Le 6 septembre dernier, le comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages a déclaré Chanel-Anoushka Giroux (certificat no 193 501) coupable de quatre des cinq chefs de la plainte. La sanction sera déterminée à la suite d’une prochaine audience. 

Les infractions retenues contreviennent à divers articles du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.

L’intimée exerce la profession de courtier dans la région de Laval. Au printemps 2020, elle a voulu aider un ami, président et administrateur d’une flotte de transport établie en Ontario. Cet entrepreneur avait besoin de trouver un nouvel assureur pour ses camions, tous immatriculés en Ontario. 

L’assureur précédent avait résilié les polices d’assurance émises au nom de l’entreprise pour aggravation de risque, en donnant un préavis de 15 jours. 

Pas de permis 

Le comité rappelle que tout représentant certifié qui désire agir pour un client établi en Ontario doit être inscrit auprès de l’organisme d’autoréglementation des courtiers d’assurance de l’Ontario (RIBO). L’entreprise est située à Alfred, dans la partie francophone de l’est de la province. 

Entre mai 2020 et mars 2021, l’intimée a fait défaut de tenir compte des limites de ses aptitudes, de ses connaissances ainsi que des moyens dont elle disposait, en agissant comme courtier pour le compte de cette entreprise, mais sans être membre du RIBO (chef 1). Ce geste contrevient à l’article 17 du Code. 

En août 2020, à la suite de l’incendie d’un camion de l’entreprise assurée, l’intimée a abusé de la bonne foi de l’assureur RSA Canada. Elle a recommandé au représentant de l’assurée de présenter une réclamation d’assurance sur la base d’une protection d’assurance pour dommages matériels sans collision apparaissant erronément sur la copie du contrat, alors qu’elle savait ou devait savoir que telle protection n’y apparaissait pas (chef 2). Cela représente une infraction à l’article 27 du Code. 

En octobre 2020, l’intimée a encore abusé de la bonne foi de l’assureur RSA Canada en transmettant à l’expert en sinistre de l’assureur une copie du contrat d’assurance. Ce contrat indiquait la protection d’assurance pour dommages matériels sans collision mentionnée au chef 2. Ce geste est proscrit par l’article 37 (1) du Code. 

Enfin, en novembre 2020, l’intimée a une fois de plus abusé de la bonne foi du même assureur en déclarant faussement qu’elle croyait que le contrat d’assurance de l’entreprise comprenait la protection ci-dessous mentionnée aux chefs précédents (chef 5). L’article 37 (7) du Code interdit un tel comportement déloyal. 

Le comité ordonne la suspension conditionnelle des procédures à l’égard des autres dispositions alléguées au soutien des divers chefs. 

La défense 

L’intimée se défend d’avoir commis toute faute déontologique et maintient qu’elle pouvait agir pour le compte de l’entreprise assurée. Elle indique que le représentant de la firme de transport est francophone et qu’elle travaille en équipe avec les deux courtiers de Toronto, lesquels sont membres du RIBO. 

Quant aux allégations d’avoir utilisé des procédés déloyaux à l’endroit de l’assureur ou du cabinet Indemnipro chargé de la réclamation, l’intimée soulève divers moyens. Elle a soulevé la diligence raisonnable, le principe interdisant les condamnations multiples, sa bonne foi et une simple erreur qui ne revêt pas le degré de gravité requis pour constituer une faute déontologique.

Ces moyens de défense n’ont pas été retenus par le comité, hormis celle concernant le chef 3 et le principe concernant les condamnations multiples. L’intimée est déclarée coupable de cette infraction, mais le comité ordonne la suspension des procédures. 

« À notre avis, le chef 3 constitue une suite logique du chef 2 et il n’existe pas d’éléments suffisamment distinctifs entre le chef 2 et le chef 3 pour justifier des condamnations multiples », écrit le comité au paragraphe 140. 

Le contexte 

L’intimée œuvre dans le domaine de l’assurance de dommages depuis 10 ans, dont neuf ans comme courtière. Depuis sept ans, elle consacre ses activités principalement dans le secteur du transport et du camionnage. En juillet 2019, elle est embauchée par un important cabinet d’assurance de dommages. 

L’entreprise d’Alfred compte huit camions et quatre remorques et détient un contrat avec le Groupe Robert pour tirer les remorques de cette société. Tous les besoins étaient assurés auparavant auprès de la Compagnie d’assurance générale Co-operators

Après une dispute avec un garagiste pour une réparation qu’il refusait de payer, le mécanicien exerce son droit de rétention sur le véhicule. L’entrepreneur décide de porter plainte pour vol à la police. En juin 2020, le propriétaire de la société de transport est accusé de méfait public et de fraude. En janvier 2021, le chef de fraude est retiré, mais l’intimé reconnaît sa culpabilité pour le chef de méfait public.

En conséquence, en avril 2020, l’assureur considère que le risque d’assurance est aggravé et avise donc l’assurée que ses polices seront résiliées dès le 15 mai 2020. 

Pour venir en aide à son ami, l’intimée a transmis des propositions à Economical Ontario, et elle inclut son collègue et voisin de bureau qui a son permis du RIBO. L’assureur refuse de souscrire les risques proposés.

Entre le 5 et le 12 mai, d’autres assureurs et un grossiste refusent de donner suite aux propositions soumises par l’intimée. Un assureur et un grossiste négligent même de répondre à l’intimée. Plusieurs assureurs du Québec refusent la proposition, puisque les véhicules sont immatriculés en Ontario. 

Le 8 mai 2020, l’intimée demande l’aide d’un collègue de l’établissement de Toronto de la même société de courtage. L’entrepreneur assuré est disposé à faire affaire avec des assureurs non standards et se dit prêt à payer une prime d’environ 15 000 $ par unité assurée.

En juin 2020, il se résigne à souscrire une police dont la prime est plutôt de 30 000 $ par unité. L’intimée lui affirme qu’au bout d’un an, il pourra s’assurer auprès d’un assureur traditionnel. 

La division RSA Facility de l’assureur accepte la proposition de couverture de la flotte le 1er juillet 2020. La firme SNAP accepte de financer la prime payable. À la suite de ses échanges avec l’intimée, l’assurée ne requiert pas de garantie d’assurance pour les dommages causés pour plusieurs véhicules, notamment pour le camion Kenworth 2007 qui sera au centre de la réclamation qui suivra. L’assurée refuse aussi de souscrire l’avenant FAQ no 27. 

Un sinistre 

Le 12 août 2020, RSA Facility imprime la police émise au nom du transporteur et en transmet un exemplaire au cabinet. Une nouvelle version de la police sera émise le 21 août, où il est précisé que les dommages physiques ne sont pas couverts. 

Le 14 août, le camion Kenworth 2007 est endommagé par un incendie.

Les courtiers de Laval et de Toronto entreprennent une correspondance par courriel sur la garantie d’assurance pour les dommages causés (« physical damages »). L’expert en sinistre d’Indemnipro est aussi interpellé. 

Le 11 septembre 2020, l’intimée prévient son client que même si elle soumet la réclamation, elle ne peut lui garantir qu’il sera indemnisé, puisqu’il a décliné la protection pour les dommages physiques au camion. 

L’intimée transmet à l’expert en sinistre la première version du contrat émis par l’assureur. À cet égard, l’intimée affirme qu’elle a pris la première police qu’elle a vue dans le système Epic et qu’elle l’a tout simplement transmise à Indemnipro. Cependant, cette partie de son témoignage est contredite par ses déclarations faites à l’enquêteur de la Chambre et par le contenu des nombreux courriels. 

Il faudra de nombreux échanges entre les parties impliquées avant que l’on découvre que le sinistre n’est pas couvert.

Les témoignages 

Le directeur des risques en transport du bureau de Toronto du cabinet a témoigné. Il explique que le montage du dossier devait se faire par l’entremise des collègues du Québec, car le représentant de l’assurée ne parlait pas anglais. 

Il rappelle que le recours aux assureurs du type « facilities » entraîne souvent des délais dans l’émission des polices. « À son avis, il est habituel d’obtenir plusieurs avenants avant que la police soit conforme », lit-on au paragraphe 63. 

Une collègue de l’intimée à l’établissement de Montréal, qui détient le permis du RIBO, témoigne avoir pris la relève de l’intimée en mars 2021 dans la gestion du compte de cette entreprise. Le propriétaire de la firme assurée n’est pas satisfait de la prime et il accuse également des retards de paiement auprès de SNAP. Le cabinet avise l’assurée que son mandat prendra fin en juillet 2021. 

Dans son témoignage, l’intimée affirme qu’elle a utilisé les services de son collègue de Laval et des courtiers de Toronto qui détiennent leur permis du RIBO. Selon elle, comme l’assurée payait « techniquement » une prime pour la protection dommages physiques sans collision, elle pouvait avoir droit à la garantie. Comme il y avait confusion dans le dossier, ce n’était pas à elle de trancher et elle a rapporté le sinistre à RSA Facility afin que ce dernier ouvre un dossier de réclamation. 

Selon le comité, « l’intimée ne fait pas la distinction entre déclarer un sinistre et présenter une réclamation ». 

Analyse 

Dans son analyse, le comité fait un rappel des règles en matière de crédibilité des témoins et d’appréciation de leurs propos. 

La preuve soumise montre qu’il est inexact de soutenir que le collègue de Toronto était le courtier principal au dossier de la firme de transport d’Alfred. C’est l’intimée qui a fait les démarches auprès des assureurs et qui a conseillé le client tout au long du processus. L’intimée n’avait pas le permis du RIBO ni l’expertise particulière requise pour répondre aux besoins de l’assurée. 

Concernant le chef 2, le comité estime que la preuve est limpide. L’exploitant de la flotte ne voulait pas couvrir les dommages physiques sans collision et il n’a pas requis cette garantie. Celle-ci a été incluse dans la première version du contrat à la suite d’une erreur de l’assureur. L’intimée savait très bien que cette couverture avait été refusée par son client. 

À propos du chef 4, l’envoi de la police erronée à l’expert en sinistre d’Indemnipro se déroule le 1er octobre 2020. À ce moment-là, l’intimée sait très bien que la police a été amendée et elle ne mentionne jamais à l’expert qu’il pourrait y avoir « confusion » comme elle l’a mentionné à plusieurs reprises dans son témoignage. L’intimée « s’essaye encore une fois », écrit le comité. 

Enfin, concernant le chef 5, la preuve du syndic n’a pas été contredite. L’infraction reprochée est différente de celle indiquée au chef 4. Le 9 novembre 2020, l’expert en sinistre a compris que la police a été amendée et l’intimée sait que son stratagème est voué à l’échec. Elle tente de brouiller les pistes pour se disculper. En conséquence, la règle interdisant les condamnations multiples ne s’applique pas, conclut le comité.