Pendant que les grands agents généraux intégrés à une compagnie d’assurance semblent marquer une pause, d’autres joueurs choisissent d’acheter de petits cabinets ou des blocs d’affaires et réaffirment leur indépendance.

L’agent général ontarien Qualified Financial Services (QFS) a pour sa part enfilé les acquisitions à un rythme accéléré depuis les 14 derniers mois. Agent général parmi les derniers de taille importante à être détenu par son fondateur ou sa relève, QFS a remanié sa direction. Dans la foulée d’un plan de relèveKevin Cott a cédé la présidence à Fiona Cuddy en 2018 et est devenu président du conseil de QFS en 2019.

En 2021, l’agent général de Toronto vient de compléter l’acquisition du contrat d’agent général qu’avait NL Financial avec iA Groupe financier. NL Financial est un agent général établi à Ottawa. Toujours en 2021, QFS a acquis un autre bloc d’affaires issu d’un contrat d’agent général avec iA, soit celui de Kaulback Financial Group, agent général de Dartmouth en Nouvelle-Écosse.

Qualified Financial Services a acquis plusieurs autres portefeuilles d’iA au sein d’agents généraux indépendants en 2020 : celui de CJ Simon Insurance Agency d’Ottawa, de Michael Tremblett de Northern Arm à Terre-Neuve, de Warren Hooper de Glace Bay en Nouvelle-Écosse et d’Interlife Financial de Mississauga en Ontario. QFS a aussi acquis le contrat d’agent général d’Assurance vie Équitable détenu par Prolink Insure de Toronto.

L’agent général fondé par M. Cott entend poursuivre sur cette lancée. Il continuera de cibler l’Ontario, le Québec et les provinces de l’Atlantique. Fiona Cuddy a expliqué sa stratégie, en entrevue avec le Journal de l’assurance. L’indépendance y occupe une place centrale. La présidente de Qualified Financial Services connait les deux côtés de la médaille. Elle a passé 10 ans chez Canada Vie, et y occupait le poste de vice-présidente associée des partenariats avec les agents généraux avant d’assumer la présidence de QFS. 

Même si le mouvement de consolidation a déjà absorbé plusieurs petits joueurs, Mme Cuddy estime qu’encore plusieurs petits agents généraux peuvent représenter une opportunité. « Nous figurons parmi le top 10 des agents généraux au Canada. Nous sommes en bonne position d’acquérir d’autres agents généraux à propriété indépendante comme nous », a-t-elle révélé.

Ces agents généraux seront attirés par le vœu d’indépendance de QFS, estime Fiona Cuddy. « Être le plus grand agent général à propriété indépendante au Canada est l’un de nos avantages : tant d’agents généraux appartiennent à une plus grosse corporation ou à un assureur. Nous parlons régulièrement à des conseillers qui ne sont pas chauds à l’idée qu’un assureur ait davantage l’œil sur ses affaires », ajoute-t-elle.

QFS voit aussi sa diversité comme un atout. Mme Cuddy signale que seulement trois femmes dirigent un agent général au Canada : elle-même, Terri Botosan (Financière HUB), et Amy Tong (A.T. Financial Group). « Plusieurs conseillères et la nouvelle génération de conseillers apprécient cet élément de différenciation qui nous donne un air plus contemporain. »

Vous n’êtes pas un numéro !

Kevin Cott renchérit sur la consolidation : « Nous continuons de rechercher des occasions d’acquérir des cabinets qui s’agencent bien à notre culture d’agent général à propriété familiale ». Parmi ses enfants, Haley Cott est directrice des initiatives stratégiques, Corey Cott est directeur du marketing et des événements corporatifs, et Jesse Cott est directeur des communications corporatives.

Après avoir acquis Marketing Concepts Group en 2011 et PerformINS en 2013, QFS est débarqué dans la cour des grands. Il veut s’y maintenir. « Nous n’avons pas chômé côté acquisition dernièrement, et nous nous y sommes concentrés plus qu’à tout autre chose, confie le président du conseil de QFS. Nous avons recherché des cabinets qui souhaitent se ranger derrière un agent général indépendant de taille suffisamment grande. »

Ainsi, Kevin Cott veut s’assurer d’être assez grand pour s’asseoir à la table des fournisseurs, mais assez petit pour « que nous connaissions votre nom en tant que conseiller ». « À QFS, vous n’êtes pas un numéro ! », ajoute-t-il. Pourtant, QFS n’est pas un poids moyen, insiste-t-il. « Nous sommes un grand joueur qui demeurera indépendant, avec plus de 2000 conseillers sous contrat, dont 1000 transigent avec nous régulièrement. Et nous continuerons d’acquérir », révèle M. Cott.

Que reste-t-il ?

Kevin Cott estime que des joueurs d’envergure pourraient encore être la cible d’assureurs. Si l’acquisition d’agents généraux semble en pause, elle n’est pas terminée, croit-il. « Nous avons vu de grosses acquisitions ; nous en verrons encore. Des fournisseurs pourraient tenter d’acheter IDC Worldsource Insurance Network (IDC WIN), Financière HUB, QFS… Mais un grand groupe intégré ne peut soutenir les conseillers de la même façon. » Même au juste prix, M. Cott dit qu’il ne vendrait pas à un tel acquéreur.

Au Québec, Groupe Cloutier demeure fidèle à son modèle de croissance organique « conseiller par conseiller ». Un modèle réaffirmé par son PDG, Patrick Cloutier, lorsqu’il a pris le flambeau des mains de Gilles Cloutier, devenu président du conseil (Groupe Cloutier demeurera indépendant et régional, Journal de l’assurance, pages 8-11, juin-juillet 2019).

Vice-président et directeur général de Groupe Cloutier, Michel Kirouac le réitère. « Nous préférons croitre de façon interne, et saisir des occasions avec des agents généraux de moins grande envergure que nous, pour acquérir des affaires qu’ils veulent cesser. Plutôt que d’acquérir des agents généraux, nous avons aussi opté pour des arrangements avec ceux qui avaient moins de production que nous avec un fournisseur ou deux. Nous recrutons aussi beaucoup de conseillers », dit M. Kirouac.

Autre agent général d’envergure au Québec, MICA Cabinets de services financiers s’en tient à la croissance organique des affaires et au recrutement de conseillers, dit son président, Gino-Sébastian Savard. Or, la consolidation des agents généraux continue de l’interpeler. « Je ne veux pas être un des derniers remparts à l’indépendance alors que les autres appartiendraient à des assureurs. Un jour ou l’autre, tous ont un prix. »

« PPI, Groupe Financier Horizons, Aurrea Signature et Agences d’Assurances Copoloff ont été achetés, rappelle le président de MICA. Les indépendants qui restent sont de plus petit volume que Groupe Cloutier et nous », résume le président de MICA.

Parmi eux, MM. Savard et Kirouac ont chacun désigné certains joueurs, dont Services d’assurance PEAK et Financière S_Entiel du réseau AgenZ, Groupe MSA, Groupe Boulos, Groupe Financier Multi Courtage… Dans une classe à part, Synex Performance d’affaires, propriétaire de l’agent général Groupe AFL, doit une grande partie de son volume de primes à l’assurance de dommages.

« IDC WIN serait une belle prise pour un assureur », ajoute M. Savard. Il estime qu’en enchainant les acquisitions comme l’avaient fait PPI et Horizons avant de passer sous le giron d’assureurs, IDC WIN facilite la vie d’un éventuel assureur acquéreur. Il en tire aussi parti. « Il devient plus facile pour IDC WIN de mettre un prix à la transaction, en travaillant avec des aspects comme la masse critique, une représentation pancanadienne et d’autres choses du genre. »

Voir les fournisseurs concurrencer les agents généraux ne lui sourit guère, mais Gino-Sébastian Savard croit pouvoir tirer son épingle du jeu. « Les conseillers qui ont à cœur l’indépendance bougent et cela nous avantage, lance-t-il. Mais éventuellement, il faut rester assez forts pour qu’un assureur ne puisse mettre fin à son contrat de distribution avec nous sans que cela ne le pénalise. Quand nous sommes plusieurs indépendants, ils ne peuvent pas le faire. »

Le président de MICA croit que les agents généraux forment le dernier rempart du modèle de distribution indépendant et de la rémunération actuelle en assurance de personnes. Il fait une analogie avec le secteur des valeurs mobilières, dans lequel le pourcentage de rémunération des conseillers en placements a chuté dramatiquement. La plupart des courtiers de ce secteur appartiennent aux banques. « Si un réseau qui appartient à un assureur baissait le niveau de rémunération, il y aurait une hémorragie de représentants en notre faveur. Si nous ne sommes plus là, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. »

PDG de la filiale Financière HUB, Terri Botosan pense que le modèle de l’assureur propriétaire change un peu l’indépendance de l’agent général. « Je n’ai pas la preuve que les agents généraux appartenant à un assureur pousseront davantage ses produits, mais je pense que c’est la suite logique de cette route. »

De son côté, Denis Blackburn ne craint pas pour l’indépendance des conseillers qui transigent avec Groupe Financier Horizons. M. Blackburn est président de la région du Québec de l’agent général acquis par Canada Vie en 2017. Il a pris en juillet 2020 le flambeau des mains de James McMahon, lui-même retourné à la pratique de conseiller indépendant, au sein du cabinet Planif-Globale.

Après analyse de la production totale de Groupe Financier Horizons au Québec en 2020, M. Blackburn dit avoir observé que Canada Vie ne figurait pas parmi ses trois premiers fournisseurs. « Si Canada Vie consacre plus de ressources pour faire plus d’affaires avec Groupe Financier Horizons, nous sommes ouverts. Je sais que Canada Vie travaille actuellement sur des stratégies pour avoir plus de visibilité. Mais il n’y a pas de pression », ajoute-t-il.

Il insiste sur son impartialité. « J’ai dit sur toutes les tribunes l’importance de la notion d’indépendance. Je ne forcerai pas un conseiller à vendre des produits de Canada Vie. Si un autre fournisseur double son équipe et met Groupe Financier Horizons dans son viseur, c’est sûr que les conseillers en vendront plus. »

Consolider ailleurs

PDG et fondateur de Synex Performance d’affaires, Yan Charbonneau estime que la pandémie a ralenti le vent de consolidation qui soufflait depuis des années sur le réseau des agents généraux. « La consolidation se déplace vers les petits cabinets », croit M. Charbonneau. Il souhaite continuer d’acheter de cabinets collectifs dans le but de faire des ventes croisées avec son courtier d’assurance de dommages.

Dans les derniers mois, ce sont surtout des cabinets d’assurance de dommages qu’il a acquis, dont Sharp Insurance de Calgary en avril 2021. À peine une semaine plus tôt, il a acquis dans l’Est canadien GoToInsure, un groupe de cabinets établis dans les provinces de l’Atlantique.

En janvier 2021, Invessa Assurances et services financiers est devenu sa première acquisition sous l’image de marque Synex. Après les trois transactions, Synex affichait un volume de primes total de 360 millions de dollars en assurance de dommages.

Il a moins d’intérêt envers le secteur des agents généraux, pour lequel il estime que le gros de la consolidation a été fait. « De gros joueurs nationaux sont en place, il n’y a pas tant de place dans ce secteur. Nous nous dirigerons plus vers l’assurance collective, et les courtiers qui veulent vendre un bloc d’affaires. »

Prioriser collectif et dommages

Le PDG de Synex dit ne pas avoir fait de transaction visant un cabinet collectif depuis l’acquisition de Patry, Poulin, Trahan & Associés (PPTA) en juillet 2019. Cela changera en 2021, prévoit-il. « Nous sommes très occupés ces temps-ci avec différentes transactions dans différents secteurs. Nous partons en force avec l’assurance collective et l’assurance de dommages. Nous travaillons activement à des transactions en assurance collective », dit M. Charbonneau.

En ce qui touche les acquisitions en assurance de dommages, Synex dit avoir tiré parti des moments difficiles en début de pandémie pour prendre du recul et retravailler la structure interne, ce qui a permis de remettre le modèle bien en selle.

Dans la foulée de ces deux priorités, d’autres projets sont remis. « L’évolution de notre plateforme technologique a été mise sur la glace », dit Yan Charbonneau. Il disait attendre de voir combien d’autres acquisitions se réaliseront dans les prochains mois, peut avant que ne se concluent celles de Sharp Insurance et GoToInsure. « À toutes les fois que notre taille double, nous devons revoir notre planification stratégique. Nous doublerons plusieurs fois cette année. Avant d’investir dans notre plateforme, nous attendons de voir si nous acquerrons des cabinets avancés sur le plan technologique. »

Synex veut développer un système centralisé pour toutes ses divisions, ce qui n’existe pas le marché actuellement, observe M. Charbonneau. « Une fois que nos transactions seront conclues, nous disposerons de tous les BMS sur le marché, Power Broker, Applied TAM (d’Applied Systems), Vertafore Canada (maintenant propriété de Roper Technologies). À cela s’ajoutent les systèmes d’arrière-guichet d’assurance individuelle et d’assurance collective. C’est un peu compliqué. »

HUB International entend aussi poursuivre les acquisitions en assurance de dommages et en assurance collective à un rythme accéléré. En assurance de personnes individuelle, il a acquis en 2020 les activités d’agent général de l’assureur ivari et le comparateur en ligne LSM Insurance Services

PDG de la filiale Financière HUB, Terri Botosan rappelle être avec l’agent général depuis 20 ans et que les acquisitions ont toujours été un élément clé de sa stratégie. « Il y a trois ans, nous avons eu une occasion d’entrer dans le marché de l’assurance collective et sommes probablement devenus le plus gros courtier en avantages sociaux au Canada », dit-elle. Au sujet des deux acquisitions en assurance individuelle, Mme Botosan se dit toujours à l’affut de firmes avec lesquelles son organisation aurait des affinités culturelles.

De grands joueurs en pause ?

Président et chef des opérations de PPI, Jim Virtue croit que le besoin qu’ont les agents généraux de fournir une interface technologique entre conseillers et assureurs rendra très difficile aux plus petits MGA de compétitionner. Combiné à l’âge moyen élevé des propriétaires d’agents généraux, il estime que le facteur technologique alimentera le mouvement de consolidation dans l’industrie.

PPI a pourtant ralenti la cadence en matière d’acquisitions. « Pour l’instant, nous nous concentrons sur la croissance organique. Nous venons tout juste de terminer l’intégration des activités de Patrimoine Hollis dans nos systèmes, mais nous nous montrons toujours intéressés à des acquisitions appropriées », résume M. Virtue sur ses intentions.

De son côté, IDC Worldsource Insurance Network (IDC WIN) a réalisé deux acquisitions au Québec en 2020. Son président, Phil Marsillo, tient un discours similaire. « Nous ne fermons pas les yeux aux acquisitions. Est-ce qu’il y en a une tonne ? Je ne sais pas, mais il y a toujours des opportunités. Au Québec, c’était facile, car Aurrea Signature, Agences d’Assurance Copoloff et IDC WIN avait la même culture, la même stratégie, et nous avions besoin de prendre pied solidement au Québec. »

M. Marsillo estimait essentielle une présence forte au Québec, un endroit où il y a selon lui « de la place pour la croissance ». « Nous voulions aussi montrer qu’IDC WIN est un agent général implanté partout au Canada, et pas seulement à temps partiel. »

IDC WIN a aussi une présence importante en Colombie-Britannique et en Alberta, en plus d’avoir quatre bureaux dans les Maritimes, avec une dizaine d’employés. En tant que filiale de Guardian Capital, l’agent général aura les moyens de ses ambitions si une occasion devait se présenter.

Cet article est un Complément au magazine de l'édition d'avril 2021 du Journal de l'assurance.