De prime abord, les placements ESG (ou l’investissement durable ou responsable) n’ont pas l’air compliqués. Or, le jargon qui porte à confusion, le risque d’écoblanchiment, et les différentes façons de percevoir la responsabilité sociale font en sorte qu’il est difficile pour les gestionnaires d’actifs et les régulateurs d’apaiser les inquiétudes.

Néanmoins, la popularité des placements ESG explose partout dans le monde tandis que les investisseurs font de leur mieux pour contribuer à la lutte contre les changements climatiques, à l’équité salariale et aux droits des Autochtones, entre autres questions qui les préoccupent. 

Au Canada, la valeur des fonds d’investissement durable était de 18 milliards de dollars au terme du premier trimestre de 2021, soit une hausse de 160 % par rapport à la même période l’an dernier, rapporte Wendy Berman, vice-présidente de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario

Mme Berman a souligné lors d’une récente table ronde des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) que l’investissement durable avait créé des défis et des irritants qui vont croissants. Plus particulièrement, il a entraîné une « course écologique » qui a suscité la création de nouveaux fonds ESG et l’intégration de placements ESG dans des fonds qui existaient déjà. D’où un risque d’écoblanchiment – c’est-à-dire lorsqu’un document d’information ou de marketing induit les investisseurs en erreur au sujet des aspects ESG d’un fonds, délibérément ou non. 

Dans un rapport publié plus tôt cette année, l’Organisation internationale des commissions de valeurs recommandait aux autorités en valeurs mobilières de fixer, à l’intention des gestionnaires d’actifs, des attentes en matière de réglementation et de supervision concernant les risques et les occasions liés aux placements ESG. 

Les ACVM ont examiné la question des fonds ESG et ont soulevé quelques préoccupations à leur endroit.

« À mon avis, le vrai problème est que la demande des investisseurs est en train de dépasser les connaissances de l’industrie et la réponse des autorités de réglementation. » – Jean-Paul Bureaud 

Hugo Lacroix, surintendant des marchés de valeurs de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a fait part des siennes lors de la table ronde. L’une de ses plus grandes inquiétudes est que non seulement de nouveaux fonds se collent l’étiquette « ESG », mais d’autres changent leurs prospectus pour y inclure des critères ESG, ou même essaient d’ajouter « ESG » à leur nom sans même parler de critères ESG dans leurs objectifs de placement. 

Récemment, l’Autorité a déterminé qu’il y aurait lieu d’étoffer les règles pour demander que soit divulguée plus d’information, notamment entourant les stratégies de placement et les votes par procuration. 

Une semaine après la table ronde des ACVM, les signataires de la Déclaration de la place financière québécoise pour une finance durable disaient s’engager à développer une expertise locale en finance et en investissement durables. Ils souhaitent également favoriser l’établissement et la croissance d’unités fonctionnelles en finance durable et promouvoir une plus grande divulgation et une plus grande transparence en la matière.

David Rutherford, vice-président, services ESG à PlacementsNEI, croit que l’un des plus gros problèmes de l’investissement durable est que les règlements actuels laissent les investisseurs pratiquement à eux-mêmes. « C’est un fardeau assez injuste, mais si l’autre solution est de se dépêcher de créer des définitions qui sont inexactes ou qui donnent une image fausse de ce qu’on fait, je ne sais pas si c’est vraiment mieux. Il ne faut pas oublier à qui on s’adresse », a-t-il dit lors de la table ronde. 

Les placements ESG pour provoquer des changements 

Pour certains investisseurs, les fonds durables sont un moyen de favoriser la croissance économique; pour d’autres, ils font partie d’une stratégie de valeur à long terme. M. Rutherford rapporte que les clients de NEI ne se servent pas des placements ESG pour faire croître leur patrimoine, mais plutôt pour faire avancer différents dossiers, dont ceux de l’équité salariale et des changements climatiques.

En fait, il peut être « difficile » pour les investisseurs de comprendre le raisonnement derrière certains placements, a remarqué Melanie Adams, vice-présidente et chef, gouvernance et investissement responsable, RBC Gestion mondiale d’actifs

En gros, selon elle, les placements ESG intéressent deux types d’investisseurs : ceux qui veulent respecter des valeurs particulières (p. ex., exclure les « titres d’entreprises du vice »), et ceux qui s’attardent au rapport risque/rendement (les avantages à long terme). 

De leur côté, les conseillers doivent être capables de bien présenter les produits et de comprendre les différents termes employés afin de les expliquer ensuite aux clients. 

Il y a des investisseurs qui s’engagent à fond : ils surveillent les cotes ESG et les controverses, et peuvent même exclure des émetteurs en fonction de ces critères. « Ce n’est plus une question de valeurs, à ce moment-là, mais plutôt de risque pour le portefeuille », précise Mme Adams.

Écoblanchiment  

Jean-Paul Bureaud, directeur général de FAIR Canada, s’inquiète avant tout du risque d’écoblanchiment auquel sont exposés les investisseurs de fonds ESG. Or, même si les conditions sont propices, il y a peu de tentatives d’écoblanchiment délibérées, selon lui.

« À mon avis, le vrai problème est que la demande des investisseurs est en train de dépasser les connaissances de l’industrie et la réponse des autorités de réglementation », dit-il. 

Mari Brossard, directrice principale, investissement durable, Banque Nationale Investissements, dit se préoccuper davantage du manque de visibilité.

« Ce que les investisseurs doivent savoir, c’est la manière dont on intègre la question de l’investissement responsable dans nos processus de placement. Bref, selon moi, c’est en donnant plus d’information qu’on résoudra le problème de visibilité. » 

Plus de clarté, s’il vous plaît 

Mme Brossard dit que les gestionnaires d’actifs doivent expliquer ce qu’ils font avec plus de clarté, à commencer par leurs objectifs. 

Certaines sociétés pensent que les règlements en vigueur en matière de divulgation s’appliquent aux fonds ESG. Mais Ian Howard, directeur commercial mondial, solutions de financement durable à Sustainalytics, une société Morningstar, est d’avis que cette façon de penser ne fait que créer de l’incertitude quant à l’information qui doit réellement être communiquée.

« Tout ça crée beaucoup d’appréhension. De mon côté, les avocats se préoccupent grandement de l’utilisation de nos renseignements par les émetteurs et les fonds, et je pense que ça va à l’encontre des objectifs des autorités de réglementation parce que ça empêche les gens de divulguer de l’information sur la recherche et l’analyse des critères ESG. C’est un peu problématique pour le marché. » 

Droits des Autochtones 

Contrairement à ce que plusieurs personnes pensent, les critères ESG et la durabilité ne se limitent pas à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la promotion d’une croissance économique durable, fait remarquer Mme Adams, de RBC. L’équité salariale et les droits des Autochtones, par exemple, font aussi partie de l’équation.

Selon M. Rutherford, les sociétés du secteur des ressources qui n’ont pas de politique en matière de droits des Autochtones courent un risque.

« De l’autre côté, on se demande : “Pourquoi, en tant qu’entreprise citoyenne, ne tenez-vous pas compte des enjeux autochtones dans le cadre de vos activités?” Nous suggérons aux entreprises de réfléchir à ces enjeux selon les deux points de vue. »