Les produits de prestations du vivant à protections combinées pourraient permettre à l’assurance de soins de longue durée de sortir de son marasme, affirme un réassureur.

Ses récentes observations des développements à l’échelle internationale ont amené le vice-président aux prestations du vivant de RGA Canada, Benoit Miclette, à conclure que les produits combinés ou hybrides pourraient débloquer les ventes d’assurance de soins de longue durée. Il a fait part de ses conclusions en avril, lors d’une conférence organisée par la section Laval de la Chambre de la sécurité financière.

« Dans les autres pays, en assurance soins de longue durée, on voit des produits d’assurance vie avec accélération de paiement en cas de maladies graves ou des polices qui combinent les différentes couvertures, dit M. Miclette. Ils n’offrent pas de remboursement des primes. Cette option a été créée au Canada parce que les gens hésitaient envers ces produits en disant : "Je vais peut-être payer des primes pendant des années pour rien. " »

L’actuaire de RGA croit aux chances des produits hybrides. On pourrait ainsi voir des contrats d’assurance invalidité ou de maladies graves se transformer en assurance soins de longue durée à 65 ans. Présents ailleurs dans le monde, ces produits prendront de plus en plus d’importance ici, croit M. Miclette.

En Australie, l’industrie offre un produit appelé Tout-en-un. Ce contrat offre des protections d’assurance vie, phase terminale, maladies graves avec des avenants d’assurance vie supplémentaire, d’assurance enfants et d’assurance invalidité. Parmi les combinaisons possibles, le produit permet de souscrire de l’assurance vie et de l’assurance pour invalidité totale et permanente.

L’inspiration pourrait aussi venir des États-Unis, avec un produit qui combine un contrat de rente viagère avec une couverture d’assurance soins de longue durée. Ce produit est entré en vigueur le 1er janvier 201, grâce à des changements au Pension Protection Act. Il permet le paiement de prestations pour soins de longue durée d’une rente, sans que le titulaire de contrat n’ait à payer d’impôt. « Cela ouvre la porte à beaucoup d’innovation », dit M. Miclette.

Outre leur caractère innovateur, ces produits hybrides ou combinés permettraient de faciliter le processus de vente, de mieux répondre aux besoins dans un cycle normal de vie et d’économiser des couts. Leur développement est en progression au Canada, ajoute l’actuaire de RGA.

« Le produit combiné aurait l’avantage de permettre au conseiller de s’assoir avec son client et de parler de tous les risques en même temps, avec un seul formulaire, soutient M. Miclette. Nous essayons aussi de trouver une façon de réduire les primes du produit de soins de longue durée. Nous avons d’importantes discussions avec les conseillers pour orienter nos tendances. »

Vice-président exécutif et actuaire désigné chez UV Mutuelle, Luc Pellerin a de son côté confié à RGA le mandat de développer des produits combinés, depuis quelques années. Son produit hybride, AdapSanté+ Hybride+, est de cette lignée. Ce produit combine assurance maladies graves et soins de longue durée. En vertu de ce produit, la prestation mensuelle de soins de longue durée est égale à 5 % du capital payable en cas de maladie critique.

La mutuelle révisera par ailleurs ses primes à la fin du printemps, en raison des bas taux d’intérêt. Son produit de maladies graves (AdapSanté+) en sera affecté. « Nous nous tiendrons dans des balises raisonnables », a révélé M. Pellerin. L’impact sera plus grand sur l’assurance vie, explique-t-il. « Lorsque les taux d’intérêt à long terme passent, par exemple, de 4 % à 3,5 %, cela commande une hausse des primes de 12 % en assurance vie permanente et de 9 % en maladies graves », a-t-il précisé. L’assurance vie temporaire n’est pas affectée.

Le mur des ventes

L’assurance soins de longue durée demeure le parent pauvre des produits de prestations du vivant. Selon le survol du marché canadien effectué par Benoit Miclette, les nouvelles ventes de primes annuelles réalisées en 2012 ont atteint 10 millions de dollars (M$), en baisse de 4 % par rapport à 2011. En comparaison, les ventes de maladies graves ont atteint 121 M$, soit une hausse de 16 % durant la même période. Les ventes de « rentes d’invalidité » ont atteint pour leur part 72 M$, en baisse de 3 % entre 2011 et 2012.

Si les ventes de soins de longue durée progressent difficilement, c’est que l’industrie agit avec prudence au Canada, a rappelé M. Miclette : les primes sont élevées et ne sont pas garanties. L’industrie canadienne ne veut pas répéter l’erreur américaine : des produits généreux qui n’ont pas prévu le faible taux d’annulation de polices survenues par la suite. Les produits américains, présents dans le marché depuis 1974, sont aussi confrontés aux problèmes des taux d’intérêt et de l’évolution récente des produits.

Le produit bénéficie de peu d’expérience, ajoute-t-il. « Il est apparu au Canada en 1997. Nous n’avons pas encore beaucoup d’outils pour travailler. Il s’agit aussi d’un produit dont la tarification se fonde sur le taux de morbidité », dit M. Miclette. Assez stable, l’expérience de mortalité repose sur plusieurs décennies. En morbidité, l’expérience change rapidement : les nouveaux médicaments peuvent aider, mais le taux d’obésité croissant et le style de vie plus sédentaire des Nord-Américains nuiront en retour.

Au Groupe Cloutier, la directrice du markéting des prestations du vivant, Josée Boudreau, confirme la morosité des ventes de ce produit, en ce qui touche les activités de l’agent général. « Ce produit, qui est pourtant la suite logique des produits d’assurance invalidité, ne lève pas beaucoup. Il est dispendieux et encore plus cher lorsqu’il est souscrit tard. L’âge idéal pour le souscrire est autour de 50 ans, mais le client n’a souvent plus de budget disponible après l’assurance vie, invalidité ou maladies graves et les REER. Nous observons que les clients y songent surtout vers 65 à 67 ans, lorsqu’ils sont confrontés à ce risque », dit-elle.

Le hic, ajoute Mme Boudreau, c’est que les taux de primes ne sont pas garantis à long terme. C’est pourquoi plusieurs clients auraient avantage à opter pour un produit à période de paiement limitée sur 20 ans.

Note positive, la souscription des risques est maintenant moins sévère, dit-elle. Elle révèle que les agents généraux ont fait pression sur les assureurs en ce sens. « Il y a un temps où la souscription était très difficile, par exemple avec les tests cognitifs. C’est un peu moins pire maintenant. Ils font preuve d’un peu plus de souplesse dans leurs décisions de tarification en général », précise Mme Boudreau. Les ventes de soins de longue durée au Groupe Cloutier ont légèrement augmenté, « mais pas autant que nous le voudrions ».

Il est temps de trouver des solutions, avant que les conseillers ne désespèrent complètement, renchérit Tim Landry. Conseiller chez Marcolin & Associés, M. Landry se spécialise en prestations du vivant depuis 1969, dans la région de Montréal. Il a observé que la majorité des conseillers de plus de 50 ans n’aiment généralement pas le marché des prestations du vivant. Ils aiment encore moins l’assurance soins de longue durée.

« Si nous ne faisons pas quelque chose pour réveiller ce marché, nous le perdrons, dit-il. À choisir entre les trois produits de prestations du vivant que sont l’invalidité, les maladies graves et les soins de longue durée, je choisirais les soins de longue durée. Je pense que ce sont eux qui ont le plus de potentiel de croissance. »

Les compagnies doivent, selon lui, trouver le moyen de rejoindre les conseillers pour les aider à « fonctionner » dans ce marché. « Les assureurs doivent fournir aux conseillers un bref guide et une formation appropriée. Les spécialistes de prestations du vivant chez les agents généraux doivent de leur côté s’unir pour trouver le moyen d’avoir un plus grand impact sur les conseillers », estime M. Landry. On doit entre autres encourager les conseillers à travailler en tandem avec une personne plus expérimentée qu’eux dans ce créneau, afin d’en faire bénéficier leur clientèle, ajoute-t-il.

Il croit aussi que les compagnies devraient donner l’exemple en acceptant quelques cas limites. « L’industrie doit comprendre qu’une des dépenses quelle doit assumer dans ce marché consiste peut-être à prendre quelques cas marginaux et les accepter tels quels », suggère le conseiller.

Tim Landry croit aussi que la Financière Sun Life devrait revenir à son modèle des spécialistes en soins de longue durée. Au début irrité par cette approche développée au début des années 2000, il en était pourtant venu à considérer que c’est la seule façon de percer ce marché.

Sun Life n’a pas voulu se commettre sur cette question. « Financière Sun Life tient une position dominante dans le marché de l’assurance soins de longue durée et nous continuons d’investir dans ce secteur, dit David Baker, vice-président adjoint, assurance santé, vie et investissement de Sun Life. Il a ajouté que l’assureur avait connu du succès dans ce marché en formant ses conseillers à travers des partenariats, des outils et des ressources.

M. Baker a cité les résultats d’un récent sondage de Léger Marketing effectué pour le compte de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP). On y prédit que les besoins futurs en soins de longue durée atteindront 1,2 billion de dollars (1 200 M$), soit deux fois plus que ce qui est offert à la population sous la forme de programmes gouvernementaux. « Cela place l’assurance soins de longue durée en position de connaitre du succès de façon continue, comme outil pour réduire les risques de santé à long terme, en les transférant ou les partageant avec un assureur », dit M. Baker.