Une affaire de stratagème mise en œuvre par un courtier d’assurance entre 2007 et 2009 au détriment d’au moins trois assureurs, Axa, Financière Manuvie et Standard Life, connaît de nouveaux rebondissements en 2023.
Le 5 janvier, une juge de la Cour du Québec a déterminé à l’issue d’une série de recours des opposants que l’Agence de Revenu du Québec (ARQ) pouvait cotiser les clients qui avaient reçu de gros montants de ce courtier pour s’acheter de coûteuses polices d’assurance vie universelle.
Guillaume Chabot, qui a été radié à vie il y a 12 ans, était unique administrateur et actionnaire d’une compagnie qui portait le nom de Relève d’entreprise Élan inc. et faisait affaire sous le nom de Guillaume Chabot inc. et de Guillaume Chabot Services financiers inc. Selon l’Autorité des marchés financiers (AMF), Guillaume Chabot inc. était aussi le premier actionnaire du cabinet Sherpa Holding inc.
Au milieu des années 2000, Guillaume Chabot avait élaboré une manigance financière illégale qui lui permettait de toucher de substantielles commissions et bonis de compagnies d’assurance. Il invitait une clientèle aisée triée sur le volet à souscrire une police d’assurance vie universelle très onéreuse. Cette police devait demeurer en vigueur pendant une durée minimale de deux ans afin de lui garantir l’irréversibilité des commissions et bonis qu’il projetait de recevoir.
C’est toutefois son entreprise, Élan, qui avançait à ses clients les paiements, parfois aux montants énormes, qui étaient faits aux assureurs. L’un a reçu près de 450 000 $ en deux ans, un autre près de 300 000 $.
Au total, ce sont plus de 2 millions de dollars (M$) qu’il a remis en 2007-2008-2009 à ceux qui ont embarqué dans son manège afin de payer les polices. Lorsque les mensualités de l’assurance étaient exigibles, ils effectuaient eux-mêmes les paiements auprès de l’assureur. Dans un cas, la prime annuelle de la police correspondait à 36 344 $, dans le cas le plus élevé à 272 244 $.
Maximum de rémunération et surcommissions
Guillaume Chabot recrutait ses clients parmi sa propre clientèle d’assurés, auprès d’amis, de références ou en tirant avantage de son titre d’associé principal de Sherpa Holding. Les gens d’affaires qu’il visait possédaient un minimum d’un million de dollars d’actifs afin de justifier les hauts montants d’assurance de la police qu’il leur procurait auprès des assureurs.
Une enquête menée par l’AMF, qui a conduit à la radiation d’inscription de Sherpa Holding et de Relève d’entreprise Élan en 2012, a démontré que Guillaume Chabot et son associé dans Sherpa Holding, Christian Déry, de Déry Capital, pouvaient vendre plus d’un produit d’assurance vie auprès d’assureurs multiples pour un même client et en acquitter l’ensemble des primes, multipliant ainsi le montant des commissions touchées.
En 2007, 2008 et 2009, Guillaume Chabot ne cachait pas aux clients qui embarquaient dans son stratagème qu’il ciblait des volumes de commissions et de « surcommissions » supplémentaires dans le cadre de la vente du produit d’assurance vie universelle auquel ils devaient souscrire. Il visait les primes les plus payantes pour chacun de ses clients, ce qui lui permettait d’obtenir « le maximum de rémunération par dossier », note-t-on dans le jugement de la Cour.
Les assurés qui entraient dans son jeu le faisaient en toute connaissance de cause. En retour, ils bénéficiaient à coût nul d’une garantie de paiement qui variait entre 3 M$ et 7 M$ advenant leur décès pendant que la police était en vigueur.
Les remboursements de primes sont courants dans l’ouest du Canada où cette façon de faire est permise en respect des codes d’éthique, contrairement au Québec, et Guillaume Chabot en était très conscient. Il versait à ses clients les montants dix jours à l’avance au cas où il lui arriverait quelque chose, car il ne voulait pas qu’ils financent leurs fortes primes.
Les assureurs floués
Les compagnies d’assurances concernées n’ont d’abord rien vu de la manœuvre et certaines étaient si satisfaites du gros volume d’affaires que Guillaume Chabot leur apportait qu’elles lui avaient offert des voyages en guise de récompenses. Dans les faits, ces assureurs étaient victimes d’une combine dont il était l’auteur.
« Les compagnies d’assurance se trouvent ainsi flouées puisque les commissions et bonis versés au courtier seront supérieurs aux paiements reçus de leurs assurés », écrit la juge Chantal Gosselin dans son jugement rendu au début de 2023.
Guillaume Chabot réussira ainsi à procéder au total à la souscription irrégulière de 39 polices d’assurance et à recevoir des commissions et des bonis illégitimes de 5 035 229 $. Il en utilisera 2 136 747 $ pour verser des avances à ses clients en vue du paiement des primes et d’excédents permettant le maintien de la police le temps nécessaire pour empêcher que les commissions et bonis ne puissent lui être repris.
Il leur mentionne qu’il prépaie la police pour les deux, trois ou quatre prochaines années, après quoi, la police tombe en désuétude, espérant que cette assurance ne leur serve pas. Les polices arrivent finalement en déchéance faute de paiement des primes aux dates où le fonds de capitalisation est épuisé.
« M. Chabot n’offre pas un rabais de paiement des primes d’assurance ; il offre de fournir des avances pour qu’il procède à leur paiement en entier ainsi qu’à un excédent, à coût nul pour lui-même. Il s’agit en fait d’un remboursement de primes ou d’un partage de commissions avec un assuré par un courtier d’assurance qui sont interdits », écrit la juge Chantal Gosselin.
Parmi ses clients qui ont versé dans son stratagème, on note deux comptables, un pharmacien, une dentiste, un enseignant, des avocats, des gens d’affaires ainsi que deux promoteurs immobiliers de la région de Québec.
Des paiements prétendument non imposables
Des clients potentiels sollicités par l’ancien courtier se sont d’abord montrés sceptiques et ont questionné M. Chabot : comment pouvaient-ils obtenir une assurance aussi onéreuse sans rien débourser et qu’ils auraient été incapables de se payer pour la plupart ? L’ex-conseiller disait que cette police rapportait plus d’argent que ce qu’elle lui en coûtait.
Quelques-uns se questionnent sur l’imposition des sommes reçues. Pour les rassurer, Guillaume Chabot leur citait un avis qu’il avait obtenu d’un avocat fiscaliste. Celui-ci concluait que ces avances ne seraient pas imposables. Toutefois, il s’est avéré que le cas analysé par le fiscaliste n’était pas représentatif du produit qu’il a fait acheter à ses clients et que cette référence ne s’appliquait pas à leur situation.
La police souscrite prévoyait la mise en place d’un volet « épargne-placements » servant à des fins de placements. C’est une conséquence qui aura des impacts au plan fiscal et qui va se retourner plus tard contre ses clients : « Les investissements et les intérêts générés par les placements permettent de soutenir que les avances reçues pour permettre la souscription d’une telle police sur la vie universelle constituent l’exploitation d’un bien », affirme Revenu Québec, qui y trouvera une justification à ses cotisations.
Une entente secrète pour éviter des plaintes
À ceux qui acceptent d’embarquer dans son jeu, Guillaume Chabot leur demande de garder secrète la nature de la transaction pour éviter d’éventuelles plaintes de clients ou de compétiteurs, leur précisant que le remboursement de primes qu’il fait est éthiquement interdit par l’Autorité. Il est donc le premier conscient de l’illégalité de son plan.
Il demande aussi à ses clients de ne pas annuler cette police pendant les 24 premiers mois, le temps requis pour que ses commissions ne puissent être reprises par les assureurs, et de ne pas retirer de l’argent de la police, bien que ce soit impossible de le faire pendant les sept à dix premières années.
Guillaume Chabot avait déjà utilisé la même tactique à ses débuts dans la profession de courtier. Quand sa deuxième opération est éventée, il se retrouve devant la Chambre de la sécurité financière. Il plaide coupable et sera radié de façon permanente en 2011. Pour sa part, Relève d’entreprises Élan est radiée par l’Autorité en 2012 en plus de se voir imposer une pénalité de 50 000 $.
Revenu Québec aux trousses
Une vérification fiscale auprès de Guillaume Chabot et de sa compagnie Élan permet à l’ARQ de découvrir le remboursement des primes à ses clients durant les années 2007, 2008 et 2009 aux fins de son stratagème. Aucun de ses « bénéficiaires » ne les avait déclarées dans leurs revenus annuels.
L’Agence considère que les avances déposées par Élan sont des montants imposables et les impose en proportion cinq à six ans plus tard sans toutefois imposer de pénalités. Les montants qu’elle réclame varient de quelques milliers à des dizaines de milliers de dollars.
Un homme d’affaires visé par l’Agence reconnaît qu’il n’avait pas besoin de la police que lui offrait Guillaume Chabot. Cela ne l’empêche pas d’accepter et de recevoir 35 000 $ en 2008 et 175 000 $ en 2009 au moyen de six versements en six mois pour une prime annuelle de 206 244 $. Il se voit cotiser pour près de 50 000 $ additionnels.
Avis d’oppositions général
En 2017, tous les clients de l’ex-courtier émettent des avis d’opposition et entreprennent une contestation générale de ces cotisations qui s’étend sur plusieurs années et en réclament l’annulation. Ils prétendent n’avoir jamais effectué une fausse représentation. Ils disent s’être basés sur les prétentions de Guillaume Chabot, lequel s’appuyait sur l’avis émis par un avocat voulant que les sommes reçues ne fussent pas imposables.
Ils invoquent cinq motifs d’opposition à leur action : le délai de prescription qui était échu ; la nullité des contrats d’assurance vie ; le gain fortuit ; l’inapplicabilité de l’article 87 w) de la Loi sur les impôts et l’atteinte au droit à une défense pleine et entière.
Trois ans plus tard, en 2020, l’Agence est autorisée à présenter une requête pour rejet de la demande, invoquant que les cinq motifs d’appel ne possédaient aucun fondement en droit ou avaient déjà été tranchés lors d’un autre jugement dans le cadre d’un dossier identique.
Les clients se désistent sur la notion de gain fortuit et le Tribunal rejette ceux sur la nullité des contrats d’assurance sur la vie et l’atteinte à une défense pleine et entière. En 2020, l’ensemble des 22 dossiers sont entendus de façon commune sur les deux autres motifs, la prescription et le paragraphe w de l’article 87 w. Dans les deux cas, le tribunal a donné raison à Revenu Québec.
Délai de prescription
La règle générale veut que Revenu Québec puisse émettre une nouvelle cotisation dans les trois ans. Les nouvelles cotisations visant ses clients sont émises en 2015 et en 2016. C’est bien plus que le délai de prescription de trois ans. Exceptionnellement, rappelle la Cour, l’Agence peut déterminer de nouveau l’impôt et faire une nouvelle cotisation ou établir une cotisation supplémentaire si le contribuable qui a produit sa déclaration a fait une fausse représentation des faits dans sa déclaration par incurie ou par omission volontaire.
Les procédures judiciaires se sont étirées. Lors des journées d’audience tenues en 2022, 22 dossiers concernant des clients de Guillaume Chabot se trouvant dans une situation analogue sont entendus de façon commune. La cause a franchi une étape majeure en janvier dernier dans un jugement rendu par la Cour du Québec à l’égard de ces 22 personnes qui donne raison à Revenu Québec. Les jugements sont individuels, mais les propos sont pratiquement les mêmes d’un individu à un autre.
Est-ce que l’Agence était justifiée de considérer que les paiements reçus d’Élan étaient des paiements incitatifs imposables ? Le tribunal conclut que oui. Était-elle justifiée d’imposer ces gens au-delà de la période générale de cotisation de trois ans ? La Cour répond oui à nouveau.
Incurie, omission, aveuglement volontaire
Dans sa décision, la juge Chantal Gosselin n’est pas tendre à l’endroit de ces participants. La plupart étant des gens d’affaires et propriétaires d’entreprises, ils auraient pu vérifier auprès de leurs comptables, de leur propre assureur, de Revenu Québec ou de l’Agence de revenu du Canada à propos des montants qu’ils recevaient de Guillaume Chabot, leur reproche-t-elle. S’ils ne l’ont pas fait, estime la Cour, c’est par incurie ou par omission, par négligence ou aveuglement volontaire.
La juge Chantal Gosselin dit à propos de cette affaire et qu’elle répète dans les 22 causes en modifiant simplement les chiffres et les noms : « Monsieur n’est pas une victime du stratagème de monsieur Chabot, ayant bénéficié à coût nul d’une police d’assurance d’une garantie de paiement de X millions advenant son décès. La véritable victime du stratagème de M. Chabot a été l’assureur de Monsieur qui a versé des montants considérables en commissions et bonis à monsieur Chabot, sans pouvoir le compter comme nouvel assuré susceptible de demeurer assuré. »