Cet article est un Complément au magazine de l'édition de février 2022 du Journal de l'assurance.


À travers le monde, 79 % des investisseurs institutionnels doutent que les compagnies puissent atteindre leur plan net zéro d’émission de gaz à effet de serre (GES), révèle un sondage international réalisé par Edelman auprès de 700 investisseurs.

Des 100 investisseurs qui ont participé au Canada, 71 % ont exprimé cette préoccupation. Aux États-Unis, 92 % des 100 participants ont la même préoccupation, soit le résultat le plus élevé. L’Allemagne, le Japon, le Moyen-Orient, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont aussi participé, avec chacun 100 investisseurs sondés. La moyenne s’établit à 79 %.

Le sondage a été réalisé entre août et septembre 2021. Le rapport Edelman Trust Barometer 2021 dresse le profil des participants du sondage au Canada. Plus de la moitié des participants du Canada sont des investisseurs dont l’actif sous gestion atteint au moins un milliard de dollars (G$), dont 23 % gèrent 10 G$ et plus.

Le rapport signale entre autres que plusieurs participants manquent de confiance envers l’information que leur divulguent les entreprises sur leur progrès en ESG (principes environnementaux, sociaux et de gouvernances). Dans l’ensemble, 82 % des participants pensent que les compagnies surestiment ou exagèrent fréquemment leurs progrès en matière d’ESG lorsqu’elles divulguent leurs résultats financiers. Au Canada, 77 % des investisseurs institutionnels pensent ainsi, par rapport à 86 % aux États-Unis et 87 % en Allemagne, soit le résultat le plus élevé.

Diversité et inclusion traînent la patte

Au Canada, 72 % des investisseurs institutionnels ne croient pas que les compagnies pourront tenir leurs engagements envers l’ESG. Toujours au pays, 71 % des investisseurs doutent de l’exactitude des informations que leur divulguent les compagnies sur leurs progrès en matière de diversité et d’inclusion. C’est leur plus grande préoccupation.

Dans une proportion de 69 %, les participants canadiens expriment les mêmes doutes à l’égard des informations divulguées sur les émissions de gaz à effet de serre (GES). Le doute s’installe chez 67 % envers la divulgation des écarts salariaux entre dirigeants et employés, et chez 66 % à l’égard de la sécurité et de la santé des employés.

Au Canada, 82 % des investisseurs institutionnels s’attendent à ce que des litiges liés à l’ESG surgissent. Ils sont 87 % dans le monde à exprimer cette préoccupation.

Dans tous les participants à travers le monde, 85 % se disent favorables à la divulgation obligatoire des engagements des compagnies à l’égard de l’ESG, et 32 % se disent fortement favorables. Au Canada 78 % se disent favorables à la divulgation obligatoire, et 32 % fortement favorables.

Sébastien McMahon

Économiste en chef par intérim et gestionnaire sénior de portefeuilles diversifiés d’iA Groupe financier, Sébastien McMahon, a révélé lors d’une entrevue avec le Journal de l’assurance que chaque investissement d’iA est passé dans le filtre des critères ESG. Le gestionnaire et ses collègues scrutent les cotes ESG des compagnies avant d’investir, en recourant entre autres à des contacts directs avec des entreprises et à des services de notation ESG comme ceux de Sustainalytics et MSCI.

S’il faut scruter les compagnies, il faut aussi scruter les fonds d’investissement, rappelle l’économiste et gestionnaire d’iA. « Tous les fonds ESG ne sont pas créés égaux. Un vrai fonds ESG doit indiquer dans son prospectus que le fonds d’investissement responsable se fonde sur des critères ESG. Il doit intégrer des spécialistes de l’ESG à l’équipe de placements et démontrer que les critères font partie intégrale du processus de décision. Pour le reste, il faut faire ses devoirs », a-t-il lancé, en entrevue avec le Journal de l’assurance.

Un vent de changement souffle…

En attendant la divulgation obligatoire, l’industrie se mobilise pour faire progresser la cause ESG. Pour sa part, Sébastien McMahon signale qu’iA fait partie des 20 acteurs financiers au Québec à avoir signé la Déclaration de la place financière québécoise pour une finance durable, initiée par Finance Montréal en octobre 2021. Ces acteurs financiers représentaient plus de 900 G$ d’actifs sous gestion, a dit Finance Montréal au moment de dévoiler l’initiative le 4 octobre 2021.

Denis Ricard

« Il est important pour nous d’encourager et de participer pleinement à la collaboration avec divers membres de l’industrie afin de favoriser la divulgation et l’adhésion envers le développement durable et la gestion des principes ESG », avait alors déclaré Denis Ricard, président et chef de la direction d’iA Groupe financier. M. Ricard avait ajouté qu’en tant que signataire des Principes pour l’investissement responsable des Nations Unies, iA Groupe financier s’engage à renforcer l’intégration des facteurs ESG dans ses stratégies d’investissement, dans ses processus et dans ses opérations. Parmi les signataires figurent l’Autorité des marchés financiers, Banque Nationale du Canada, la Caisse de dépôt et placement du Québec, Mouvement Desjardins, La Capitale et SSQ Assurance (Beneva), et Power Corporation.

Lors de la COP26 qui a réuni les dirigeants mondiaux à Glasgow en novembre 2021, L’IFRS Foundation a annoncé la création du Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (ISSB). L’ISSB est responsable d’établir les normes de divulgations financières environnementales pour l’ensemble des entreprises à l’échelle mondiale. L’IFRS Foundation a publié du même coup un prototype de normes sur la présentation d’informations générales liées aux changements climatiques.

Le même mois, Finance Montréal annonçait que Montréal fait officiellement partie des métropoles qui accueilleront les bureaux de l’ISSB. Francfort, en Allemagne, a aussi été sélectionnée.

… Au-delà de la finance

Dans sa récente étude Perspectives canadiennes sur les rapports ESG, PwC Canada a dit observer des signes et des tendances qui laissent entrevoir des changements dans un proche avenir, notamment les propositions des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) concernant les obligations d'information liée au changement climatique.

Carlos Cardone

Carlos Cardone croit que le mouvement va au-delà de la gestion d’actifs. « L’ESG est quelque chose d’externe aux gestionnaires d’actifs et qui a sa propre dynamique », a déclaré en entrevue avec le Journal de l’assurance le directeur principal d’Investor Economics, membre d’ISS Market Intelligence.

« L’industrie de la gestion d’actifs n’est que l’une des nombreuses pièces du puzzle de l’histoire, estime M. Cardone. Les politiques gouvernementales, les mouvements sociaux et les investisseurs institutionnels en sont d’autres. Le mandat des caisses de retraite change. De nouveaux membres de leur conseil leur demandent de se montrer plus ESG… »

Le directeur principal d’Investor Economics considère que les changements sociaux sont la première pièce de ce puzzle. Il mentionne à cet égard les efforts réglementaires de l’International Organization of Securities Commissions (IOSCO). Des membres de l’IOSCO se montrent selon lui « très actifs », telles la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) et l’Autorité des marchés financiers.

L'agenda des régulateurs et le vaste mouvement social vers l’ESG mèneront lentement mais sûrement vers un changement dans la fonction, les activités quotidiennes et les attentes parmi les gestionnaires d’actif, croit M. Cardone. « Avec le temps, ils s’impliqueront davantage dans les résultats des compagnies dans lesquelles ils investissent », ajoute-t-il. Selon lui, ils pourraient par exemple le faire par des actions directes, telles des discussions avec les dirigeants d’entreprises, ou par l’entremise du vote par procuration.