La Cour supérieure a récemment autorisé une action collective en responsabilité et en dommages-intérêts compensatoires contre les assureurs automobiles. La requérante allègue que les assureurs utilisent de manière inéquitable la réclamation découlant d’un accident dont leur client n’est pas responsable pour déterminer la prime lors de l’émission ou du renouvellement de la police.

L’avocat Maurice Charbonneau, du Groupe Trivium, a attiré l’attention du Portail de l’assurance sur cette décision rendue le 18 août dernier par le juge Thomas Davis, de la Cour supérieure.

Les assureurs visés par le recours collectif sont Desjardins, Intact, Bélair, Primmum, SSQ, La Capitale, Industrielle Alliance, Aviva, La Personnelle et RSA Canada.

La requérante est Rebecca de Auburn, laquelle est représentée par les procureurs Karim Renno et Benjamin Dionne, du cabinet Renno Vathilakis.

Selon Me Dionne, joint par le Portail de l’assurance, il est étonnant que cette autorisation d’action collective n’ait suscité encore aucun écho dans les médias, considérant le nombre de personnes qui peuvent être concernées par ce recours. Un avis sera bientôt publié dans les journaux pour aviser la population de l’existence de cette action collective.

« Nous sommes encore au stade très préliminaire. On doit encore déterminer s’il y a eu faute de la part des assureurs, ce qui sera très gros, mais c’est l’élément central », soutient Me Dionne. Est-ce contraire au droit commun de considérer les accidents non responsables pour déterminer la prime d’assurance, pose-t-il comme enjeu ?

Seront admissibles à l’action collective « toutes les personnes physiques ou morales qui résident au Québec et qui, étant assurées aux termes d’une police d’assurance-automobile émise ou renouvelée par l’une ou l’autre des défenderesses, ont subi un accident non responsable au cours des six dernières années précédant telle émission ou renouvellement ».

La requérante « soutient que la pratique des défenderesses de tenir compte de la survenance d’accidents non responsables subis par leurs assurés dans le calcul des primes d’assurances pour les polices qu’elles émettent ou renouvellent est contraire » à diverses dispositions législatives.

La requérante estime que l’accident non responsable n’entraîne aucune aggravation du risque pour l’assureur. En agissant ainsi, les assureurs contreviennent à divers articles du Code civil et à l’article 50 de la Loi sur les assureurs.

Le juge Davis n’a cependant pas retenu les allégations de la requérante concernant la Loi sur la protection du consommateur (LPC) et la Loi sur la concurrence. « Le juge a circonscrit le débat sur les questions qui sont énumérées au paragraphe 63 de la décision », indique Me Dionne.

La demande d’autorisation réclame des dommages punitifs de 10 millions de dollars par assureur pour les fautes commises à l’endroit des consommateurs. Comme il n’y a pas d’accroc à la LPC ou à la Loi sur la concurrence, la réclamation devra être modifiée, précise le tribunal.

Les défenderesses

De leur côté, les procureurs des assureurs font valoir qu’ils sont libres d’utiliser les critères de classification et d’établir le niveau de primes qu’ils jugent adéquat, sous réserve des pouvoirs de surveillance de l’Autorité des marchés financiers. Les défenderesses ajoutent « que les accidents non responsables sont prédictifs que le conducteur du véhicule soit impliqué dans d’autres accidents, de sorte que le risque est augmenté ».

L’Autorité leur demande explicitement de s’enquérir de la survenance d’accidents non responsables. Les assureurs estiment que le fait de les considérer pour établir la prime « n’a rien d’occulte ou d’illégal ».

L’origine du recours

La requérante est propriétaire d’une Mini Cooper 2017. La conversation de la cliente avec le représentant de La Capitale Assurances générales est reproduite dans la décision. La cliente avait dû soumettre trois réclamations : deux pour des collisions et une pour bris de vitre. Dans les trois cas, l’assurée n’était pas responsable des dommages.

La prime déterminée par le représentant de l’assureur est plus élevée que ce qui était prévu lors de la demande faite initialement par Internet. La cliente accepte la prime. La police a été renouvelée en mai 2018 et mai 2019.

À partir de septembre 2019, la cliente est assurée par La Personnelle, Assurances générales. Encore là, la discussion entre son conjoint et l’agente de l’assureur est reproduite dans la décision. Celle-ci indique que les trois sinistres lors des six dernières années feront augmenter la prime.

L’analyse

Selon le juge Davis, la requérante doit simplement démontrer « l’existence d’une “cause défendable” eu égard aux faits et au droit applicable ». Le seuil qu’elle doit franchir est « peu élevé ». Le tribunal estime que la requérante a pu établir une cause défendable sur le plan d’un accroc au droit commun et à la Loi sur les assureurs.

Au stade de l’autorisation, ajoute le juge Davis, les tribunaux doivent se garder de statuer ou d’analyser la preuve. La preuve sera requise lors de l’instance à venir, notamment celle provenant de l’Autorité des marchés financiers concernant la légalité de cette pratique d’inclure les accidents non responsables dans la tarification.

On précise au paragraphe 62 de la décision que toutes les défenderesses agissent de la même manière à cet égard. La preuve démontre que le risque qu’un autre accident se produise par la suite n’est que de 4,38 %.

Aux fins de la présente requête, le partage de la responsabilité s’avère central. Le recours du propriétaire de l’automobile ne peut être exercé qu’à l’encontre de l’assureur avec lequel il a contracté, précise le juge Davis au paragraphe 11. Cet assureur ne bénéficie d’aucun droit de subrogation contre son assuré ou la personne dont la responsabilité est garantie par le contrat d’assurance.

« C’est quand même gros de remettre en question le modèle d’affaires des assureurs depuis l’introduction de la Loi sur l’assurance automobile il y a plus de 40 ans », indique Me Benjamin Dionne.

« Les assureurs subissent des pertes quand l’assuré a un accident non responsable, poursuit-il. En théorie, ça devrait être le rôle de l’assureur de l’autre conducteur de payer le dommage. Avec le temps, la façon prise par les assureurs de payer la note de cette perte est de la refiler aux consommateurs en considérant que les accidents non responsables peuvent augmenter la prime. »

Selon le procureur de la requérante, le juge Davis a considéré que c’était là « une question qui mérite d’être débattue et qui n’est pas frivole ».

Le même jour, le juge Thomas Davis a autorisé une autre action collective intentée par une clinique dentaire qui demande à son assureur de l’indemniser pour les pertes d’exploitation subies lors de la pandémie de COVID-19.

Joint par le Portail de l’assurance, le Groupement des assureurs automobiles (GAA) a refusé de commenter la décision du tribunal qui autorise l’action collective.