Un assureur pourrait-il faire assurer son service à la clientèle d’un centre d’appels établi à l’extérieur du Canada ? « Dans l’état actuel de la règlementation, cela ne pourrait pas être empêché », confirme l’Autorité des marchés financiers.
Le propriétaire d’un cabinet de courtage en assurance de dommages a posé cette question au Journal de l’assurance : avec la venue de la vente par Internet, pourquoi un assureur ne ferait-il pas comme Air Canada ou Bell Canada et envoyer son service à la clientèle en Inde ou au Maroc ? N’ayant pas la réponse, le Journal a investigué.
Un assureur qui tenterait la chose rencontrerait toutefois quelques embûches en cours de route qui rendrait la chose difficile, a découvert le Journal de l’assurance. Néanmoins, rien dans les lois actuelles ne l’empêche, dit l’Autorité.
Le régulateur rappelle toutefois qu’il est important de distinguer le service à la clientèle du conseil en assurance. « Le service à la clientèle peut être effectué par toute personne, peu importe où elle se trouve. Un centre d’appel d’un assureur québécois qui ne fournit que de l’information générale et ne donne aucun conseil en assurance pourrait être établi à l’extérieur du Québec. »
L’Autorité ajoute que le service à la clientèle d’un assureur fait partie intégrante de ses activités, de la même manière que la conception de produits ou le traitement des réclamations. « En ce sens, l’assureur doit pouvoir offrir un service à la clientèle qui réponde aux exigences légales et aux attentes de l’Autorité en matière de pratiques commerciales, notamment, et être en mesure d’en faire la démonstration. »
Aussi, pour offrir du conseil en assurance à un client québécois, une personne doit être détentrice d’un certificat en assurance délivré par l’Autorité. « L’offre et le conseil en assurance sont des activités exclusives au représentant en assurance. Ce dernier est celui qui est autorisé par l’Autorité à agir dans une ou plusieurs disciplines ou catégories de disciplines d’assurance, conformément aux dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers. »
En outre, pour conserver son certificat, le représentant doit satisfaire à une série d’obligations : formation continue, respect de règles déontologiques et de règles liées à l’exercice de ses activités de représentant, etc. « Ces précisions sont valables, que l’assureur pour le compte duquel le représentant agit offre ses produits par Internet ou pas. »
Or, dans la mesure où le représentant réussit à remplir toutes les obligations que la législation québécoise lui impose, il pourrait habiter à l’extérieur du Québec, dit l’Autorité. Par ailleurs, une compagnie d’assurance qui offre ses produits au Québec doit avoir son siège social ou un principal établissement d’affaires sur le territoire québécois.
Un assureur qui fait distribuer ses produits par des représentants en assurance qui ne sont pas à son emploi ni liés par un contrat d’exclusivité avec lui n’est pas tenu de s’inscrire auprès de l’Autorité lorsqu’ils offrent ses produits. Dans le cas contraire, toutefois, il doit s’inscrire comme cabinet auprès de l’Autorité.
Un cabinet (ou un représentant autonome ou une société autonome) qui agit au Québec, en plus des autres conditions précisées dans la Loi sur la distribution des produits et services financiers et les règlements adoptés en vertu de cette loi, doit notamment y avoir un établissement, y garder, ainsi qu’y tenir à jour ses livres et registres. Il les y conserve et les rend accessibles, ainsi que tous les documents et tous les renseignements provenant de ses représentants, à l’Autorité, par les moyens que celle-ci indique.
« Dans un contexte complètement « sans papier », où la technologie permettrait de rencontrer toutes les exigences québécoises, tant en matière d’assurance qu’en toute autre matière liée, dont, notamment, la protection des renseignements personnels et les technologies de l’information, un représentant pourrait, techniquement, agir à partir d’un endroit situé à l’extérieur du Québec, indique l’Autorité. Dans ce cas toutefois, les contraintes pourraient être suffisamment nombreuses : par exemple, l’Autorité pourrait vouloir rencontrer les représentants d’un cabinet lors d’une inspection et cela nécessiterait le transport de ceux-ci vers l’établissement principal au Québec où aurait lieu l’inspection. »
Autrement dit, techniquement, cela pourrait être possible, mais pratiquement et concrètement, l’éloignement pourrait constituer un empêchement, pour des représentants, de satisfaire à toutes leurs obligations, conclut l’Autorité.
Pas pour demain, affirment l’ACCAP et le BAC
À l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes, on affirme que cette option n’a jamais été étudiée. Suzie Pellerin, vice-présidente adjointe, affaires publiques et gouvernementales, du bras québécois de l’organisme, juge que les contraintes seraient trop nombreuses, notamment en matière de formation continue obligatoire. « Il y aurait aussi une divulgation à faire, que le centre d’appels soit au Maroc ou à Bangalore », dit-elle.
Elle ajoute que les assureurs prendront plutôt le virage Internet. Elle rappelle que Power Corporation, qui possède Great-West Lifeco et ses filiales, a investi 30 millions de dollars tout récemment dans le secteur des fintechs, notamment dans WealthSimple.
Même son de cloche au Bureau d’assurance du Canada (BAC). Aucun de ses membres ne l’a envisagé. « Ce serait vraiment surprenant et contraire à leurs habitudes. Nos membres tiennent à conserver un haut niveau de qualité de service, quelle que soit la méthode de vente du produit. De plus, ils travaillent d’arrache-pied depuis des années à former des professionnels de l’assurance. Ils participent à de nombreux salons de l’emploi, tentent d’attirer un plus grand nombre de personnes à tous les niveaux et encouragent la relève. Cette pratique serait difficilement envisageable à notre avis », indique sa porte-parole Caroline Phémius.
L’avis des Chambres
À la Chambre de l’assurance de dommages, on rappelle que pour exercer au Québec, et donc distribuer des produits d’assurance aux Québécois, le représentant doit obtenir son certificat auprès de l’Autorité. Ensuite, il doit être rattaché à un cabinet dûment inscrit auprès de l’Autorité pour pratiquer et distribuer des produits.
« Le représentant sera ensuite automatiquement encadré par la Chambre. Il est alors soumis au respect de son code de déontologie (et passable d’enquête déontologique par le Bureau du syndic s’il ne le respecte pas) ainsi qu’aux obligations de formation continue », ajoute sa porte-parole Lisane Blanchard, porte-parole.
Du côté de la Chambre de la sécurité financière, on souligne que la question est pertinente et qu’elle en soulève d’autres. « Qu’en serait-il de la nature des appels ? Les employés des centres d’appels offriraient-ils des conseils ? Les transactions devraient-elles être révisées par un représentant certifié ? De façon générale, un conseiller certifié qui est à l’extérieur du Québec (un snowbird par exemple) peut répondre à une question d’un client si cela respecte le code de déontologie. Toutefois, si cela implique une transaction, cela devient plus complexe, car cela nécessite notamment des signatures », dit sa porte-parole Julie Chevrette.