Le tribunal autorise une action collective regroupant les exploitants de bars et de restaurants qui ont dû interrompre leurs activités durant les premiers mois de la pandémie de COVID-19 en 2020. Le libellé de deux garanties dans leur contrat d’assurance est suffisamment flou pour que le débat se tienne, selon la Cour supérieure du Québec.
La décision de la juge Dominique Poulin, datée du 28 juin, a été transmise au Portail de l’assurance par Me Laurent Debrun, du cabinet Spiegel Sohmer, qui représente la demanderesse dans ce litige. Le jugement original a été publié en anglais, et la traduction non officielle et non révisée par la juge nous a aussi été transmise.
Me Lebrun menait trois actions collectives distinctes, dont deux ont été rejetées. Dans la quasi-totalité des actions collectives menées en Amérique du Nord, les tribunaux ont rejeté les demandes en l’absence de dommage matériel aux biens physiques. Les contrats où cette exigence n’est pas précisée suscitent plus de problèmes aux assureurs.
Dans le présent dossier, les assureurs impliqués sont Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, la Compagnie d’assurance Everest du Canada, La Souveraine, Compagnie d’assurance générale et HDI Global Assurances spécialités SE.
La police d’assurance commerciale a été souscrite auprès des quatre compagnies défenderesses par l’intermédiaire du grossiste Strategic Underwriting Managers (SUM). Aviva est impliquée dans une autre action collective menée par le fabricant Nordik Windows en Ontario.
La Cour supérieure accueille les arguments des assureurs et souligne que l’ajout de nouveaux membres à l’action collective est prescrit. Les demandeurs tentaient d’inclure dans le groupe toutes les entreprises de services d’accueil.
Pour autoriser cette action collective, le tribunal a analysé les quatre critères énoncés à l’article 575 du Code de procédure civile. Il conclut que chacun d’eux est rempli.
La demande
Les faits allégués par la précédente demanderesse sont simples. La compagnie 9391-2186 Québec inc. exploitait trois restaurants dans l’agglomération de Montréal. Le décret imposé par le gouvernement, le 23 mars 2020, a contraint les établissements à la fermeture.
Les assureurs ont refusé d’indemniser l’exploitant au motif que la garantie ne s’appliquait qu’en cas de dommages matériels directs causés aux biens. Les restrictions ont eu lieu jusqu’au 20 juin 2020. Cette obligation d’interrompre ses activités a causé un préjudice à la demanderesse. Les membres du groupe ont la même protection et ont subi les mêmes dommages.
La responsabilité respective des quatre compagnies d’assurance se limite à la part du pourcentage d’assurance établie pour chacune dans les clauses de la police. Dans le cas des deux garanties, elle est limitée à une période maximale de quatre semaines consécutives.
Le groupe
Le tribunal limite le groupe aux membres titulaires d’une police d’assurance ayant le même libellé que celui stipulé par le formulaire numéro 402014-02, intitulé Pertes d’exploitation - pertes réelles (formule étendue) émis par l’une ou l’autre des défenderesses.
Pour être admises dans le groupe, toutes les entreprises associées à l’exploitation d’un bar et d’un restaurant au Québec doivent avoir vu l’accès à leurs locaux faire l’objet d’une restriction partielle ou totale par une ordonnance du gouvernement en raison de la pandémie de COVID-19 ou doivent avoir subi des pertes d’exploitation en raison d’une éclosion de COVID-19 dans un rayon d’un kilomètre de leurs locaux.
Ces exploitants doivent avoir essuyé un refus à la suite d’une demande d’indemnisation présentée par l’un des assureurs visés par l’action collective. Ces commerçants peuvent aussi se joindre au groupe s’ils n’ont présenté aucune demande d’indemnisation ou qu’ils n’ont pas avisé leur assureur de la perte.
La précédente demanderesse travaille dans le secteur de la restauration depuis des décennies et connaît de nombreux restaurateurs touchés par le refus apparemment systématique des assureurs de les indemniser. Selon elle, des centaines ou des milliers de commerçants sont dans la même situation au Québec.
Le libellé
La clause 9 du contrat est la première qui sera analysée. La garantie (accès restreint) offre une protection contre la perte de revenus d’exploitation subie lorsque l’accès aux locaux est interdit ou partiellement restreint par ordre des autorités civiles à la suite de l’éclosion d’une maladie contagieuse.
La clause 14 du contrat est l’autre disposition au cœur du litige. La deuxième garantie contre la publicité négative protège l’assuré contre les pertes de revenus d’exploitation découlant de l’éclosion d’une maladie contagieuse dans un rayon d’un kilomètre de ses locaux.
La juge Poulin énumère les questions qui sont communes aux membres du groupe. Par son libellé, est-ce que les clauses 9 et 14 s’appliquent et donnent droit à une indemnisation pour pertes d’exploitation dans le cadre de la pandémie de COVID-19 au Québec ?
Le tribunal sera appelé à statuer sur le fond et à rendre un jugement définitif sur l’application d’un libellé de police propre à la situation qui a prévalu durant la pandémie. Ses conclusions ne seront pas applicables si la police prévoit des conditions différentes.
Le cas du syndic
Dans le présent dossier, il y a une particularité : le restaurant L’Académie Crescent, exploité par la compagnie 9391-2186 Québec inc., est en faillite. C’est le syndic Groupe Serpone qui mène l’action en reprise d’instance.
Les défenderesses contestent la qualité du représentant désigné du groupe menant l’action collective. Le syndic de faillite a récemment repris l’instance d’exercer les droits de la précédente demanderesse.
La capacité juridique d’un syndic de faillite à agir à titre de représentant n’a encore jamais été examinée au Québec, souligne la juge Poulin. Les assureurs soutiennent que le rôle du syndic, coincé entre les créanciers de la faillite et les membres du groupe, peut poser problème.
Le tribunal rappelle que le syndic est réputé couvert par la police en vertu de la clause générale no 16 traitant des conditions générales. Toutefois, il reconnaît la possibilité d’un conflit d’intérêts, lequel n’existe pas à l’heure actuelle, mais qui pourrait se présenter à un stade ultérieur entre les membres du groupe et les créanciers.
Ces derniers peuvent avoir intérêt à ce que l’affaire se termine rapidement tandis que les membres du groupe ont intérêt à obtenir l’indemnisation la plus élevée possible. Le conflit d’intérêts éventuel risquerait de nuire à l’efficacité de la représentation du groupe par le syndic, selon le tribunal.
En conséquence, le syndic se voit accorder un délai de 90 jours pour trouver un autre restaurant ou bar qui sera apte à agir à sa place à titre de représentant du groupe. Interrogé par le Portail de l’assurance, Me Debrun confirme que la recherche du candidat est déjà lancée.