Le Royaume-Uni est passé de la parole aux actes.

Son régulateur des marchés financiers, le Financial Conduct Authority, a enjoint les assureurs à revoir le libellé de leurs contrats pour couvrir les pertes liées à l’interruption des affaires causée par la pandémie de la COVID-19 et les pertes d’exploitation qui en découlent. Sa cause sera d’ailleurs entendue devant les tribunaux anglais à la mi-juillet.

Le FCA avait annoncé en mai qu’il ferait une révision du libellé des polices des assureurs de dommages britanniques en matière d’interruption des affaires. Ainsi, 56 assureurs ont été approchés et 500 contrats ont été revus. Le régulateur a par la suite dénombré 17 cas de libellés demandant un éclaircissement et qui pourraient ouvrir la porte à une indemnisation. Parmi les assureurs qui ont soutenu le FCA dans ses démarches, on retrouve notamment Allianz, AIG, Arch, Aviva, AXA, Chubb, Liberty Mutual, RSA et Zurich.

« Si nous prenons le chemin des tribunaux, c’est pour apporter des certitudes et de la clarté dans les disputes qui entourent la question de l’interruption des affaires, et ce, tant du point de vue du titulaire de polices que de l’assureur. Le tout pourra ensuite servir à l’ensemble du marché. L’identification de ces échantillons, ainsi que l’accord de certains assureurs de participer au processus est un grand pas en avant pour faire progresser ce débat devant la cour », a commenté Christopher Woolard, PDG intérimaire du FCA.

Dissiper les doutes

Par sa démarche, le FCA dit souhaiter dissiper les doutes face à cette situation sans précédent qu’est la pandémie de la COVID-19. En présentant des échantillons de libellés devant la cour, le régulateur dit vouloir placer les arguments des titulaires de polices sous leur meilleur jour. Il en va de l’intérêt public, ajoute le régulateur.

Le FCA considère que la majorité des polices des PME ne couvrent que les dommages physiques. Donc, dans la majorité des cas, les assureurs ne sont pas tenus de leur verser une indemnisation. Il y a toutefois des zones grises dans certains cas, notamment pour les grandes entreprises.

« Les titulaires de polices ne doivent pas supposer qu’une simple inclusion de la mention interruption des affaires signifie qu’ils auront une indemnisation. Nous cherchons à obtenir un jugement qui aidera les assurés et les assureurs à avoir une vision plus claire de quels contrats s’activent en cas de pandémie. Il se peut que les tribunaux décident qu’un certain nombre d’entre eux doivent le couvrir », précise M. Woolard.

Un dossier suivi ici au Canada

Les régulateurs canadiens suivent les démarches entreprises par leur collègue britannique. C’est le cas de l’Autorité des marchés financiers et du Conseil canadien des responsables de la règlementation en assurance (CCRRA).

« Nous sommes bien au fait de la position du régulateur britannique. Il s’agit d’un dossier que l’Autorité et le CCRRA suivent de près et qui est encore sous analyse présentement », a indiqué Sylvain Théberge, porte-parole de l’Autorité, au Portail de l’assurance.

On suit aussi le tout du côté du Bureau d’assurance du Canada (BAC), mais pas de là à intervenir pour le moment, a affirmé son porte-parole Pierre Babinsky au Portail de l’assurance. « La question de l’interruption des affaires peut être complexe. Le BAC s’est déjà exprimé à ce sujet au nom de ses membres et ne commentera pas à ce stade-ci des démarches entreprises dans d’autres juridictions », a-t-il indiqué.

En France

La notion d’interruption des affaires soulève aussi des interrogations en France. D’ailleurs, fin mai, un restaurateur parisien a eu gain de cause devant un tribunal de commerce face à AXA. L’assureur refusait d’indemniser ses pertes d’exploitation liées à la pandémie de la COVID-19. Le tribunal a donné raison au restaurateur, mais AXA a déjà signifié son intention de faire appel du jugement.

Les législateurs français se sont aussi mêlés de la chose. Les sénateurs du pays ont voté la création d’un nouveau régime redéfinissant le montant de l'indemnisation versée à l'assuré en cas de pertes d’exploitation.

Aux États-Unis

Il n’y a pas qu’en Europe que la grogne se fait sentir face au traitement par les assureurs de la question des interruptions des affaires liées à la pandémie de la COVID-19. Fin avril, des poursuites ont été déposées aux États-Unis contre Chubb et contre Lloyd’s.

Certains législateurs américains ont aussi menacé de s'en mêler et d’obliger des assureurs à couvrir l’interruption des affaires découlant de la pandémie. La firme de notation Standard & Poor’s (S&P) a toutefois indiqué dans un rapport intitulé How COVID-19 Risks Factor Into U.S. Property/Casualty Ratings qu’il pourrait être difficile pour eux d’agir de la sorte. Ses analystes disent croire que les états devraient mettre eux-mêmes de l’argent sur la table pour voir des assureurs couvrir ce risque rétroactivement.

Ils en tiennent aussi pour preuve l’épisode de l’épidémie du SRAS en 2002-2003, où les assureurs avaient revus leurs libellés de police. Les analystes de S&P disent toutefois croire que le régime fédéral proposé, Pandemic Risk Insurance Act, pourrait agir comme pare-feu s’il est adopté un jour.

« Un choix logique »

Pour la firme d’analyse de données GlobalData, les assureurs britanniques prennent la bonne décision en collaborant avec le Financial Conduct Authority. Ben Carey-Evans, analyste en assurance au sein de la firme, dit qu’il s’agit d’un changement marqué de leur part, puisque ceux-ci clamaient haut et fort ne pas avoir à couvrir les exclusions découlant de la pandémie.

« Il n’y avait pas de perspective positive pour les assureurs dans cette dispute. Payer ces réclamations leur coutera des millions de livres sterling. Toutefois, ne pas indemniser leurs clients aurait mené à une perte de confiance des consommateurs, incluant des propriétaires d’entreprise, qui auraient probablement refusé de souscrire quelque forme que ce soit de couverture d’interruption des affaires », dit-il.

Pourtant, au Royaume-Uni, cette couverture avait le vent dans les voiles, affirme GlobalData. Son adoption était passée de 11,1 % en 2015 à 17,3 % en 2019, indique la firme à partir de données qu’elle a colligées. M. Carey-Evans dit croire que de plus en plus d’entreprises s’y intéresseront si les risques liés à une pandémie sont couverts.

« Il sera complexe de tarifer ce risque vu le choc causé par la COVID-19. Toutefois, les assureurs qui paieront aujourd’hui devraient voir augmenter la pénétration de ce produit dans le futur. »

La position du plus grand assureur canadien

Au Canada, Intact Corporation financière a exposé sa situation lors de la divulgation de ses résultats du premier trimestre de 2020, lors d’une conférence téléphonique avec des analystes financiers tenue le 6 mai. Au Canada, l’assureur se sent bien protégé par le libellé de ses polices et ne s’attend pas à devoir verser des sommes non prévues en matière de réclamations, du moins en ce qui a trait à l’interruption des affaires.

Aux États-Unis, la donne est quelque peu différente. Intact estime que 5 % de son portfolio en assurance des biens des entreprises vient avec une extension de garantie liée à l’interruption des affaires. Darren Godfrey, vice-président exécutif en assurance des entreprises, se dit ainsi plus confortable avec le libellé des polices canadien qu’américain, bien que dans les deux cas, les libellés suivent les pratiques respectives des deux pays.

« Malgré cela, nous croyons que la pandémie est un évènement pour lequel nous pourrions recourir aux mécanismes de réassurance pour couvrir nos pertes si jamais la situation du traitement de ces réclamations évoluait », a-t-il commenté.

Pour sa part, Charles Brindamour, chef de la direction d’Intact, a ajouté que plusieurs états américains avaient mis en place des moratoires quant à la souscription d’assurance primaire en interruption des affaires. Il a aussi indiqué que ces mesures faisaient du sens, tout en prenant le temps de souligner que les lobbys d’assureurs américains semblaient avoir des liens étroits avec les législateurs.

Darren Godfrey a aussi mentionner que l’éventuel programme national qui viendrait donner des fonds aux assureurs en cas de pandémie pourrait aider face à un nouvel épisode du genre.