En lisant le jugement du 12 avril 2023, portant sur la plainte à l’encontre du courtier d’assurance Alain Sayag (certificat no 130 545), on ne saura jamais comment ses assurés (S.L. et J.G.-S) ont finalement appris que leur dossier d’assurance d’entreprise avait transité d’un grossiste à l’autre, en mai 2020.

Le contenu du jugement n’en révèle pas plus quant à la manière dont Intact Compagnie d’assurance a appris qu’Aviva, Compagnie d’assurance générale, avait refusé de renouveler le contrat d’assurance entreprise avec S.L. et J.G.-S, avant que le courtier ne décide de souscrire auprès d’eux, pour la période du 30 septembre 2020 au 30 septembre 2021. 

Ce qui est certain et confirmé noir sur blanc, toutefois, c’est que sans l’entente commune pour une amende de 7 500 $ entre la partie intimée (Alain Sayag) et le syndic adjoint Pascal Paquette-Dorion et du souci de ce dernier de ne pas accabler l’intimé, l’amende aurait pu s’élever à 11 500 $.

L’obligation de rendre des comptes 

Pourtant, personne ne saurait reprocher au courtier d’avoir abandonné ses deux clients à leur sort, sans couverture, puisqu’après un premier refus d’Aviva, de renouveler leur contrat par l’entremise du grossiste Intergroupe Solutions, à partir du 20 mai 2020, l’intimé aurait trouvé le moyen de souscrire auprès du même assureur pour cette même période, mais cette fois, par le biais du grossiste GroupAssur (désormais Revau).

L’intimé aurait néanmoins entrepris d’autres démarches de souscription d’assurance d’entreprise auprès d’Intact, durant l’été 2020, dans le but de contracter une autre assurance, devant entrer en vigueur le 30 septembre 2020. 

Mais ces gestes et surtout ces omissions, qui n’ont pas été contestées par l’intimé, ont été jugés comme des atteintes directes à la déontologie et, par le fait même, à l’honneur et à la dignité de sa profession (article 37 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages).

Plus spécifiquement, l’abstention d’informer ses assurés du refus d’Aviva de continuer à le couvrir, par l’intermédiaire d’Intergroupe Solutions, est qualifiée d’exercice négligent de la profession (art. 37 paragr. 1). Le courtier aurait aussi manqué à son devoir de rendre des comptes sur l’exécution de son mandat lorsqu’il aurait pris l’initiative de souscrire avec Aviva auprès de Groupassur (art.31 paragr. 4). 

Entre négligence et tromperie 

À ces négligences envers les assurés s’ajoute la culpabilité pour déclaration fausse, trompeuse et susceptible d’induire en erreur (art.31 paragr. 7). Le courtier se mérite une telle accusation d’abord pour ne pas avoir révélé à l’assureur Intact le refus d’Aviva de poursuivre la relation commerciale avec S.L. et J.G.-S pour leur contrat d’entreprise.

Le comité de discipline statue que l’intimé aurait également agi de façon à induire un de ses clients (S.L.) en erreur, en contravention avec le même paragraphe de la loi, par les explications inadéquates qu’il lui aurait fournies, au moment où il démarchait auprès d’Intact. 

Enfin, ce manque de clarté envers tous les acteurs concernés oblige l’intimé à admettre sa faute envers l’article 21 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome, qui stipule les mentions conventionnelles que doit contenir chaque dossier d’assuré, comme le nom du client, le montant et le contenu de la police d’assurance, les numéros de contrat et la date d’émission, etc. Ce principe n’a pas été suffisamment respecté pour que l’assureur et l’assuré puissent prendre leurs décisions d’assurance en connaissance de cause des risques impliqués. 

Sanction réduite, mais blâme maintenu 

À la base, l’accusation comportait six chefs d’accusation, appuyés chacun par une multitude d’articles de loi, mais l’un des chefs fut retiré au cours de l’entente commune et seul le principal article ou paragraphe en cause fut retenu pour chacun des chefs d’accusation. Les parties conviennent ainsi avec le comité ce que l’on appelle un « arrêt conditionnel », visant à empêcher de condamner plusieurs fois pour une même offense, en ce qui a trait aux autres pénalités. 

De plus, des sanctions de 2 000 $ avaient d’abord été déterminées pour le chef concernant le défaut d’informer le client de la souscription en vigueur en mai 2000 auprès d’Aviva ainsi que celui des manquements dans les informations fournies à Intact. Ces deux chefs ne vaudront, au bout du compte, qu’une réprimande.

Mais les désinformations affectant directement les assurés bénéficient de beaucoup moins de clémence : 

  • l’amende de 2 000 $ est maintenue à propos des mentions incomplètes dans les dossiers des clients. 
  • les chefs pour lesquels la culpabilité pèse le plus lourd concernent toutefois les informations erronées fournies par le courtier à son assuré, lorsqu’il chercha pour lui une couverture chez Intact (2 500 $) ;
  • la faute initiale, soit l’obligation d’informer les clients qu’Aviva refusait de les couvrir (par l’intermédiaire d’Intergroupe), dont découleront en grande partie les autres, demeure, quant à elle, la plus fortement pénalisée, à la hauteur de 3 000 $ d’amende ;
  • l’intimé doit également acquitter tous les déboursés.
Une gravité sans malveillance 

Mais le préjudice des uns et des autres, causé par ces informations absentes ou incomplètes, est difficile à déterminer dans ce jugement qui n’y consacre pas une seule ligne. La mise en péril de la protection du public et la gravité objective des faits, au cœur même de l’exercice de la profession, y sont néanmoins présentées d’emblée parmi les facteurs aggravants. Il faut dire qu’après 34 ans d’expérience dans ce domaine, l’oubli ou le déni de la pertinence d’informer un assuré du refus de son assureur de persister à contracter avec lui s’expliquent difficilement.

Me Sonia Paradis, à la défense, a d’abord tenté de plaider pour son client des motifs situationnels, lorsque le transfert d’un grand nombre de contrats a pu créer quelques confusions. Elle assure que son client n’avait rien à gagner à travers ces omissions et imprécisions et qu’il a déjà apporté plusieurs modifications à ses méthodes de travail afin d’éviter que de telles erreurs ne se reproduisent. 

Les représentants de la partie plaignante et du syndic adjoint se laissent convaincre sans ambages que les regrets exprimés par l’intimé, après sa reconnaissance de culpabilité, sont sincères. Ils ne s’opposent pas non plus à l’idée que l’intimé aurait pu agir de bonne foi et qu’il s’abstiendra de récidiver. Même les 34 années de pratique sans autres antécédents disciplinaires ainsi que le fait que la plainte ne concerne qu’un seul dossier (même si elle est justifiée par de trop nombreux dossiers à traiter simultanément) ont fini par s’intégrer à la liste des facteurs atténuants de l’intimé.