Les sociétés de fonds communs indépendantes des banques veulent que l’obligation de divulguer les commissions de suivi, qui entrera en vigueur le 15 juillet 2016, s’étende aussi à l’ensemble des frais de gestion. Au cœur du problème : ces sociétés versent des commissions à leurs conseillers, alors que les banques n’en versent pas à leurs employés.Dans le cadre des réformes du Modèle de relation client-conseiller, phase 2, couramment appelé le MRCC2 dans l’industrie, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) exigeront une divulgation améliorée du cout des placements. Amorcées depuis juillet 2013, ces réformes seront mises en œuvre intégralement le 15 juillet 2016.
C’est à cette date que les cabinets de fonds communs devront divulguer en dollars sur le relevé de compte annuel du client le total des commissions versées aux cabinets certifiés par l’Association canadienne des courtiers de fonds communs de placement (MFDA). Ils devront le faire pour la période couverte par le relevé et pour l’ensemble des actifs détenus par le client auprès de son conseiller en épargne collective. Les frais à divulguer incluent les commissions de suivi, les frais de référence et toute autre rémunération.
Les sociétés de fonds communs veulent infléchir cette marche qui constitue la dernière étape des modifications au Règlement 31103 sur les obligations et dispenses d’inscription et les obligations continues des personnes inscrites. Craintives de voir les modifications s’harmoniser à leurs fonds distincts, les compagnies d’assurance se préparent de leur côté.
Les fournisseurs du réseau indépendant estiment inéquitable que les commissions de suivi des fonds communs soient visées par l’exigence de divulgation, et non le ratio des frais de gestion au complet. Ces modifications pénaliseraient les représentants en épargne collective, qui devront divulguer ces commissions, contrairement aux banques qui n’en versent pas, puisque leurs distributeurs de fonds sont des filiales qui emploient des salariés.
Alliance de manufacturiers
Le manufacturier de fonds communs Invesco Canada s’est allié aux concurrents majeurs, Fidelity Investments et Franklin Templeton Investments, pour rencontrer les régulateurs et les sensibiliser à ce problème. Dans leur tournée des ACVM, ils proposent une approche de divulgation complète pare qu’elle respecterait davantage la réalité de leurs principaux clients : les représentants en épargne collective.
PDG d’Invesco Canada, Peter Intraligi a fait part de sa démarche concertée lors d’une conférence prononcée à l’assemblée annuelle du Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ), le 16 mai, à Montréal. Outre la divulgation, l’action se veut aussi un front commun contre le bannissement des commissions et les autres dispositions qui affecteront les conseillers, comme le devoir fiduciaire, a-t-il dit à l’auditoire d’une centaine de conseillers.
En entrevue au Journal de l’assurance en marge de l’évènement, M. Intraligi s’est dit un ardent défenseur de la transparence, pourvu que celle-ci s’applique également à tous. Il a confié avoir déjà rencontré Louis Morrisset, PDG de l’Autorité des marchés financiers, et s’apprêtait à rencontrer d’autres régulateurs au Canada au moment d’écrire ces lignes.
« Nous avons effectivement rencontré ces gens, a révélé le porte-parole de l’Autorité, Sylvain Théberge, au Journal de l’assurance. Dans ce dossier, nous prenons en considération tous les commentaires reçus. Ils alimentent notre réflexion à titre de régulateur. »
Dans ses présentations, M. Intraligi utilise l’exemple de deux fonds types, celui d’une banque et celui d’une société de fonds, avec chacun des frais de gestion de 2 %. Les frais du fonds type d’une société de fonds se répartissent entre 1 % pour la commission de suivi et 1 % pour les frais d’administration. Les frais de l’autre exemple sont des frais d’administration seulement. À partir du 15 juillet 2016, le deuxième fonds dira avoir des frais d’administration de 2 % et une commission de 0 %. S’ajoutent aux frais de gestion des deux exemples la taxe de vente du Québec (ou taxe de vente harmonisée ailleurs au Canada) et les frais d’exploitation.
« Nous disons aux régulateurs qu’il y a un problème parce que si vous avez un employé salarié qui vend vos produits, vous n’avez pas de commissions à divulguer. Nous voulons voir inclus dans l’aperçu de fonds un graphique en forme de tarte qui règlerait le problème, soutient M. Intraligi. Plutôt que de sélectionner seulement la partie “commission” des frais, nous demandons que les frais soient divulgués en entier. Si un vendeur de fonds trouve le moyen de déguiser son paiement sous la forme de salaire et de bonis, ceux-ci seront alors exposés dans les frais d’administration, suggère le PDG d’Invesco. »
Conseillers aux abois
La date butoir de 2016 suscite beaucoup d’interrogations chez les conseillers, a pour sa part observé Alain Huard, vice-président et directeur régional des ventes d’Invesco Canada. « Ils ont été frappés. Certains se disent prêts, mais d’autres voient cette exigence comme une boule de démolition. Ceux qui supputent la possibilité d’aller vers le modèle de gestion à honoraires savent que cela signifie beaucoup de gestion pour eux. Ils ne sont pas tous prêts à le faire », dit-il.
« L’essence du projet de règlement est la transparence. Les conseillers s’attendent au moins à ce que le client soit en mesure de voir ce qu’il paie et le décompte entre le pourcentage versé à la société de fonds communs, au cabinet et au représentant en épargne collective, souligne M. Huard. La banque pourrait ne répartir aucun pourcentage au représentant, alors que ses frais seront aussi élevés que ceux d’un indépendant. »
Président du Groupe financier PEAK et de son courtier en épargne collective, Services en placements PEAK, Robert Frances se targue de donner accès à plus de 3 000 fonds communs de tierce partie et de n’offrir aucun produit maison. Pour lui, ce dernier détail est essentiel. Le conseiller de la banque vend un fonds maison, et aucune commission n’apparaitra sur le relevé, mais il est possible que le fonds lui ait quand même couté plus cher, fait remarquer le PDG de PEAK.
PEAK tient aussi à faire partie des discussions avec l’Autorité, à qui il a d’ailleurs envoyé un mémoire. « Nous allons recommander des ajustements au règlement, a confié M. Frances en entrevue au Journal de l’assurance. Nous disons aux ACVM que nous avons encore des préoccupations à l’égard du Règlement 31103. Nous demandons aux ACVM : est-ce qu’un jour, tous les frais seront divulgués, et est-ce que les assureurs et leurs fonds distincts seront assujettis aux mêmes règles que celles qui régiront les fonds communs? En attendant, nos conseillers feront tout en leur pouvoir pour bien expliquer la situation aux clients. »
Tous les frais ont toujours été divulgués dans les prospectus, mais le texte des modifications proposées dit que les investisseurs ne les lisent pas, observe M. Frances. « Les ACVM recommandent de divulguer les commissions sur le relevé en dollars, mais ont-ils démontré dans leurs recherches que cette modification donnera les résultats escomptés? Ceux qui lisent les prospectus sont des investisseurs intéressés. Ceux qui ne les lisent pas liront-ils davantage le relevé? Augmenteront-ils leur niveau d’épargne? » s’interroge M. Frances.
Bien sûr, les clients aimeraient payer moins de frais, mais investiraient-ils davantage si les commissions étaient moins élevées? « Souvent, leur argent est déjà investi. Et s’ils investissent un peu moins parce qu’ils sont confus devant toutes ces informations, nous ne sommes pas plus avancés », déplore M. Frances. Il sera ardu pour le conseiller d’expliquer que les 3 000 $ affichés sur le relevé n’aboutissent pas au complet dans sa poche, mais qu’une partie est versée à son cabinet. Il doit aussi déduire les frais qui lui incombent, comme l’assurance responsabilité, son adjointe administrative et ses systèmes.
Plusieurs conseillers sont courroucés par les modifications envisagées. « La divulgation des commissions telle que mise de l’avant par les ACVM introduit un système de deux poids deux mesures », renchérit de son côté Flavio Vani, président du RICIFQ. « Les représentants en épargne collective doivent divulguer toute leur rémunération, tandis que ce n’est pas le cas dans d’autres professions. Les banques peuvent donner des bonis à leurs employés sans les déclarer », a rappelé M. Vani, qui est aussi propriétaire de son propre cabinet, Assurance et produits financiers Vani.
« J’ai passé 27 ans à bâtir ma clientèle. Des règlements à venir comme le 31103 et le 81407 sur les frais des organismes de placement collectif (bannissement possible des commissions) lui enlèveront de la valeur », déplore-t-il. M. Vani aimerait plutôt voir les discussions miser sur le risque pris par le représentant pour toucher une commission. La recherche d’un client est ardue, elle exige toutes les ressources et tout le temps disponibles du représentant, poursuit-il.
Un banquier en désaccord
Pour sa part, Leon Garneau Jackson ne comprend pas la réaction des indépendants. Le vice-président des ventes de BMO Investissements pour l’Est du Canada rappelle que cette obligation de divulguer les frais de transaction est déjà imposée depuis longtemps aux conseillers en placement (représentants en valeurs mobilières de plein exercice) et aux conseillers qui ont choisi le modèle de gestion à honoraires, soit environ 15 % des conseillers en placement au Canada.
La divulgation s’étendra le 15 juillet 2014 aux transactions sur obligations. Avant cette date, l’information sur la commission n’était pas indiquée dans les relevés de transaction des obligations. « À partir du 15 juillet, cette information sera divulguée au client. Certaines personnes pensaient peut-être qu’il n’y avait pas de couts. C’est une première grosse étape du côté de la transparence », estime le vice-président de BMO Investissements. Cette obligation entrera en vigueur en 2016 pour les conseillers de plein exercice qui négocient des actions, ajoute-t-il.
Selon lui, les banques seront aussi touchées par les exigences du 15 juillet 2016. « Les clients des planificateurs financiers des banques et ceux qui détiennent des fonds communs d’une banque recevront en 2016 de l’information sur ce qu’ils ont payé », dit-il. Les clients en succursale qui achèteront les produits de BMO Gestion mondiale d’actifs auront ces renseignements. M. Garneau Jackson émet toutefois des réserves sur ces divulgations à venir. « Ce qui sera divulgué sur les relevés de banque ne sera pas uniforme d’une institution à l’autre. Il y aura quelques différences. Nous ne savons pas encore exactement ce que nous y inscrirons », a-t-il dit.
Il ajoute que cette transparence sera positive pour les conseillers indépendants. « Plusieurs conseillers gèreront bien cette situation et en tireront parti. Dès aujourd’hui, ils ont l’occasion d’enclencher une discussion avec leurs clients et d’articuler leur proposition de valeur. Ne tenez pas pour acquis que votre client est conscient de cette valeur, prévient M. Garneau Jackson. Ceux qui ne feront rien maintenant auront plus tard une discussion difficile avec leurs clients ». Le vice-président des ventes croit que tous les modèles sont bons, à honoraires ou à commissions, lorsqu’ils sont bien expliqués par le conseiller et bien compris par le client.
Soutien offert
De son côté, la Financière Manuvie s’affaire à donner cette impulsion à ses conseillers en leur donnant du soutien. « La question que poseront les clients après le 15 juillet 2016, c’est : “Est-ce que j’obtiens un service de planification de haute qualité pour les frais que je paie?” » a dit Paul Lorentz, vice-président et directeur général, marchés individuels de Manuvie, en entrevue au Journal de l’assurance.
« Nous travaillons avec nos conseillers et les soutenons dans leurs démarches alors qu’ils rencontrent leurs clients, et nous leur suggérons de s’assurer d’être très clairs sur les services qu’ils offrent. Plusieurs conseillers font déjà une très bonne divulgation », a ajouté M. Lorentz.
La nouvelle règlementation pourrait faire pression sur les frais des fonds communs, ajoute-t-il. « Elle sera une occasion pour l’industrie d’arriver avec de nouvelles solutions. Il y aura quelques compressions des frais, mais pas beaucoup », croit M. Lorentz.
Il croit aussi que la modification pourrait entrainer la conversion de certains vers une formule de fais à honoraires. D’autres pourraient vendre leur clientèle. M. Lorentz croit toutefois qu’il existe une demande importante pour les conseillers rémunérés à commission.
« Tout dépend de ce que le consommateur est prêt à payer pour des services. Ceux qui ne sont pas à l’aise avec le niveau de frais chercheront un autre réseau qui correspond davantage à leurs attentes. Mais des recherches démontrent qu’une majorité de Canadiens préfèrent la formule des commissions intégrées et qu’ils s’en tirent mieux en épargne en passant par un conseiller », dit M. Lorentz.