Se spécialiser dans un créneau ou segmenter sa clientèle peut faire augmenter la valeur d’un petit cabinet, a mis en lumière le dossier spécial de l’indice de la valeur d’une clientèle en assurances de personnes collective et individuelle, paru dans l’édition de mars 2024 du Journal de l’assurance.
Alors que les consolidateurs n’ont d’yeux que pour les cabinets de grande taille, que peut faire un petit cabinet d’assurance de personnes individuel, à propriétaire unique et sans grande structure corporative, pour attirer un acquéreur aux reins solides ?
Il est rare qu’un tel cabinet attire la convoitise des grands consolidateurs, selon Yan Charbonneau, président et chef de la vision, de Synex Performance d’affaires. M. Charbonneau dit que les consolidateurs ont désormais une capacité d’acquérir encore plus grande que les assureurs et les banques canadiennes. Il songe aux fonds privés américains (Synex est appuyé par BBH Capital Partners, et AGA assurances collectives a pour nouvel actionnaire majoritaire TA Associates) et aux géants du courtage tels que Marsh, filiale de March McLennan.
Yan Charbonneau observe que cette capacité échappe au réseau de distribution de l’assurance de personnes individuelle. « Les petits cabinets d’assurance vie individuelle n’ont pas les capacités financières de s’acheter entre eux. De mon côté, mon coût d’acquisition moyen est de 15 millions de dollars (M$). Un cabinet individuel qui génère des revenus récurrents de 500 000 $ est donc une très petite transaction. Il doit avoir une valeur ajoutée », explique le dirigeant de Synex.
Pourtant, Yan Charbonneau dit qu’il ne lèverait pas le nez sur un cabinet qui se spécialise dans une clientèle qui l’intéresse. « Par exemple, je pourrais être disposé à acheter plus cher que la moyenne un cabinet qui a développé une clientèle exclusivement d’entrepreneurs électriciens, car je sais que je peux aller chercher une croissance dans ce secteur sans devoir développer une expertise », soulève-t-il.
Choisir son mode d’évaluation
Dans le dossier spécial de l’indice, le propriétaire et président-directeur général de Fusion et Acquisition Queenston Inc., Martin Luc Derome, a insisté sur l’importance de segmenter une clientèle en profondeur, lorsqu’il s’agit d’assurance de personnes et d’investissement individuels. Queenston offre des outils de segmentation par police en vue de les vendre en lots.
L’évaluation d’un cabinet demande une grande souplesse. Habituellement, les grands cabinets d’assurance collective s’échangent selon un multiple de la valeur qui se fonde sur le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA), mais pas tout le temps, explique M. Derome. Il donne l’exemple d’une transaction épaulée par Queenston, dans laquelle le propriétaire a choisi la méthode d’évaluation selon revenu net, alors qu’il aurait pu l’être selon le BAIIA. Son cabinet produisait 50 M$ de revenus annuels récurrents, dont il lui restait chaque année une grande part après avoir rémunéré ses conseillers. « Aller sur le BAIIA l’aurait pénalisé », dit M. Derome.
Or, le BAIIA conviendra souvent aux cabinets collectifs de grande taille. Le PDG de Queenston relate avoir travaillé à un dossier d’un grand cabinet collectif pour lequel il visait un multiple de 18 fois le BAIIA. Ce cabinet produisait des primes annuelles de 500 à 600 M$.
Les cabinets collectifs de taille plus modeste, qui produisent par exemple de 25 à 30 M$ de primes annuelles s’échangeront selon lui à 8 à 10 fois le BAIIA. M. Derome dit avoir atteint le haut de cette fourchette dans une transaction visant un cabinet avec une production d’environ 17 M$ de primes annuelles.
Plus que les revenus
Queenston utilise trois sources de revenus différentes dans ses évaluations : le BAIIA, le revenu (brut ou net) et le revenu récurrent (qui ne tient pas compte des nouvelles ventes). L’actif peut aussi être pris en compte. Les plus petits cabinets s’échangeront plutôt selon un multiple des revenus récurrents, dit-il.
Le cabinet utilise-t-il ou non un logiciel de gestion de la clientèle ? Le propriétaire a-t-il une relève ? – Martin Luc Derome
D’autres facteurs s’invitent dans l’algorithme d’évaluation de Queenston, signale Martin Luc Derome. « Le cabinet utilise-t-il ou non un logiciel de gestion de la clientèle ? Le propriétaire a-t-il une relève ? Un plan d’urgence bien défini en cas d’invalidité, de décès ? Un processus d’opération écrit ? » Ces facteurs et bien d’autres feront varier la valeur d’une pratique, ajoute le PDG de Queenston.
Martin Luc Derome rappelle à quel point il est important que la vision et la personnalité de chaque partie s’harmonisent. C’est ce que les spécialistes appellent le « fit ». « Sinon, la transition ne fonctionnera pas », prévient-il. La forte personnalité des deux parties commande aussi une attention particulière pour que la transaction réussisse. Dans les petites transactions comme dans les grandes, M. Derome se décrit comme quelqu’un qui gère les émotions des parties à la transaction (chief emotional officer). « Quand il y a une transaction, les émotions sont dans le tapis », dit-il.
Cet article est un Complément au magazine de l'édition de mars 2024 du Journal de l'assurance.