Les agents généraux ne sont pas indifférents à la transformation qui touche la distribution en assurance vie au Canada. Trois dirigeants d’agents généraux à propriété québécoise ont confié leur stratégie au Journal de l’assurance.

Ce texte est publié en complément de notre dossier sur les agents généraux paru dans notre édition imprimée d'avril 2019.

Aurrea Signature : se battre pour son marché

Aurrea Signature a cédé la totalité de ses parts à Humania Assurance en septembre 2017. Son président, Christian Laroche, se hérisse chaque fois qu’on lui dit que ses 750 conseillers ne sont pas indépendants.

« Humania détenait déjà des actions dans Pro Vie assurances depuis 2001. Nous sommes la preuve vivante que l’indépendance est possible même si c’est un assureur qui détient l’agent général. Nous voulons aider à propulser d’autres cabinets en nous associant avec eux. Si on les achète, le but n’est pas d’en être actionnaire à 100 % », dit-il.

Aurrea Signature, le plus petit des trois groupes appartenant à un assureur au Canada, explique que le marché ne lui est pas gagné d’avance, même avec l’appui d’un assureur depuis longtemps, insiste M. Laroche. Ce dernier rappelle avoir dû surmonter maints obstacles, dans un univers où volume et contrats directs font foi de tout.

« Pour être capable de danser avec les autres, il faut grossir avec les autres. Un vrai agent général doit détenir un contrat de distribution directe avec tous les fournisseurs et les maintenir. Il doit produire 20 millions de dollars de primes annuellement. Notre but était en premier lieu de détenir un contrat avec tous les assureurs au Canada. Je m’étais mis en tête de monter cette côte à partir de 2015, alors que nous avions un contrat direct avec à peine plus de la moitié des assureurs au Canada. Avant 2018, il nous manquait Manuvie et la Financière Sun Life. Nous sommes directs avec eux depuis 2018 », révèle M. Laroche.

Il se dit en bonne voie d’atteindre le volume annuel de 20 millions de dollars de primes. « Nous avons produit un volume approximatif de 16 millions de dollars en 2018, une hausse de près de 20 % par rapport à 2017. Nous visons les 20 millions d’ici 2019-2020, si la croissance se maintient. »

En contrepartie, M. Laroche dit avoir vécu une crise de croissance en 2018. Il a dû réorganiser ses activités d’arrière-guichet et embaucher 11 personnes au siège social de Boucherville pour soutenir l’apport de ces nouvelles ventes.

Aurrea Signature a aussi lancé un service de coordination de la gestion privée pour ses clients qui ont au moins un million de dollars d’actifs, y compris la résidence principale : Aurrea Distinction. Selon les mots de Christian Laroche, l’entité se veut un chef d’orchestre.

Dirigée par Guy Gignac, un partenaire d’Aurrea par l’entremise du cabinet Berger Gignac, Aurrea Distinction analyse la situation du client du conseiller et fait le pont avec les professionnels qui l’entourent. « L’idée est de réunir tous les professionnels et spécialistes du client sous un même toit », explique M. Laroche.

Aurrea Distinction dirige ensuite le client vers le partenaire externe de gestion privée qui lui convient le mieux, explique M. Laroche. À l’heure actuelle, le partenaire le plus récurrent est Gestion privée Manuvie.

« Nous négocions actuellement avec Jarislowsky Fraser », a-t-il révélé. Aurrea Distinction a également noué un partenariat avec trois cabinets comptables, un cabinet d’avocats et un cabinet spécialisé en régimes de retraite individuels.

MICA : priorité à la clientèle d’affaires

Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinet de services financiers, dit veiller à offrir une option différente sur le marché.

« Notre concurrence se polarise en branches de distribution des fournisseurs, que ce soit en fonds ou en assurances. Nous voulons offrir quelque chose de différent et d’indépendant. Nous formons de la relève à l’Internet et nous les aidons à croitre en facilitant l’achat de clientèles par l’évaluation, le jumelage et le financement. Depuis le dernier trimestre de 2018, nous offrons un programme de financement à nos conseillers avec un partenaire bancaire. »

Dans l’environnement actuel, la croissance et la pérennité deviennent des enjeux pour n’importe quel entrepreneur, souligne M. Savard. C’est pourquoi MICA mise sur les niches, ajoute-t-il, et compte surtout des conseillers prospères à la clientèle aisée. M. Savard n’a toutefois pas d’exigences de base en matière de commissions de première année. « J’ai une exigence de valeur. Je prends souvent des conseillers qui partent de zéro. »

MICA n’est pas non plus à vendre. « Ça pourrait changer si notre modèle ne fonctionne pas et est déficitaire, mais ce n’est pas le cas. Nous continuons à croitre et à être nichés. Nous avons près de 200 conseillers, dont des jeunes qui commencent. Nous comptons 80 % de nos affaires auprès de 100 conseillers », précise M. Savard.

Pour aider les jeunes à se faire une carrière, l’agent général a investi en aout dernier dans la technologie financière Emma, dont il partage maintenant la propriété avec les fondateurs. Il s’agit d’une plateforme qui permet à l’internaute de clavarder avec un conseiller certifié pour découvrir ses besoins et, éventuellement, souscrire une assurance.

« Emma va bien et est en processus d’accréditation pour être accessible partout au Canada. Avant d’investir en publicité, nous rodons le système pour que le conseiller puisse être appuyé par l’intelligence artificielle, explique le président de MICA. Présentement, emma.ca ne pourrait pas soutenir 50 clavardages en même temps. Elle peut peut-être en permettre huit ou neuf simultanément. »

Il dit aussi travailler de près avec les assureurs pour faciliter le processus de vente directe par proposition électronique et raccourcir les délais. « Nous peaufinons le code pour bien gérer le flot des demandes. Il se fait des ventes tous les jours sur Emma, qui vise à répondre adéquatement aux besoins des jeunes familles. Une quinzaine de conseillers y sont rattachés », dit M. Savard.

AFL : obtenir du financement sans être acheté

Obtenir du financement d’un assureur sans être acheté? C’est possible, dit Yan Charbonneau, président d’AFL Groupe Financier.

L’agent général tient à son indépendance, mais sait qu’il aura besoin d’aide pour la conserver. Il a donc cherché un partenaire disposé à le financer sans l’acheter. M. Charbonneau a fait mouche avec SSQ Assurance.

« SSQ offre un programme aux agents généraux qui souhaitent demeurer indépendants. Elle finance leur développement en échange de l’occasion de nouer une relation privilégiée », a révélé M. Charbonneau en entrevue au Journal de l’assurance.

Vice-président du développement des affaires, Centre et Est du Canada, assurance individuelle et investissement de SSQ Assurance, Luc Bossé a confirmé au Journal de l’assurance l’existence de ce programme. « Nous offrons du financement aux agents généraux sur une base discrétionnaire. Nous n’avons toutefois pas de politique officielle. C’est du cas par cas », explique M. Bossé.

Selon M. Charbonneau, la tendance est aux programmes de financement offerts par des assureurs qui ne veulent pas acheter d’agents généraux, mais plutôt faire contrepoids aux groupes intégrés. « Ils ont compris qu’il faut laisser un entrepreneur à la tête d’un agent général, et non en faire un gestionnaire, si on veut le faire croitre. Ces assureurs vont investir dans un agent général pour l’aider à développer sa technologie et ses systèmes sous la forme de prêts, par exemple », signale M. Charbonneau. Il est selon lui difficile pour un agent général de taille moyenne de progresser dans des domaines avancés comme l’intelligence artificielle sans liquidités externes.

« Il va y avoir une polarisation entre indépendants et non indépendants. L’industrie de l’assurance vie commence à rattraper celle de l’assurance de dommages, qui en est déjà là depuis quelques années. Cette polarisation en IARD a trouvé écho dans la presse grand public. Nous verrons la même chose en assurance vie », soutient le président d’AFL, qui détient aussi des cabinets de courtage en assurance de dommages rassemblant tout près de 100 millions de dollars en primes.

Les groupes intégrés ont un avantage financier sur les indépendants, d’où la recherche d’un contrepoids. Cet avantage devient d’autant plus crucial avec des initiatives comme le programme d’accès au marché offert par Horizons aux anciens conseillers Clé d’Or de la Great-West et aux conseillers Élite de la London Life, croit M. Charbonneau.

« Quel est l’intérêt de cette stratégie si ce n’est de s’approprier la clientèle des autres agents généraux? Nous commençons à voir des assureurs qui nous appuient. La meilleure réplique est de pouvoir offrir tous les produits et services. Nous y sommes, avec l’assurance de personnes et les investissements, en plus du financement hypothécaire et de l’assurance de dommages. »

Yan Charbonneau maintient qu’un agent général doit pouvoir « jouer de tous les instruments » pour survivre. « Mon vrai concurrent, ce n’est pas Groupe Financier Horizons, c’est la banque. Elle est bien plus structurée et dangereuse. Pour tirer notre épingle du jeu, nous allons diversifier encore plus les produits et multiplier les alliances avec les assureurs. »

Ce texte est publié en complément de notre dossier sur les agents généraux paru dans notre édition imprimée d'avril 2019.