Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) et l’Autorité des marchés financiers ont chacun lancé une consultation sur des modifications à leurs exigences de capital réglementaire envers les compagnies d’assurance de personnes. Les deux régulateurs ont fixé la date butoir de leur consultation au 22 octobre 2024. 

Dans son document de consultation publique qui présente la version à l’étude de sa ligne directrice Test de suffisance du capital des sociétés d’assurance vie (TSAV) de 2025, le BSIF dit élaborer un nouveau cadre qui sert à déterminer les exigences de capital axées sur le risque lié aux garanties des polices de fonds distincts (GFD). Le régulateur canadien souligne que la version finale de la ligne directrice sera publiée le 21 novembre 2024 et entrera en vigueur le 1er janvier 2025. 

Le nouvel encadrement comporte une majoration de capital axée sur les risques non couverts ou sous-évalués, affirme pour sa part l’Autorité dans son document de consultation sur la version à l’étude de la Ligne directrice sur les exigences de suffisance du capital – Assurance de personnes (ESCAP). 

Impact sur les fonds distincts 

L’Institut canadien des actuaires (ICA) a réagi à la consultation du BSIF sur la version à l’étude du TSAV. Dans ses commentaires transmis le 30 mai 2024 au BSIF, l’ICA ajoute qu’il fera de même auprès du régulateur québécois en ce qui concerne la version à l’étude de l’ESCAP. 

Les actuaires disent que l’impact sur le capital requis pourrait être important, puisqu’il est mesuré en pourcentage du capital requis pour les garanties des fonds distincts. « L’ICA encouragerait le BSIF et l’Autorité à ne pas modifier le niveau de capital requis pour les risques opérationnels des fonds distincts, car nous ne nous attendons pas à ce que les activités des sociétés d’assurance soient différentes en 2025, à l’exception du calcul des exigences du capital requis pour les activités liées aux fonds distincts », revendique les auteurs des commentaires. 

Le BSIF a établi à 100 % le ratio de son niveau cible des ressources en capital réglementaire que doivent satisfaire les compagnies d’assurance vie et d’assurance hypothécaire. Il a établi le ratio du niveau minimal à 90 %.

Intitulée Version à l’étude de la ligne directrice sur le TSAV – Cadre de référence pour le capital au titre des garanties de fonds distincts la lettre de commentaires de l’ICA porte sur les révisions apportées à l’étude d’impact quantitative 7 (EIQ) sur le capital au titre des garanties de fonds distincts. 

Des risques ignorés 

L’Institut canadien des actuaires mentionne que le cadre proposé par le BSIF tient compte d’un plus grand nombre de risques liés aux garanties des fonds distincts que le cadre actuel. Il s’inquiète toutefois que le BSIF ait reporté la prise en compte de certains risques. Il désigne entre autres le risque lié au taux d’intérêt, le risque de volatilité des taux de change, le risque de base et le risque lié aux dépôts futurs. « Ces éléments peuvent être significatifs et devraient être pris en compte dans l’étalonnage de l’approche normalisée », écrivent les auteurs de la lettre.

Les actuaires se disent aussi préoccupés que l’approche du BSIF repose sur l’évaluation selon la norme des contrats d’assurance IFRS-17. Selon eux, cette approche peut récompenser une société d’assurance qui utilise des méthodes et des hypothèses comptables moins conservatrices, en constatant un capital disponible plus élevé. 

L’ICA estime également qu’il faudrait utiliser un mécanisme de « lissage » pour atténuer la volatilité du capital requis en regard des garanties de fonds distinct d’un trimestre à l’autre. Il milite pour l’usage d’un mécanisme semblable à celui autorisé en vertu du cadre actuel. 

Il ajoute que « certains éléments du cadre proposé demeurent complexes sur le plan opérationnel » pour plusieurs assureurs qui doivent les calculer trimestriellement. « Nous serions ouverts à la possibilité de discuter avec le BSIF et l’Autorité des cas où les approximations pourraient être adéquates », écrit l’Institut dans ses commentaires. 

Marché fragile

Les fonds à garantie de retrait minimum peuvent être un rouage important dans la stratégie de décaissement à la retraite. Or, plusieurs assureurs qui offraient ce produit ont cessé de le vendre au fil des ans. Né avec le lancement de Revenu Plus par Manuvie en octobre 2006 suivi de plusieurs autres dans les années suivantes, ce marché souffre désormais d’un manque d’offre.

Seuls trois assureurs ont déclaré à AssuranceINTEL, centre d’information sur les produits d’assurance appartenant aux Éditions du Journal de l’assurance, qu’ils offraient des fonds distincts à garantie de retrait : Empire Vie (Catégorie Plus 3.0), iA Groupe financier (Programme Épargne et Retraite IAG - Série ÀVIE) et Sun Life (Solutions FPG Sun Life – Série Revenu et Avantage à vie FPG Sun Life). Sun Life avait été le deuxième joueur à joindre le marché, en avril 2007. Desjardins Assurances avait suivi à l’automne, avec le produit Hélios

Après la crise financière de 2008, les assureurs sont successivement sortis du marché ou ont remplacé leur produit par une formule moins exigeante en termes de capital réglementaire à maintenir pour soutenir la garantie à vie. C’est le cas d’iA Groupe financier. Après avoir retiré Ecoflextra du marché des produits de fonds distincts avec garantie de retraits à vie en 2012, l’assureur de Québec a lancé Série ÀVIE deux ans plus tard. Un produit qu’il qualifiait alors de « moins gourmand en capital et mieux adapté à l’environnement réglementaire actuel ». 

Les fonds distincts à garantie de retrait permettent à leur titulaire de décaisser un montant la vie durant. Empire Vie garantit le plus élevé entre la valeur de marché et 75 % des dépôts nets au fonds distinct. iA Groupe financier et Sun Life précisent qu’ils garantissent 75 % à l’échéance (l’année à laquelle le rentier atteint l’âge de 100 ans chez iA et 105 ans chez Sun Life). Une prestation est versée au décès du titulaire du fonds. Le taux de revenu minimum du fonds est établi selon un pourcentage qui sera plus élevé lorsque les retraits commencent à un âge plus avancé. 

Enjeu de décaissement à la retraite 

Des sources craignent que le resserrement des exigences de capital réglementaire nuise aux quelques produits qui restent. Parmi elles, Carlos Cardone a abordé ce sujet lors d’une entrevue dans le cadre du dossier spécial sur les fonds distincts paru dans l’édition de septembre 2024 du Journal de l’assurance. Le chef de la direction d’ISS Market Intelligence au Canada (anciennement Investor Economics) estime que les modifications proposées affecteront peu les fonds distincts traditionnels. 

Il en sera tout autre pour les fonds distincts à garantie de retrait minimum, selon M. Cardone. « Ces ajustements devraient augmenter le coût des garanties de retrait minimum (GRM), ce qui pourrait pousser les assureurs à se retirer de ce marché ou à réviser leurs produits. Ces changements réglementaires ne sont pas encore définitifs, mais l’impact sur les GRM semble inévitable », croit-il. 

Le moment lui semble mal choisi. « Dans un contexte où un grand nombre de Canadiens approchent de la retraite, il est difficile de comprendre comment le gouvernement canadien pourrait mettre en place des politiques qui, indirectement, risquent d’exclure les GRM du marché », dit Carlos Cardone en insistant sur le fait qu'il s'agit de son opinion et non celle d'ISS.

Un sondage réalisé par Sun Life en collaboration avec la Canadian Association of Retired Persons (CARP) a suscité plus de 3 500 réponses. Il s’en dégage entre autres que 43 % des retraités craignent de voir leur épargne s’épuiser de leur vivant.

Le Journal de l’assurance publiera un dossier complet sur les enjeux et stratégies de décaissement dans son édition de novembre 2024. 

Cet article est un Complément au magazine de l'édition de septembre 2024 du Journal de l'assurance.