Se disant fortement déçu par les changements apportés à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) par le ministère des Finances, concrétisés dans le projet de loi 30, le courtier Louis Cyr remet sa démission du conseil d’administration de la Chambre de l’assurance de dommages.
M. Cyr avait été élu au conseil en 2022 pour prendre la relève d’un autre courtier, lui-même élu l’année précédente pour représenter les professionnels actifs dans un cabinet comptant moins de 15 courtiers. Son mandat était renouvelable pour trois ans en 2024, mais il ne se représentera pas et il préfère remettre sa démission tout de suite.
« Si j’étais encore membre du conseil, je ne pourrais pas vous parler, j’ai un devoir de loyauté envers les gens avec qui j’ai siégé », dit-il en entrevue avec le Portail de l’assurance quelques heures après avoir publié un communiqué annonçant sa démission, le 7 mai dernier.
Les surnuméraires
Comme l’expliquait le Portail de l’assurance dans son texte, les changements apportés par le projet de loi 30 touchent les dispositions de la LDPSF touchant les experts en sinistre, et plus particulièrement le recours exceptionnel aux surnuméraires à la suite d’une catastrophe majeure.
M. Cyr est en désaccord avec les modifications à la certification des experts en sinistre, apportées dans le projet de loi 30 et qui ont été étudiées en commission parlementaire le 1er mai dernier. Selon lui, le mémoire de la Chambre proposait des solutions pour régler la situation, mais celles-ci n’ont pas été retenues par le législateur.
« J’ai perdu deux ans et je n’ai plus le temps pour ça. C’est un travail bénévole », lance-t-il. Il déplore le fait que le gouvernement et l’Autorité des marchés financiers aient pu modifier ainsi les règles touchant l’utilisation des surnuméraires en ne considérant pas les propositions de la Chambre, sauf pour « quelques détails cosmétiques ».
« J’aimerais que la Chambre soit considérée comme tous les organismes d’autoréglementation au Québec. On ne ferait pas de changement dans le notariat sans la Chambre des notaires même s’il y a un ministre de la Justice et un Bâtonnier. On ne ferait pas de changements dans la certification des ingénieurs sans l’Ordre des ingénieurs », dit-il.
Une pénurie non prouvée
Selon le président de Louis Cyr Assurances, courtier connu pour ses interventions nombreuses à la radio, le gouvernement devait faire ses devoirs avant d’accorder cette exception aux besoins de la certification chez les cabinets d’experts en sinistre. Les assureurs ont le fardeau de prouver qu’il y a une réelle pénurie de main-d’œuvre chez les experts en sinistre, estime-t-il.
« La réponse pourrait être oui si par exemple, on a des délais déraisonnables dans le traitement des dossiers de sinistre par manque de main-d’œuvre, ou encore si on a des délais déraisonnables dans certaines circonstances lors de catastrophes naturelles », dit-il.
En pareil cas, le gouvernement pouvait approuver la double certification et permettre aux agents et aux courtiers de donner un coup de main à la suite d’un sinistre majeur, comme le proposait la Chambre. Cela a été le cas après la tempête de verglas de 1998, souligne-t-il.
« Il pouvait aussi émettre un certificat temporaire ou restreint, pour au moins s’assurer d’une formation avant de laisser ces employés surnuméraires interagir avec les sinistrés et être capable également d’agir en déontologie pour ceux qui ne seraient pas respectueux des règles », poursuit M. Cyr.
En situation de catastrophe naturelle, par exemple les tempêtes qui causent des dégâts aux toitures et aux aménagements extérieurs, ou encore les dégâts d’eau qui font des dommages au sous-sol des maisons, « il y a assez peu de cas de pertes totales », explique-t-il. Les mesures proposées par la Chambre permettaient de régler les problèmes temporaires d’effectifs.
Le ministère des Finances a fait la sourde oreille, déplore le courtier. « Ils ont retenu que ça prend une non-certification pour que l’industrie puisse continuer de fonctionner et selon moi, c’est faux. Ça réduit la protection du public. »
Le rôle de l’Autorité
La directive de l’Autorité qui autorisait le recours exceptionnel aux surnuméraires a été utilisée une première fois en 2009. Les règles de la LDPSF sont alors suspendues durant une période de 90 jours et les cabinets peuvent utiliser les surnuméraires pour régler les litiges d’une valeur inférieure à 2 000 $.
Selon le courtier, l’Autorité a demandé au ministère « d’entériner ses actions du passé et de les rendre correctes en changeant la législation », plutôt que de corriger son laxisme dans l’application de la loi.
« L’organisme de contrôle est tellement fort avec le ministère que peu importe les travaux de la Chambre, fondamentalement, on n’y changera rien… Je considère que je n’étais pas membre du conseil d’administration d’un organisme d’autoréglementation, mais d’un organisme réglementé », indique Louis Cyr.
Bris de vitres
L’expérience du courtier lui fait dire que de hausser la limite de 2 000 $ à 5 000 $ n’est pas une bonne nouvelle pour la protection du public. Il donne l’exemple des réparations de bris de vitres. « Le consommateur qui entre chez le réparateur sans rendez-vous se fait dire : ça va être gratuit si tu es assuré, et ce n’est pas vrai », dit-il.
« Si tu as déjà trois réclamations et que tu en fais une quatrième pour bris de vitres, tu deviens peut-être non assurable et ça peut être des milliers de dollars de prime d’assurance dans les années qui suivront. Ça ne coûte rien quand tu es assuré ? C’est faux », poursuit-il.
Il n’y a pas d’expertise en sinistre qui se fait dans ces ateliers de réparation. « Les exploitants de ces commerces sont en conflit d’intérêts en offrant ce produit aux sinistrés et c’est à ces gens-là que les assureurs ont délégué le travail d’expert en sinistre non certifié », souligne Louis Cyr.
Rapidement, la facture de réparation des bris de vitre a grimpé à 2 000 $ au Québec, alors qu’il en coûtait de 500 $ à 600 $ dans les autres provinces, souligne-t-il.
En haussant la limite des réclamations que peuvent traiter les surnuméraires non-certifiés à 5 000 $, le gouvernement fait une grave erreur, estime le courtier. Il s’attend à ce que les experts en sinistre des assureurs confieront à des sous-traitants non-certifiés.
Selon lui, les firmes de restauration après-sinistre feront la même chose que les réparateurs de pare-brise. Pour tous les petits dégâts d’eau, la facture grimpera vite à 5 000 $. « La différence que l’assuré n’aura pas reçue en réparation de travaux lui sera perçue par l’entreprise d’après sinistre en location de machine. Et ça, ça fera monter les primes », poursuit-il.
« Cela ne rend pas service au public. C’est la ferme conviction que j’ai et l’avenir me dira si je me trompe », soutient Louis Cyr.