La compagnie d’assurance d’un syndicat de copropriétaires réclamait le coût des travaux correctifs résultant d’un dégât d’eau auprès des défenderesses, soit le promoteur et l’entrepreneur de l’immeuble de même que son sous-traitant en plomberie. Les demanderesses ont échoué lors de leur recours devant la Cour du Québec, mais la Cour d’appel vient d’infirmer le jugement et de condamner les défenderesses.
En 2024, Immeubles Devler a construit l’immeuble en copropriété sur la rue Boyer à Montréal. L’entreprise de plomberie Lavallée-Dufour, qui agissait en sous-traitance, est poursuivie comme étant solidairement responsable du sinistre avec le promoteur.
En septembre 2018, un dégât d’eau survient dans l’une des cinq unités du bâtiment. Les travaux correctifs coûteront 32 277,18 $, incluant les frais de relocalisation de l’assuré. L’eau s’écoulant de l’unité d’air climatisé de son appartement est à l’origine des dommages.
Desjardins assurances générales indemnise le Syndicat des copropriétaires le Point Vert — Phase 1 et le copropriétaire de l’unité sinistrée. De son côté, le syndicat réclame 5 000 $ pour la franchise d’assurance impayée.
Les demanderesses choisissent de fonder leur recours sur l’article 2118 du Code civil du Québec, car elles prétendent que l’entrepreneur et le plombier sont responsables du vice de construction qui a causé la perte. Le défaut a été constaté dans les cinq premières années de la construction. L’eau du climatiseur n’a pas été bien évacuée par le système de plomberie qui est déficient.
L’entrepreneur a révoqué le mandat de ses avocats en avril 2024, quelques jours à peine avant le procès en première instance. L’entreprise a choisi de ne pas participer au procès en raison de ses problèmes financiers. Les parties admettent qu’Immeubles Devler est un vendeur professionnel de condos neufs. Le quantum de la réclamation n’est pas contesté.
En première instance
Les demanderesses doivent démontrer de manière prépondérante que la perte est de nature à nuire à la solidité de l’immeuble ou à limiter substantiellement son usage, et que ce dommage est relié à un vice affectant les travaux faits dans les cinq années précédentes.
Dans un jugement rendu le 16 mai 2024 par le juge Jean-François Roberge, la Cour du Québec rejette la demande en justice, car les demanderesses n’ont pas respecté toutes les conditions requises par l’article 2118. « Le vice de construction est démontré, car la plomberie ne correspond à aucun des schémas de bonnes pratiques émis par la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec (CMMTQ), et qu’il est probable que cela ait causé le sinistre par dégât d’eau », indique le tribunal en première instance.
Aucun schéma ne prévoit un tuyau réservoir pour recueillir le trop-plein d’eau du climatiseur ni un coude à angle de 90 degrés avec des joints de raccord en laiton sur un tuyau de polyéthylène réticulé (PEX) de 3/4 de pouce, comme l’a fait le plombier pour l’unité du copropriétaire où le dégât d’eau a eu lieu.
Les rapports techniques déposés par un architecte et un entrepreneur général ayant inspecté les lieux à la suite du sinistre confirment le vice de construction. Lors du procès, près de six années après le sinistre, la firme de plomberie n’avait pas encore fourni d’expertise contradictoire.
Cependant, le juge Roberge estime que les dommages prouvés n’atteignent pas le niveau nécessaire pour démontrer la perte de l’immeuble. La solidité, la stabilité et la sécurité de l’immeuble ne sont pas affectées, ajoute-t-il.
Il n’y a eu aucun autre dommage dans les quatre appartements voisins. Aucune expertise n’a été soumise permettant au tribunal de conclure que la dégradation atteint un niveau tel que l’immeuble en est menacé. La sécurité des résidants n’est pas non plus en cause. Le sinistre a eu lieu en septembre 2018 et les travaux correctifs n’ont été faits qu’à l’été 2021. La demande est rejetée.
À la Cour d’appel
Le 10 avril dernier, un trio de juges de la Cour d’appel du Québec a entendu le recours des demanderesses. L’appel est accueilli et le jugement de première instance est infirmé. La décision est rendue le 9 mai 2025.
Les défenderesses sont condamnées solidairement à payer le coût des travaux payés par l’assureur et la franchise réclamée par le syndicat, incluant le taux d’intérêt et l’indemnité additionnelle. Les défenderesses devront aussi payer les frais de justice, y compris les frais d’experts, car la Cour d’appel estime que les rapports fournis par La BOÎTE Construction et JPG Architecte ont été utiles à la résolution du litige.
En appel, les demanderesses ne remettent pas en cause la conclusion du juge d’instance voulant qu’il n’y ait pas eu perte de l’immeuble au sens de l’article 2118 du Code civil. Cependant, elles plaident que l’analyse de la responsabilité de l’entrepreneur et du plombier ne devait pas se restreindre à cette seule disposition.
Selon elles, le tribunal aurait dû se prononcer sur le régime général de responsabilité civile fondé sur l’article 1457 du Code civil et la garantie de qualité découlant des articles 1442, 1726 et 1729.
Le plombier plaide que c’est à bon droit que le juge de première instance n’a pas abordé l’article 1457, car aucune faute n’a été commise lors de l’installation du climatiseur. Le sous-traitant ajoute que le juge a commis une erreur manifeste en concluant à l’existence d’un vice de construction.
Dans sa décision, la Cour d’appel souligne que l’application stricte de l’article 2118 du Code civil ne permet pas au juge d’instance d’écarter le régime général de la responsabilité civile ni celui applicable en vertu de la garantie du vendeur.
Dans le jugement de la Cour du Québec, on indique d’ailleurs que les demanderesses ont démontré « de manière crédible que l’installation du plombier est déficiente » et qu’elle « comporte un défaut sérieux correspondant à un vice de construction ».
Certes, le tribunal ne peut pas juger au-delà de ce qui leur est demandé par les parties au litige, reconnaît la Cour d’appel. Néanmoins, on précise dans le Code de procédure civile que la mission du tribunal est « de trancher les litiges dont ils sont saisis en conformité avec les règles de droit qui sont applicables ». Les parties n’ont pas à démontrer ni à alléguer le droit en vigueur dans leur procédure.
Tout en respectant les règles de justice naturelle, le juge de première instance est tenu d’intervenir si la preuve présentée ouvre la porte à un argument juridique et qu’il pouvait y avoir une injustice s’il ne l’aborde pas, indique la Cour d’appel. Les trois jugent estiment que l’absence d’analyse de la responsabilité civile et de la garantie de qualité commande leur intervention.
Responsabilité partagée
Comme cette analyse peut être faite sans l’administration d’une preuve additionnelle, la Cour d’appel étudie la responsabilité des défenderesses, en commençant par celle de l’entrepreneur en plomberie.
Les motifs du juge de première instance indiquent clairement que la preuve démontre une faute entraînant la responsabilité civile du plombier envers le propriétaire actuel de l’unité, le syndicat et l’assureur à titre de créancier subrogé.
En appel, Lavallée-Dufour reprend les mêmes arguments qu’en première instance et demande une nouvelle évaluation de sa preuve, ce qui n’est pas le rôle de la Cour d’appel. La firme « n’a produit aucune expertise en défense pour démontrer que les règles de l’art ont été respectées », pouvait-on lire au paragraphe 19 du jugement initial.
Du côté du vendeur professionnel qu’est le promoteur immobilier, les droits de la première acheteuse ont été transférés à l’acquéreur en septembre 2017. La jurisprudence reconnaît que la garantie de qualité se qualifie à titre d’accessoire du bien. Le vice de construction a été rapidement dénoncé par écrit au promoteur dès la fin de septembre 2018. Immeubles Devler est déclarée responsable des mêmes dommages et les deux parties défenderesses sont condamnées solidairement.