L'année 2008 sera à marquer comme la plus éprouvante qui soit pour de nombreux assureurs. Ceux dont les produits étaient les plus exposés aux marchés boursiers ont particulièrement soufferts. Forcés d'augmenter leurs réserves, ils ont vu leurs bénéfices chuter. Certains d'entre eux connaissent d'ailleurs un départ houleux en 2009.La Financière Manuvie a vu son bénéfice net chuter à 517 millions de dollars (M$) en 2008, alors qu'il était de 4,3 milliards de dollars (G$) en 2007. Dans le premier trimestre de l'année 2009, la financière a enregistré une perte nette de 1 G$, alors qu'elle faisait un bénéfice net de 869 M$ lors du premier trimestre de l'année 2008.

Le 7 mai, dans son discours de départ comme PDG de la Financière Manuvie, Dominic D'Alessandro a expliqué aux actionnaires que les problèmes éprouvés par la compagnie découlent de la chute des marchés.

« L'effondrement des marchés boursiers du monde entier dès l'automne 2008 a eu pour effet de créer un manque à gagner entre les valeurs garanties par certaines rentes variables et fonds distincts, et les actifs sous-jacents qui soutiennent ces garanties. Le manque s'est produit brusquement alors que les marchés chutaient. À la fin de décembre, il était de 27 G$ », dit M. D'Alessandro.

C'est ce qui a forcé la compagnie à augmenter ses réserves à l'égard des rentes variables et de fonds distincts à 5,8 G$ à la fin de décembre, alors qu'elles n'étaient que de 526 M$ un an plus tôt. (Au Canada : les rentes variables sont appelées fonds à garantie de retraits minimums ou GRM.)

Ces réserves actuarielles ont été constituées dans l'hypothèse qu'il n'y aurait pas de reprise des marchés boursiers au cours des dix prochaines années et pour absorber les manques pendant ce temps, a-t-il dit. Ce renforcement des réserves explique grandement la chute des bénéfices de la compagnie. « Si les marchés reprennent dans les années à venir, nous pouvons nous attendre à récupérer des portions considérables de ces réserves sous forme de bénéfices nets », a souligné M. D'Alessandro.

Couverture du risque

Manuvie a été critiquée pour ne pas avoir couvert le risque de ses rentes variables et de ses fonds distincts de manière adéquate. M. D'Alessandro a répondu à cette critique dans son discours. Il a expliqué qu'en 2006, Manuvie a pris la décision de commencer à couvrir les risques. À la fin de 2007, elle couvrait le risque d'un petit pourcentage de ses rentes variables. À la fin de 2008, elle couvrait le risque de toutes les nouvelles rentes variables aux États-Unis.

« Avec du recul, nous aurions évidemment mis en œuvre cette stratégie plus rapidement si nous avions pu prévoir ce qui est devenu le pire et le plus rapide déclin des marchés boursiers de l'histoire », a dit M. D'Alessandro.

Lors de l'annonce de ses résultats du premier trimestre de 2009, Manuvie a fait valoir qu'en raison de la volatilité des actions, elle a apporté des changements à ses produits de fonds distincts. « Aux États-Unis, les frais ont été haussés, les bonus différés réduits, les caractéristiques supplémentaires retirées et l'exposition aux marchés boursiers réduite dans plusieurs fonds importants. Au Canada, le programme de couverture du risque pour les affaires en fonds distincts a été mis en œuvre à la fin de mars, et 1,5 G$ d'affaires en vigueur ont été couvertes. Les nouvelles affaires sont continuellement couvertes. »

Afin d'augmenter son capital pendant la crise financière, Manuvie a emprunté environ 4,3 G$ par le financement bancaire et l'émission d'actions ordinaires. L'assureur a poursuivi cette stratégie durant les deux premiers trimestres de 2009. En avril, l'assureur a complété une émission de billets à moyen terme pour un autre 600 M$.

Le 2 juin, l'assureur a annoncé une autre émission de billets à moyen terme pour 1 G$. Le jour suivant, Manuvie a conclu une émission d'actions privilégiées de 350 M$.

D'autres grandes compagnies, notamment la Financière Sun Life et Great-West Lifeco, sont aussi allées aux marchés pour emprunter des capitaux en 2008.

Sun Life

Sun Life a annoncé un bénéfice de 785 M$ en 2008, comparé à 2,2 G$ en 2007. Excluant un bénéfice lié à la vente de ses intérêts dans CI Financial, la perte d'exploitation de Sun Life s'élevait à 40 M$ en 2008, comparé à un bénéfice d'exploitation de 2,3 G$ en 2007.

L'assureur a été durement touché pendant le dernier trimestre de 2008, particulièrement par « des dépenses de 682 M$ liés aux marchés boursiers, 365 M$ liés à la baisse de valeur des actifs, le crédit lié à l'augmentation des dépréciations et des écarts, ainsi que 164 M$ provenant des changements liés à la prise en charge des actifs en défaut en prévision des lourdes pertes futures liées au crédit », a annoncé la compagnie.

Donald Stewart, PDG de la Financière Sun Life, dit que le bilan de sa compagnie reste fort et diversifié même si l'ensemble des rendements financiers de Sun Life a été « très décourageant » en 2008. Il ajoute que les résultats de sa compagnie en 2008 reflètent « des marchés boursiers négatifs et un milieu de crédit perturbé. »

Sun Life a annoncé une perte d'exploitation nette de 186 M$ pour le premier trimestre de 2009, comparativement à un revenu net d'exploitation de 533 M$ durant le même trimestre en 2008. Si l'on inclut les dépenses de restructuration, la perte nette de la compagnie s'élevait à 213 M$. Cette restructuration fait partie des actions prises par la compagnie pour réduire ses dépenses et améliorer l'efficacité de ses opérations.

Le 31 mars, la Financière Sun Life a émis des débentures subordonnées non garanties pour un montant de 500 M$ qui seront utilisés par le siège social à des fins générales, notamment pour des investissements dans des filiales.

Great-West Lifeco

En 2008, Great-West Lifeco a annoncé un bénéfice net consolidé attribuable aux actionnaires ordinaires de 1,4 G$, alors qu'il était de 2,1 G$ en 2007, ce qui constitue une diminution de 32 %. Ces résultats comprennent une dépense pour dépréciation de 1,4 G$ après impôt lié à l'achalandage et aux actifs incorporels de Putnam Investment. Ces résultats comprennent aussi un bénéfice de 649 M$ réalisé à la vente des affaires de Great-West Healthcare au deuxième trimestre.

Great-West Lifeco explique dans son rapport annuel 2008 que cette dépense reflète la chute de valeur des actifs de Putnam en raison de la détérioration des marchés. Great-West a acheté Putnam en 2007.

Dans son message aux actionnaires, la compagnie se félicite de son aversion au risque et souligne que la majorité de l'exposition de Great-West aux garanties des fonds distincts se concentre au Canada et que le risque se trouve au bout conservateur du spectre. De ce fait, Great-West Lifeco déclare que son bilan est un des plus solide de l'industrie et il ajoute qu'il a levé 1,2 G$ dans les marchés boursiers pour augmenter son capital et son niveau de liquidité. Great-West Lifeco veut ainsi se donner une plus grande chance de tirer avantage des occasions d'affaires qui pourraient se présenter.

Great-West Lifeco observe aussi dans son rapport qu'en raison de la chute des marchés boursiers et des faibles taux d'intérêt, les joueurs en fonds distincts et rentes variables ont été défavorisés. La volatilité des marchés a limité la disponibilité de la réassurance et a augmenté les coûts liés à la couverture du risque, indique le rapport. Ces assureurs risquent donc de revoir la conception de ces produits et leur tarification. Great-West Lifeco écrit aussi prévoir lancer des produits GRM en 2009.

Transamerica Vie Canada

Transamerica Vie Canada (Transamerica) a aussi souffert de l'exposition aux marchés boursiers pendant 2008, annonçant une perte nette de 583 M$. Pour la deuxième année consécutive, l'agence d'évaluation du crédit A.M. Best a déclassé l'assureur. La cote de solidité financière de la compagnie est passée d'A- (excellente) à B++ (bonne) et sa cote de crédit d'A- à BBB+.

Ces décotes montrent la faible performance persistante de l'assureur, a déclaré A.M. Best. Sa perte nette de 2008 est attribuable à 472 M$ de pertes nettes liées aux marchés boursiers qui ont engendré des obligations supplémentaires pour les garanties de fonds distincts et un manque à gagner en raison des frais de gestion réduits sur les polices vie universelle et les fond distincts.

La perspective d'A.M. Best sur la solidité financière de Transamerica est stable, mais sa perspective de crédit est négative. Cette perspective montre que la rentabilité de Transamerica est sensible aux soubresauts boursiers et reflète son exposition aux risques des garanties de fonds distincts, tant couverts que non couverts. Pendant l'année 2008, Transamerica a mis en œuvre des programmes de couverture du risque pour couvrir l'échéance des fonds distincts jusqu'en 2011, mais « des échéances postérieures restent non couvertes et représentent le tiers du portefeuille de fonds distincts » qui totalise 3,4 G$.

D'un côté positif, A.M. Best indique que ses cotes montrent la position solide de l'assureur dans ses secteurs d'activités essentielles, sa distribution multi-réseaux, son profil de réduction du risque et sa capitalisation adéquate, ainsi que la capacité financière qu'amène l'appui de sa société mère AEGON N.V.

Dans son message aux actionnaires contenu dans le rapport annuel de Transamerica, le PDG Douglas Brooks reconnaît que les bénéfices de l'assureur ont été durement affectés par le rendement des marchés, particulièrement dans le dernier trimestre de l'année. M. Brooks estime toutefois avoir terminé l'année avec un bilan montrant des actifs de grandes qualités, des réserves fortes et un capital plus que suffisant pour répondre à ses obligations envers tous les titulaires de police à court et à long terme.

Entente de réassurance

Dans son rapport annuel, Transamerica indique avoir mis en œuvre des programmes de couverture du risque pour ses fonds distincts TRANSecurité et Fonds distincts de sociétés associées. En outre, Transamerica a conclu une entente de réassurance pour ses affaires en vigueur, ce qui a réduit considérablement le capital requis pour ses réserves. Pendant l'année 2008, la compagnie a reçu des injections de capitaux totalisant 430 M$. Ces injections, combinées aux initiatives de couverture du risque et de réassurance mises en œuvre en 2008, ont porté le ratio de solvabilité (MMPRCE) à 191 %, ce qui dépasse le ratio idéal de 150 % fixé par le Bureau du surintendant des institutions financières.

Dans un discours, Donald Guloien, président et directeur général de la Financière Manuvie, qualifie l'année 2008 de véritable chemin de croix et estime que Manuvie a passé le test. « Tandis que l'assureur était secoué par les forces de la crise économique mondiale, nos titulaires de police et les autres clients n'ont jamais eu de raisons de craindre que Manuvie ne tienne ses promesses à leur égard », dit-il.

Aide gouvernementale

D'autres multinationales ne peuvent en dire autant et doivent demander l'aide du gouvernement, ajoute-t-il. Il attribue à la solidité financière et la bonne cote de crédit de Manuvie le fait que la compagnie ait réussi à puiser aisément et à coût raisonnable dans les marchés financiers. « De nombreuses institutions financières ne peuvent accéder aux marchés financiers, ou le peuvent seulement à un coût exorbitant », dit M. Guloien.

Parmi les points positifs soulignés par les assureurs canadiens dans leur rapport annuel de 2008 : un ratio de solvabilité élevé, des ventes prospères pour les produits d'assurance, notamment en temporaire, la croissance dans les activités à l'étranger et une démographie qui favorise l'assurance et les produits de retraite à revenus garantis. Plusieurs assureurs se disent par ailleurs bien placés pour tirer parti des possibilités d'acquisition au Canada et ailleurs dans le monde.

« Il y aura une vague de consolidation dans l'industrie. Nous prévoyons tirer avantage de cette tendance, » conclut M. Guloien.