’elles ressemblent à des assurances de personnes alors qu’elles appartiennent à la catégorie des assurances de biens et contiennent des clauses surprenantes pour des assurances de dommages.
Couverts par les assurances de biens
Il n’existe que deux catégories d’assurance au Canada, a rappelé Me Jean-Christophe Bernier, avocat à l’Autorité des marchés financiers, lors de la causerie : l’assurance de dommages et de personnes. C’est la première qui couvre les animaux même si ce sont des êtres vivants et non pas des objets comme un véhicule ou une résidence.
« On a une mécanique qui est largement inspirée, sinon calquée, sur le régime d’assurance de personnes à laquelle on tente d’appliquer des dispositions en assurance de dommages, a décrit Me Jessica Gauthier, avocate en assurances au cabinet Stein Monast. (…) On a deux types de dispositions qui pourraient s’appliquer pour un même produit, mais ce n’est pas un régime hybride. »
« On associe l’assurance pour animaux à l’assurance humaine, a rappelé Jean-Christophe Bernier, mais ça demeure une assurance de biens. »
C’est un état de fait qui laisse perplexe Cinthia Duclos. « C’est fondamentalement un produit de santé, mais qu’on encadre dans l’assurance de dommages. Il y a quelque chose qui mérite notre attention comme juriste et qui mérite celle du régulateur. Plus le produit sera développé, plus il sera distribué, plus cet aspect pourrait devenir un problème. »
Ce que dit le Code civil du Québec
L’article 898,1 du Code civil du Québec est très clair : « Les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques. »
Que diraient les tribunaux supérieurs du Québec s’ils devaient analyser un litige qui implique un animal de compagnie couvert par une assurance de dommages ? Jugeraient-ils que ce type de produits n’est pas approprié pour un être vivant comme un chien ou un chat ?
On ne le sait pas, car il y a très peu de jurisprudence, a précisé Me Jessica Gauthier. À ce jour, comme les montants ne dépassent pas 15 000 $, les causes d’assurance impliquant des animaux ont été portées devant la Cour des petites créances. Ni la Cour supérieure, ni la Cour d’appel n’ont eu à se prononcer sur le fond à propos des polices d’assurance pour animaux.
« Ce sera difficile de faire le débat juridique si ça ne dépasse pas les 15 000 $ », a commenté l’avocate.
Des dispositions incongrues pour les animaux
Certaines dispositions des assurances d’animaux offertes au Québec peuvent apparaître incongrues dans le domaine des assurances de dommages. Par exemple, la divulgation de conditions préexistantes est un aspect épineux dans ce produit, a dit Me Gauthier. C’est un principe de l’assurance de personnes qui est appliqué pour un animal couvert en assurance de dommages.
« C’est une situation qui entraîne des difficultés, évalue-t-elle. On applique des dispositions comme on le ferait pour un bien matériel à un être vivant qui ne peut pas parler, divulguer ses antécédents et décrire ses problèmes. »
Lors de la causerie, la question de la compétence des experts en sinistres de dommages a été soulevée : en quoi sont-ils formés pour se prononcer sur des questions de santé de chiens et de chats ?
Il existe diverses exclusions propres aux animaux que l’on ne retrouve pas ailleurs dans les assurances de dommages, comme des maladies apparues avant l’entrée en vigueur de la police et des problèmes de santé liés à des comportements répétitifs et évitables, tel qu’avaler des objets.
« Les gens pensent à l’assurance santé quand ils se procurent une assurance pour animaux, a commenté Cinthia Duclos. Ils font un transfert de connaissances qui est inexact. Ils vont penser qu’il y a une protection qu’ils n’ont pas. »
Des dispositions en assurance de dommages, ont dit ces experts, ne devraient pas trouver application en assurance pour animaux. La maladie ne devrait pas être couverte, mais c’est pourtant ce qu’offrent ces produits. Des polices vont exiger que l’on révèle l’évolution de la condition médicale de l’animal durant sa période de couverture, ce que l’on n’exige pas pour un humain.
À l’inverse, il y a en assurance de dommages une possibilité de remplacement que l’on ne retrouve pas en assurance de personnes : devant une chirurgie coûtant 10 000 $, un assureur pourrait offrir au maître de lui acheter un autre chien pour 3000 $. « Ils ne le font sans doute pas, a dit l’avocate Jessica Gauthier, mais théoriquement, des polices pourraient le prévoir. »
Certains contrats d’assurance pour animaux sont émis sur une base mensuelle, chez d’autres, on réévalue l’assurabilité toutes les années, ce qui peut poser problème si la condition de l’animal évolue. Des contrats prévoient des modifications et des avis des exclusions en cours de route. L’assuré pourrait perdre sa protection alors qu’au niveau de l’assurance humaine, on reste assuré même si on développe une maladie.
« Ces clauses de contrats n’ont pas subi le test des tribunaux, dit Jessica Gauthier. En assurance de personnes, elles pourraient ne pas nécessairement s’appliquer parce que des articles protègent les consommateurs à ce niveau. »
Une catégorie d’assurance spécifique pour les animaux ?
La création d’une troisième catégorie d’assurances destinée uniquement aux animaux pourrait être une solution ? Dans la réalité, ce n’est pas simple, a décrit Me Jean-Christophe Bernier, de l’Autorité.
Il faudrait une mobilisation pancanadienne pour créer cette nouvelle catégorie, s’adresser à tout l’appareil législatif, parler avec les autres régulateurs et voir comment on certifie les gens. Or, il croit que la demande provenant des propriétaires n’est pas assez vaste pour se lancer dans le développement d’une troisième catégorie d’assurance dédiée exclusivement aux animaux.
Autre aspect qui joue contre cette initiative, les acheteurs des assurances existantes, même si ce sont des assurances de biens, semblent satisfaits de ce qu’ils se procurent. L’Autorité dit recevoir peu d’appels ou de plaintes des consommateurs.
« Ce n’est pas assez répandu comme marché pour y regarder avec une attention particulière, mais on reste à l’affût, a dit Me Bernier. On se tient informé. Mais tant qu’on respecte l’encadrement applicable et que les consommateurs sont bien desservis, on ne va pas plus loin. »
Être vigilant avant d’acheter
Pour toutes les raisons ci-haut décrites, Cinthia Duclos invite les gens à être vigilants, car c’est un produit qui est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, commente-t-elle en entrevue au Portail de l’assurance. « Il vaut la peine de les regarder avant de s’y lancer à tête baissée », a-t-elle ajouté.
Mme Duclos croit que ce serait à l’avantage des consommateurs que les grands joueurs dans l’assurance au Québec offrent ce produit. Si c’était le cas, ces contrats seraient préparés par des juristes québécois, qui prendraient plus en compte la réalité juridique et le droit civil québécois, souligne-t-elle.
Elle pense que le fait que ces assurances pour animaux ne soient pas offertes par de grands joueurs québécois amène des gens qui en auraient besoin à ne pas s’en procurer parce qu’ils doutent de l’interlocuteur devant eux. Ce serait rassurant, dit-elle, qu’ils soient offerts par assureurs qu’ils connaissent bien.
Autre avantage, si de gros assureurs locaux s’y intéressaient, il y aurait plus de concurrence et les protections offertes seraient meilleures ou mieux ajustées.
Pour Cinthia Duclos, il y a également une réflexion à faire sur la formation des gens qui distribuent ce produit : ils ont été formés en assurance de dommages et on leur demande de vendre un produit qui s’apparente à de l’assurance de personnes, à des êtres vivants. Elle se demande si la Chambre de l’assurance de dommages ne pourrait pas se pencher sur cet aspect afin de favoriser la formation des vendeurs de ce produit.
La professeure ne pense pas que la création d’une nouvelle catégorie d’assurance dédiée uniquement aux animaux est réaliste en raison des lourds défis que cela représente, mais pense que les produits pourraient être améliorés.
« Les animaux de compagnie occupent une place importante dans la vie des gens, conclut-elle. Aller chez le vétérinaire entraîne des coûts importants. Ça m’apparaît assez logique que leurs propriétaires veuillent se protéger. Si le marché est intéressant pour les assureurs ontariens, je ne vois pas pourquoi ce ne le serait pas aussi pour nos assureurs québécois. »