Si le projet de loi 150 passe la rampe, la cession de police à un tiers pourra se faire si la police a été émise depuis plus de deux ans. Au-delà de cette période, l’assureur aura le droit d’égaler l’offre de rachat.

Décrié et même interdit aux conseillers par plusieurs assureurs, le rachat de polices par un tiers consiste à racheter une police dont un assuré ne veut plus, à une valeur marchande déterminée par un évaluateur indépendant, sans que le tiers ait d’intérêt dans la vie de l’assuré. Taxé d’être un pari sur le moment du décès d’un assuré, ou de porte ouverte à la spéculation, le rachat par un tiers est interdit dans plusieurs provinces, dont l’Ontario. Au Québec, il vogue en zone grise légale depuis que la pratique existe.

La section québécoise de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP-Québec) recherchait l’interdiction. Sa présidente, Lyne Duhaime, a dit au Journal de l’assurance que la proposition actuelle n’est pas telle que le souhaitait l’industrie. Elle n’a pas voulu commenter davantage avant d’avoir terminé ses représentations auprès du ministre des Finances du Québec.

Pour qu’un tiers puissent racheter une police, il faut que l’assuré la lui cède. Or, les deux modifications que propose le ministre des Finances au Code civil du Québec empêcheront les opérations spéculatives. C’est là que les assureurs auront la chance d’égaler l’offre des tiers. Les articles 2417.1 et 2462.1 seraient ainsi modifiés.

 « Des dispositions sur la cession existaient déjà dans le Code civil. Le projet de loi 150 vient la baliser et l’encadrer, pour qu’elle ne puisse pas se faire à des fins de spéculation. Les articles introduisent un délai et de nouvelles restrictions qui constituent une protection contre la spéculation, non seulement pour les personnes en général, mais aussi pour les personnes plus vulnérables, qu’elles soient âgées, malades ou précaires financièrement », explique Evelyne Verrier, avocate et associée chez Lavery.

Le projet de loi 150 recherche selon elle un milieu entre l’interdiction totale et une porte de sortie pour l’assuré qui ne peut plus payer ses primes. « Encourager la spéculation, ou au contraire empêcher toute cession sont deux extrêmes. Les assureurs auraient voulu une interdiction totale. Ce n’est pas ce qui arrive. Si l’assureur veut racheter, il peut le faire. Cela peut être vu comme un bon compromis », estime Mme Verrier.

Distinguer les rôles

Selon Mme Verrier, il serait louable que la législation précise qu’un représentant certifié soit impliqué en tout temps, pour s’assurer que le cédant soit bien informé des conséquences de sa décision. Elle ajoute qu’il faut distinguer le rôle d’une firme tiers comme Financière Groupe Besner, par exemple, de celui d’un représentant certifié.

« Pour bien renseigner une personne vulnérable, cela prend un conseiller neutre et détaché, pour bien faire valoir les désavantages et les avantages de la cession, selon la situation du consommateur. Le conseiller doit analyser sa situation financière et voir s’il y a d’autres options. Il se demandera si la cession à un tiers est dans l’intérêt supérieur de son client, ou si celui-ci le fait pour les bonnes raisons. C’est un peu comme le remplacement de police, pour lequel la réglementation requiert des explications et un formulaire que l’assuré doit signer. La cession doit se faire en toute connaissance de cause », précise l’avocate.

Un tiers enthousiaste

Actif au Québec dans le créneau du rachat de police à escompte par un tiers depuis plusieurs années, La Financière Groupe Besner accueille avec enthousiasme l’encadrement proposé. Il ne voit pas non plus pourquoi les assureurs en seraient insatisfaits. « L’assureur aura un droit de premier refus, a dit en entrevue au Journal de l’assurance le PDG de Groupe Besner, Jean-Sébastien Besner. Les assureurs pourront refuser l’offre de rachat faite dans les deux ans d’émission d’une police et rembourser les primes à l’assuré, ou alors égaler mon offre faite au-delà de deux ans. »

M. Besner dit espérer que cela réglera la confusion qu’a fait naitre l’interdiction faite aux conseillers par certaines compagnies d’assurance de s’impliquer dans un processus de rachat par un tiers. « Les conseillers ne savaient pas trop sur quel pied danser. De plus, le gouvernement et l’Autorité des marchés financiers n’avaient pas de position claire. Ils disaient : on ne l’interdit pas ! »

Le projet de loi renforcerait sa position dans le marché, estime M. Besner. « Là, je peux dire aux conseillers et aux consommateurs que me céder une police est légal, et que le législateur encadrera cette pratique en y ajoutant deux bémols », explique-t-il.

Le premier vise à empêcher la cession « organisée » à des fins de spéculation. « J’ai entendu que des gens proposaient à des personnes âgées d’acheter une police dans le but de la céder tout de suite à quelqu’un d’autre. La police n’était pas vendue dans le but de protéger l’assuré. Mon critère a été de ne jamais acheter de polices dont la date d’émission est inférieure à 2 ans. Il y a toujours une clause d’incontestabilité et de suicide. Je n’ai jamais voulu prendre ce pari, ni celui que l’assuré ait fait une fausse déclaration. Je comprends fort bien que les assureurs étaient en désaccord avec ce type de spéculation », dit M. Besner.

La Financière Besner dit au contraire acheter des polices en vigueur depuis longtemps. « Au bout de 10 ans, 15 ans, 20 ans, le besoin d’assurance d’un assuré peut avoir disparu, et sa situation changée, de façon à ce que cela devienne légitime pour lui de songer à céder sa police », précise M. Besner.

Il considère toutefois plus ardu d’interpréter le deuxième bémol que souhaite apporter le projet de loi 150 au rachat de police. « Je comprends que le gouvernement donne aux assureurs un privilège d’exercer un droit de premier refus, soit le privilège d’égaler l’offre reçue d’un tiers par l’assuré. Par exemple, un assuré de 65 ans a acheté il y a 12 ans une police sans valeur de rachat, et je lui en offre 25 000 $. La compagnie pourrait refuser le transfert de M. Tremblay à M. Besner, et fait un chèque de 25 000 $ à l’assuré », explique M. Besner. Or, il dit moins comprendre que les assureurs en viennent à faire la même pratique que lui.

Pas seulement des avantages

Conscient des préoccupations d’experts dans l’industrie sur l’importance du conseil, M. Besner rappelle qu’il n’est pas conseiller. « L’analyse des besoins financiers n’est pas mon travail. Lorsque des gens me communiquent leur intention de céder leur police, je ne leur fais pas de suggestion. Je leur dis de regarder toutes leurs options avant d’aller de l’avant, d’en parler à leur famille et à leur conseiller. Il est incontournable : les documents de cession passent par eux », dit-il.

Evelyne Verrier, de Lavery, souligne pour sa part que la cession n’est pas la seule option. « L’assuré pourrait, par exemple, simplement laisser aller sa police à l’abandon, parce qu’il a d’autres polices, voire se trouve surassuré, signale-t-elle. Ou alors, il pourrait décider de demander à son conseiller de remplacer sa police par une autre. Il y a peut-être d’autres produits qui lui seraient plus appropriés, avec des primes moins onéreuses. »

Idéalement, il faut éviter de laisser tomber la police en déchéance, à moins qu’elle ne soit inadéquate, pense Mme Verrier. « Si le travail a été bien fait au départ, on devrait préconiser le maintien de la police. Il faut faire attention lorsqu’un client est prêt à tout laisser aller parce que sa situation financière est précaire », ajoute-t-elle.

De plus, il n’y a pas seulement des avantages à la cession, croit l’avocate qui se préoccupe des approches qui ne font valoir que ce côté de la médaille. « Cela revient à l’analyse des besoins financiers et à l’opportunité qu’un conseiller en montre les deux côtés et propose des options, dit-elle. Il y a une bonne analyse à faire. Les conditions et les restrictions proposées dans le projet de loi 150 mettent la table aux principes de base de bien analyser les besoins financiers du client. Cela doit être combiné à une bonne communication dans l’industrie et dans le public. La protection des ainés sera une autre plateforme de sensibilisation importante dans ce dossier. »