Le plus gros investisseur institutionnel du Québec entend continuer d’appuyer les entreprises du Québec dans leur croissance et de maintenir ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Le président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), Charles Émond, était de passage devant le Cercle canadien de Montréal le 5 décembre dernier. L’animatrice qui le présentait a d’ailleurs souligné que la salle était remplie à sa capacité maximale et qu’il s’agissait d’une assistance record dans les 117 ans d’existence du Cercle.
La Caisse gère désormais quelque 400 milliards de dollars (G$) d’actifs nets qui lui sont confiés par 46 déposants et quelque 6 millions de Québécois, parmi lesquels on trouve des assureurs comme la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et la Commission sur les normes, l’équité, la santé et la sécurité du travail (CNESST), de même que Retraite Québec.
« Cela nous place où dans le monde ? Au deuxième rang en infrastructures, au troisième rang en placement privé, un des plus grands investisseurs immobiliers au monde et une référence mondiale en ESG et en matière de climat », indique Charles Émond.
La Caisse a le double mandat de générer des rendements optimaux pour ses déposants tout en contribuant au développement économique du Québec.
En 2021, la CDPQ a atteint un niveau record d’investissement au Québec de 78 G$. Le PIB du Québec est d’un peu plus de 500 milliards. « Une telle présence par un investisseur local est inégalée et nous place avec fierté numéro un dans le monde parmi les gestionnaires de fonds de pension », dit-il.
En 2011, pour chaque tranche de 1 000 $ de PIB au Québec, la valeur des actifs de la Caisse était de 60 $, et celle-ci était de près de 120 $ en 2021. « Nous avons donc doublé notre présence au Québec dans la dernière décennie. Et ces chiffres que vous voyez incluent une hausse notable de 20 % depuis la pandémie », dit-il.
Charles Émond précise un peu plus tard que la CDPQ vise la barre des 100 G$ en actif investi au Québec dans quatre ans.
Un moteur
La CDPQ investit actuellement, directement ou par l’entremise de nombreux fonds, dans plus de 500 entreprises au cours des cinq dernières années. Et la croissance des revenus de ces entreprises est en moyenne de 15 % durant cette période, souligne le PDG de la Caisse en ajoutant que 80 % des investissements sont faits dans des PME.
Pour les autres, la capitalisation boursière des entreprises où la Caisse est actionnaire est de 512 G$. Les deux tiers de cette valeur boursière se trouvent dans des entreprises où la CDPQ est l’un des plus importants actionnaires.
« Cette présence dominante nous procure deux avantages : un rôle privilégié pour les appuyer, un rôle incontournable pour les protéger », précise-t-il.
Les entreprises du portefeuille de la CDPQ ont elles-mêmes réalisé quelque 350 acquisitions à l’international au cours des cinq dernières années. « J’aime résumer ça ainsi : on exporte le Québec, on importe les rendements », indique M. Émond.
Il cite en exemple quelques exemples où la contribution de la Caisse a été bénéfique pour l’économie québécoise, notamment chez Intact Corporation financière. La Caisse a contribué à l’acquisition de 12 milliards de l’assureur britannique RSA. « C’est venu avec des engagements de 1,5 milliard au Québec de la part d’Intact, la création de 1 500 emplois en technologie et le rapatriement de toutes les opérations de gestion de patrimoine mondial d’Intact et de RSA, faisant doubler les actifs sous gestion de 20 à 40 milliards », dit-il.
La CDPQ n’est pas là seulement quand ça va mal, souligne Charles Émond. Quelques semaines après le début de la pandémie en mars 2020, la Caisse rendait disponible une enveloppe de G$ pour soutenir les plans de croissance des entreprises québécoises. Selon M. Émond, on lui a parlé de cette initiative partout dans le monde et il en tire beaucoup de fierté pour la Caisse et ses collègues qui l’ont mise en œuvre.
Expansion internationale
Parfois, sans nécessairement investir davantage, la Caisse contribue à créer des maillages entre des entreprises du Québec avec d’autres à l’étranger. Le grand patron de la CDPQ cite deux exemples.
Le premier est le partenariat de Plusgrade avec Eurostar, qui exploite le train à grande vitesse qui relie la France à la Grande-Bretagne par un tunnel sous la Manche. Plusgrade offre une solution de surclassement pour le voyage par avion. Plusgrade a adapté son produit pour Eurostar, qui en tire plus de revenus. La société québécoise « accélère sa croissance et son expansion en Europe avec cette carte de visite extraordinaire », dit-il.
Le second exemple est celui du fabricant d’autobus Lion Électrique avec Student Transportation, qui est le troisième plus important fournisseur de services de transport scolaire en Amérique du Nord et dont la CDPQ est actionnaire. La Caisse a mis celle-ci en contact avec le fabricant québécois. Une commande de 1 000 autobus scolaires électriques en a découlé. Student Transportation deviendra ainsi le plus important opérateur d’autobus scolaires à zéro émission en Amérique du Nord et le carnet de commandes de Lion est mieux garni.
La Caisse permet aussi aux entreprises québécoises d’avoir accès à un réseau de plus 400 administrateurs de sociétés dotés d’expertises de pointe dans des domaines critiques comme la gouvernance ESG, la cybersécurité, le risque géopolitique, etc.
Charles Émond souligne aussi la création de l’Espace CDPQ à place Ville-Marie, où sont réunis quelques 21 fonds d’investissement en capital de risque au Québec. « Ces fonds dont la Caisse fait souvent partie gèrent plus de 9 milliards d’actifs et ils ont investi dans plus de 370 PME québécoises parmi nos plus innovantes », dit-il.
Les retraits
La discussion qui a suivi était animée par Mélanie Dunn, cheffe de la direction de Cossette. Il a été notamment question de grands enjeux macroéconomiques et de leur impact sur les activités de la CDPQ.
Charles Émond souligne que des facteurs structurels, comme les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement, pourraient forcer la Banque du Canada à réviser sa politique monétaire.
La banque centrale pourrait par exemple cibler un taux d’inflation de 3 %, au lieu de 2 % comme cela a été le cas depuis 30 ans. « Ça n’a pas l’air d’une grosse différence, mais ça veut dire une inflation plus élevée de 50 % pour l’éternité. Cela nous force à revoir la valeur de nos actifs », dit-il.
Créée en 1965 pour gérer les régimes de retraite des employés de l’État, la CDPQ approche d’un point de bascule. En 2024, pour la première de son histoire, l’institution se trouvera dans une situation très légère de retrait net. À l’exception de la Régie des rentes du Québec, dont le taux de cotisation est indexé, les autres déposants percevront moins de cotisations que de sommes à verser en cotisations.
« Je ne voudrais pas que ce soit ça, le clip de la journée. Il n’y a pas à s’inquiéter, parce que ça va être juste 1 % des actifs par année à partir de 2032. L’autre chose que ça veut simplement dire, c’est que ce sont les rendements qui financeront les régimes à partir de cette période-là », indique M. Émond.
Dans un régime de retraite plus mature, les investisseurs sont prêts à prendre moins de risque. « Il y en a masse d’argent dans le bas de laine », insiste-t-il.
Carboneutralité
Charles Émond a aussi parlé de l’impact du Réseau électrique métropolitain (REM) et des projets de CDPQ Infra. Après cinq ans d’exploitation, le REM sera carboneutre, précise-t-il en soulignant que le réseau réduira les émissions de GES de 100 000 tonnes par année.
En matière environnementale, la CDPQ n’a pas décidé de se retirer de la production pétrolière pour se différencier des autres investisseurs institutionnels, selon Charles Émond.
« J’ai toujours dit : se différencier est important, faire une différence, beaucoup plus. Pour donner une idée, chaque dollar qu’on investit à la Caisse et qu’on détient émet 50 % moins en intensité carbone aujourd’hui qu’il y a 5 ans. Ça, c’est une différence », dit-il.
La stratégie climatique de la CDPQ comprend des cibles variables dans le temps. Elle prévoit aussi de tripler les investissements dans les actifs verts. « Et notre définition d’un actif vert, c’est zéro émission », précise M. Émond.
L’économie planétaire demeurera longtemps dépendante des combustibles fossiles. « On peut argumenter sur le rythme de la transition. Pour nous, sortir plus de pétrole du sol, ça n’était pas une question de rythme de la transition. Ça allait dans la mauvaise direction », souligne Charles Émond.
La CDPQ n’est pas un vaisseau qui flotte dans un espace distinct, insiste M. Émond. « C’est votre Caisse, c’est très important pour nous. Quand on voit le rendement de la Caisse, c’est votre rendement qui sert pour vos épargnes retraites, pour vos assurances », dit-il.
En conséquence, il encourage tous les entrepreneurs qui ont des projets à en parler avec un expert de la CDPQ, même si aucun investissement n’est requis à court terme. « On peut vous mettre en contact avec quelqu’un qui vous sera utile, avec une expertise dont vous avez besoin », note M. Émond.
« SVP, venez nous voir, la porte est toujours ouverte », conclut-il.
* L’article a été rédigé à partir d’un enregistrement audio de la présentation qui nous a été fourni par les organisateurs.