La police bris d’équipements offerte en assurance aux entreprises ne couvre pas le manque d’entretien ou l’usure normale. Les propriétaires d’un immeuble de Québec ont découvert les limites de la garantie dans le cadre d’un litige qui a fait les manchettes durant six ans.
Le 19 septembre 2012, la direction de la Santé publique de la Capitale-Nationale confirmait la source de l’épidémie de légionellose qui avait coûté la vie à 14 personnes. La première victime était décédée six semaines plus tôt. La tour de refroidissement à l’eau (TRE) sur le toit du Complexe Jacques-Cartier de la rue Saint-Joseph à Québec, qui héberge notamment la Bibliothèque Gabrielle-Roy, était ciblée comme étant la source de l’éclosion.
Il a fallu plusieurs semaines aux autorités pour trouver la source de la contamination. Quelque 200 autres personnes ont été hospitalisées en raison de l’infection.
La TRE de l’édifice ciblé était contaminée par la bactérie responsable de la légionellose, et les gouttelettes d’eau étaient inhalées par les gens qui fréquentaient le secteur. Les symptômes de difficulté respiratoire apparaissent dans les deux à dix jours suivant l’inhalation.
Action collective
Le 17 juin 2015, Solange Allen, la veuve de Claude Desjardins — l’une des victimes — a déposé sa demande d’autorisation pour exercer une action collective contre le CIUSSS de la Capitale-Nationale qui chapeaute la direction régionale de la Santé publique. La poursuite visait aussi personnellement le directeur de la Santé publique de même que la procureure générale du Québec. L’action est portée par le cabinet de l’avocat Jean-Pierre Ménard.
La Centrale des syndicats du Québec (CSQ), propriétaire de l’immeuble, était aussi défenderesse en garantie, tout comme deux autres entreprises qui ont fourni les équipements de refroidissement ou étaient chargées de leur bon fonctionnement, Trane Canada ULC et les Produits chimiques State.
La Cour supérieure du Québec a autorisé l’action collective le 24 février 2016. La Cour d’appel a rejeté la demande d’autorisation d’en appeler de ce jugement le 22 novembre 2016. La représentante dépose la demande introductive d’instance le 30 janvier 2017. Le procès devait commencer le 24 septembre 2018, mais le tribunal a été informé quatre semaines plus tôt qu’une entente de principe était intervenue entre les parties.
Le 11 décembre 2018, le juge Clément Samson approuve l’entente de principe, signée le 26 septembre et amendée le 15 novembre. Les défenderesses acceptent de verser 7,5 millions de dollars (M$) dans un fonds servant à dédommager les victimes.
Entente approuvée par le tribunal
Pour accepter l’entente, le tribunal devait déterminer le risque de réussite de l’action collective quant à la responsabilité des défenderesses, mais sans voir la preuve que les parties auraient utilisée. Le juge Samson rappelle qu’il pouvait rejeter l’entente s’il ne la jugeait pas raisonnable.
Le jugement ne précise pas les sommes qui ont été versées par les défenderesses ni la proportion qui aurait pu être payée par les assureurs de celles-ci.
À la CSQ, l’attachée de presse Maude Messier se limite à confirmer au Portail que l’assureur au dossier était La Personnelle. Comme l’entente entre les parties est assortie de règles de confidentialité, elle ne peut dévoiler aucun détail sur le règlement du litige.
La Personnelle, spécialisé en assurance groupe, est une filiale de Desjardins groupe d’assurances générales. Par courriel, Valérie Lamarre, porte-parole de l’assureur, a indiqué au Portail de l’assureance que « La Personnelle ne souhaite pas divulguer les détails de sa participation au paiement de l’indemnité, ni de la garantie utilisée pour la verser, préférant ainsi se limiter au contenu du jugement qui ne dévoile pas ces renseignements ».
Les recherches menées dans les archives judiciaires par le Portail de l’assurance n’ont pas permis de retracer une autre décision du tribunal associée à cette affaire, aux défenderesses ou à leur assureur.
Le propriétaire
Dans sa défense reproduite en partie dans le jugement, la CSQ rappelle que la culture bactérienne a été effectuée le 21 août 2012 dans ses installations. Ce n’est que le 18 septembre suivant qu’elle a été informée par la Santé publique de la présence de la bactérie dans le refroidisseur de son immeuble. La gestionnaire de l’immeuble affirme également qu’elle a demandé à au moins trois reprises à son fournisseur, après l’annonce de l’éclosion, de le rassurer sur le bon fonctionnement de ses équipements.
« Telle que rédigée, la défense de la CSQ laisse entrevoir un vif débat avec l’entreprise de produits chimiques avec laquelle elle a fait affaire et qu’elle poursuit en garantie. Le débat aurait été intéressant entre la CSQ et la Santé publique à qui elle reprochait de ne pas l’avoir prévenue plus tôt », indique le juge Samson.
La source de la bactérie était bien celle de l’immeuble visé par l’action collective pour 22 des 23 victimes de la maladie du légionnaire. L’âge moyen des victimes décédées est de 71 ans. « En tenant compte de la jurisprudence, les sommes offertes sont égales ou supérieures à ce qui pourrait être octroyé par un tribunal », ajoute le tribunal.
Les parties ont accepté de faire rétroagir le groupe de requérants au 1er juillet 2012, alors que l’action initiale ciblait le 26 juillet comme étant le début de l’éclosion.
Le juge Samson a utilisé sa discrétion pour réduire les honoraires versés aux avocats de la demanderesse de 2,1 M$ à 1 365 M$. Le tribunal rappelle que l’enquête de la coroner Catherine Rudel-Tessier a considérablement réduit le risque encouru par les avocats de la demanderesse, dont le mandat n’a été signé qu’après avoir pris connaissance du rapport de la coroner, publié en septembre 2013. Me Jean-Pierre Ménard accompagnait la demanderesse dès le 30 août 2012.
Rapport de la coroner
À propos du rapport de la coroner Rudel-Tessier, la CSQ est allée devant le tribunal pour contester ses conclusions. Le 21 mars 2016, le juge Jacques Blanchard de la Cour supérieure a rejeté la requête en contrôle judiciaire visant à faire rayer une partie du rapport concernant l’éclosion de légionellose.
Le 24 mai 2016, la Cour d’appel a accordé la permission d’en appeler de ce jugement de première instance. Une section du rapport portait le titre : « La fausse assurance de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) ».
Le 23 août 2017, la Cour d’appel a accueilli partiellement l’appel de la CSQ et a fait rayer la dernière phrase de la section litigieuse. Le tribunal estime que cette phrase plus cinglante relevait du commentaire et l’a fait rayer du rapport final.
Même si la réponse de la CSQ aux impératifs de l’éclosion est qualifiée d’« insuffisante », la Cour d’appel rappelle que le propriétaire de l’immeuble n’est pas mentionné dans les conclusions de la coroner et qu’il n’est ciblé par aucune des recommandations.
Des cas chaque année
Depuis cette éclosion en 2012, une nouvelle réglementation a été adoptée par la Régie du bâtiment du Québec en 2014 pour forcer les propriétaires d’immeubles à entretenir ces TRE.
Encore tout récemment à Montréal, la Santé publique rapportait trois cas de légionellose dans les secteurs d’Anjou et de Mercier-Ouest entre le 29 juillet et le 8 août. Le communiqué rapportait que la zone à risque était délimitée au nord par l’autoroute 40, à l’est par l’avenue George V, au sud par le fleuve et à l’ouest par l’autoroute 25.
La bactérie Legionella est présente naturellement dans les environnements humides et elle prolifère rapidement dans l’eau à une température entre 25 °C et 45 °C. L’infection se manifeste sous deux formes : la fièvre de Pontiac, une forme bénigne caractérisée par des symptômes grippaux, et la maladie du légionnaire, la forme clinique la plus sévère qui est caractérisée par une pneumonie aiguë qui est mortelle dans 10 à 20 % des cas.
Cet article est un Complément au magazine de l'édition de septembre 2022 du Journal de l'assurance.