Les travaux de rénovation de leur triplex se passent mal et l’immeuble doit être démoli et reconstruit à neuf. L’assureur verse l’indemnité jusqu’à la limite prévue au contrat. Mécontents, les assurés lui intentent un recours qui vise aussi l’assureur en responsabilité de leur entrepreneur et le courtier de ce dernier. Le tribunal rejette la réclamation de plusieurs centaines de milliers de dollars.
L’immeuble situé dans le quartier Rosemont à Montréal a été acquis par les nouveaux propriétaires en août 2016. La bâtisse de trois appartements avait été construite en 1920. Le prix d’achat final est de 532 000 $. Les acquéreurs sont Vincent Goineau et Geneviève Laurendeau, qui deviendront les demandeurs du recours qui suivra le sinistre.
Les vendeurs financent une partie du prix d’achat. Avant même de passer chez le notaire, les acquéreurs magasinent leur couverture d’assurance. Trois propositions leur sont faites, et la demanderesse retient celle comprenant la prime plus basse faite par La Personnelle, Assurances générales. La garantie est de 503 000 $ pour le bâtiment et la prime est de 1 435 $ par année.
Mme Laurendeau n’est pas très à l’aise avec la limite offerte, car la valeur marchande est plus élevée. L’agent de l’assureur lui rappelle que celle-ci comprend également la valeur du terrain, sur lequel serait reconstruit l’immeuble en cas de sinistre.
Les travaux envisagés par les acquéreurs et annoncés à l’assureur visent le remplacement des circuits électriques et le déplacement des chauffe-eaux dans le vide sanitaire. Deux des trois panneaux électriques dans les logements sont à fusibles, et non à disjoncteurs, et sont limités à 100 ampères.
À cette étape, il n’est pas question de creusage d’un sous-sol, de travaux en sous-œuvre ou de travaux majeurs de rénovation.
La souscriptrice de l’assureur doit autoriser l’émission de la police proposée par l’agent de La Personnelle. Celle-ci témoigne au procès, tenu sur 14 jours en mai et juin 2025. Elle précise que la détermination du montant de couverture pour le coût de reconstruction est guidée par les renseignements fournis par le client.
Même si le client souhaite se faire assurer pour un montant supérieur, l’agent doit lui expliquer qu’il n’est pas certain que ce montant soit entièrement disponible en cas de perte totale. Le client doit confirmer que le montant proposé lui convient avant l’émission du contrat.
Les travaux
Les acquéreurs obtiennent des plans d’architecte pour la rénovation du rez-de-chaussée, ce qui comprend la réfection de la fondation et l’aménagement d’un sous-sol. La valeur des travaux déclarés au permis de construction est de 127 978 $.
Un contrat de réfection des fondations et de creusage dans le sous-sol d’une valeur de 72 565 $ (plus les taxes) est accordé à l’entreprise Les Fissures AZ, dont Philippe Desrochers est le président. C’est M. Goineau qui s’est occupé de trouver l’entrepreneur spécialisé. Au procès, le demandeur admettra avoir contacté une autre compagnie spécialisée en fondations. Informé du montant de la soumission offert par Fissurez AZ, le représentant du concurrent conseille au propriétaire « de s’assurer du sérieux de l’entreprise retenue pour ce type de travaux ».
Les travaux d’excavation, qui commencent le 8 octobre 2016, sont interrompus le 2 novembre 2016. Les demandeurs passent tour à tour sur le chantier et constatent les problèmes d’affaissement de la structure, avant de contacter leur assureur.
Après une première visite le 4 novembre, une autre experte en sinistre passe le lundi 7 novembre 2016. Celle-ci prend la pleine mesure du sinistre et en assume la gestion complète. L’immeuble est immédiatement évacué et un périmètre de sécurité est installé, car cinq jours plus tard, les employés de l’entrepreneur tentent encore de sauver l’immeuble.
Dans les jours suivants, l’édifice est déclaré perte totale, et il est ensuite démoli. Au paragraphe 53 d’une décision qui en compte 332, le tribunal précise que l’assureur ne sera jamais informé avant le sinistre que les demandeurs y effectuent les travaux ci-dessus mentionnés.
Ce n’est qu’à la fin de 2019 que les demandeurs ont pu emménager dans un nouvel immeuble différent et amélioré.
La poursuite
Les demandeurs reprochent à La Personnelle de ne pas leur avoir offert le produit qui correspondait à leurs besoins, notamment à l’égard du montant d’assurance. L’indemnité versée par l’assureur totalise 552 165,67 $, et ce montant a été déduit de leur réclamation.
L’entrepreneur est en faillite. Son assureur en responsabilité civile, Economical, est inclus dans ce recours, de même que le courtier au dossier, Daniel Demers, et le cabinet de courtage où il travaillait au moment où la police était en vigueur, Courtiers d’Assurances Maciocia.
Les demandeurs reprochent à Economical d’avoir poussé l’entrepreneur à la faillite en refusant de l’indemniser pour les conséquences du sinistre au terme de la police d’assurance responsabilité. Quant au cabinet et au courtier, ils allèguent qu’ils ont fait de fausses représentations auprès d’eux et de l’entrepreneur quant à la couverture d’assurance de Fissures AZ.
Le jugement a été rendu le 29 septembre 2025 par la juge Marie-Christine Hivon, de la Cour supérieure du Québec. Dans son analyse, elle répondra à six questions posées par le litige pour déterminer la responsabilité des parties dans cette affaire de même que pour estimer le bien-fondé de la réclamation et la valeur de celle-ci.
« La détermination de la valeur d’un immeuble à assurer ne relève pas de l’agent ou du courtier d’assurance », rappelle le tribunal. Cependant, ces intermédiaires sont tenus d’informer le client s’ils ont des raisons de croire que le montant d’assurance demandé est insuffisant. Ils ne peuvent pas « tordre le bras » du client pour qu’il assure ce qu’il ne veut pas couvrir, ajoute la juge.
L’assureur habitation
De la preuve soumise par les parties, le tribunal fait observer qu’il n’y a eu aucune des propositions soumises par les trois assureurs à l’étape de la souscription qui correspondait à la valeur de reconstruction du nouvel édifice, soit un montant de 859 330,92 $.
« Le produit est une garantie à montant déterminé, ce qui correspond au seul produit offert à cette époque pour un immeuble d’un certain âge. » Le tribunal estime que La Personnelle n’a commis aucune faute envers les demandeurs et que, de manière générale, sa conduite était conforme à la norme.
Les demandeurs échouent aussi à démontrer qu’un autre assureur aurait offert la valeur du montant d’assurance réclamé. De plus, rien ne prouve qu’ils auraient accepté de payer la prime requise en conséquence. Le tribunal conclut que le montant d’assurance était raisonnable et représentait la valeur de reconstruction de l’immeuble.
La police comprenait des dispositions précisant que les coûts associés à la mise aux normes lors de la reconstruction de l’immeuble ne sont pas couverts. Les demandeurs allèguent que cette exclusion ne leur a pas été expliquée. Le tribunal rejette cet argument. La totalité du montant d’assurance a été versé, et même plus, par La Personnelle.
« Le montant du préjudice ne correspond pas nécessairement à la limite d’assurance prévue à la police et qui ne sera pas augmentée du seul fait que le préjudice soit supérieur. De plus, l’assurance est de nature indemnitaire et n’est pas un véhicule d’enrichissement pour l’assuré », rappelle le tribunal.
Au paragraphe 295, la juge souligne que l’évaluation de 2021 pour le nouvel immeuble établit sa valeur à plus de 1,12 million de dollars, comparativement à 330 000 $ en 2016.
L’autre assureur
Fissures AZ a souscrit sa police d’assurance responsabilité civile auprès de l’assureur Economical en avril 2012, par l’entremise du courtier Daniel Demers, à l’époque chez Gaudreau Demers, qu’il quittera en 2014. Il travaille au sein du cabinet Maciocia au moment du sinistre.
L’ancien président et actionnaire de l’entreprise en faillite, Philippe Desrochers, a témoigné au procès. M. Desrochers affirme qu’il croyait sincèrement être assuré pour les dommages associés aux activités de son entreprise. Le tribunal « n’accorde que peu de crédibilité à son témoignage », en raison « de son manque de transparence » et de la « mémoire sélective » dont il a fait preuve.
Le tribunal analyse longuement la procédure de souscription de la police d’assurance responsabilité civile d’Economical, notamment les exclusions. Pour ce genre de contrat, il existe un avenant pour les travaux en sous-œuvre, mais Economical n’offre pas cette garantie et elle n’a pas été souscrite par l’entrepreneur auprès d’un autre assureur.
À partir de 2013, M. Desrochers obtient sa licence d’entrepreneur général et il est autorisé à effectuer des travaux en sous-œuvre. Une activité est ajoutée au dossier de l’assuré, mais seulement en avril 2015, un délai que l’entrepreneur n’explique pas.
Contrairement à ce que dernier prétend, la garantie ne couvre toujours pas les travaux de remplacement de fondation et la reprise en sous-œuvre. Au renouvellement de la police en avril 2016, la réparation de fondation, incluant l’excavation et le coffrage au besoin, sont les activités de Fissures AZ décrites dans le contrat.
Essai raté
Le 3 novembre 2016, M. Desrochers appelle le cabinet pour tenter de faire ajouter une nouvelle activité à la police pour le remplacement de la fondation d’un immeuble. Il ne mentionne pas les problèmes d’affaissement découverts sur le chantier la veille.
Economical ne couvre pas cette activité, mais on lui offre une police temporaire de 30 jours pour 5 000 $. Cette offre est refusée par l’entrepreneur, qui demande au cabinet de trouver d’autres propositions.
M. Demers témoigne avoir mentionné à l’entrepreneur, dès le 4 novembre 2016, que l’activité qu’il voulait ajouter à sa police venait avec une prime nettement plus élevée que celle qu’il payait. L’entrepreneur est incapable d’expliquer au tribunal pourquoi il veut faire couvrir cette nouvelle activité, qu’il prétend exercer depuis 2014, tout en se disant convaincu du fait que sa police couvrait déjà le travail pour lequel il était mandaté dans ce dossier.
M. Desrochers finira par transmettre lui-même l’avis de sinistre directement à l’assureur, sans passer par ses courtiers. Les explications qu’il donne à l’experte en sinistre de l’assureur sur la cause du sinistre sont par la suite contredites. Après avoir mené son enquête, Economical refuse de couvrir la perte dans un rapport soumis en mars 2017. Les travaux effectués en sous-œuvre sont exclus dans le contrat d’assurance.
Les courtiers
Avant les travaux, l’entrepreneur transmet aux propriétaires une confirmation d’assurance. M. Goineau allègue que M. Demers lui aurait dit, le 24 août 2016, que les travaux projetés étaient assurés, ce que nie le courtier. Il affirme ne jamais discuter du contenu des garanties avec les clients de ses assurés.
Il ajoute que s’il avait su que Fissures AZ allait effectuer des travaux en sous-œuvre, il aurait avisé l’entrepreneur que sa police ne comprenait pas cette garantie. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait lorsque l’entrepreneur a contacté le cabinet le 3 novembre 2016, alors que le chantier était arrêté.
Le tribunal conclut que les recours contre Economical, le cabinet Maciocia et le courtier Demers doivent échouer. « Le tiers lésé ne détient pas plus de droit au produit de l’assurance que l’assuré lui-même », écrit la juge Hivon au paragraphe 180.
L’entrepreneur devait fournir au courtier et à l’assureur une description adéquate quant à la nature ses activités. L’assuré est tenu de divulguer tout changement en cours de contrat qui est susceptible d’aggraver le risque assuré. « Le courtier a une obligation de moyen et non de résultat », indique le tribunal en citant un jugement de la Cour d’appel du Québec en 2016. Il n’appartenait pas au courtier d’enquêter pour découvrir d’autres activités menées par l’entreprise.
Plusieurs pages de ce très long jugement traitent des rapports et témoignages des experts sur la cause du sinistre. L’un d’entre eux souligne que l’entrepreneur n’a pas suivi les plans de l’ingénieur lors de l’excavation et de la construction en sous-œuvre.
Le coût de reconstruction est également l’objet d’une longue analyse, et le tribunal conclut que même s’il avait retenu la responsabilité de l’une ou l’autre des parties défenderesses, les demandeurs n’auraient droit à aucun dommage au titre du coût de reconstruction, en raison de l’indemnité déjà versée.
Concernant les dommages réclamés pour les troubles et inconvénients, de même que les pertes de temps estimées par les demandeurs, qui totalisent 228 500 $, le tribunal n’accorde aucune somme aux demandeurs.
Par ailleurs, même si leur demande introductive d’instance a été modifiée plusieurs fois, et encore à la toute fin du procès, le tribunal estime que la procédure des demandeurs n’était pas abusive, contrairement à la prétention des défendeurs.
Les demandeurs devront payer les frais de justice, incluant les frais d’expert et d’expertise des parties défenderesses.