Alors que le bilan des inondations s’alourdit et que le niveau de certaines rivières continue d’augmenter, le directeur du Réseau Inondations intersectoriel du Québec (RIISQ), Philippe Gachon, reproche aux instances gouvernementales de ne pas avoir considéré l’ampleur du problème plus tôt et d’agir en « gestion de crise alors qu’il faudrait agir en gestion de risque ».

« Ce n’est pas normal qu’on doive gérer les inondations quand elles arrivent. On devrait plutôt travailler en amont, pour prévenir et se préparer. Ça fait des mois qu’on voit les accumulations de neige, la glace, les sols gelés en profondeur. Ce sont des signes précurseurs qu’il va y avoir des fortes crues, surtout lorsque le printemps est tardif et que la hausse de la température est soudaine et très élevée », dit M. Gachon en entrevue à FlashFinance.ca.

Le professeur du département de géographie de l’Université du Québec à Montréal accuse le gouvernement de faire du « patchage ». « On répond au besoin du moment, mais on ne planifie pas. Arrêtons de travailler en mode panique, essayons plutôt de mener à bien une vraie solution à long terme » qui transcende les gouvernements, explique-t-il.

Qui doit indemniser ?

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M. Gachon prévient que les citoyens n’auront plus la capacité de continuer de payer si de telles inondations se poursuivent. Avec la répétition des inondations majeures, qui déferlent sur la province depuis 2017, les impôts et les fonds publics ne suffiront plus à payer la note. « C’est pour ça qu’on a besoin de transférer ce risque financier aux assureurs, mais encore faut-il qu’ils aient accès aux cartes des risques d’inondations qui compilent les données actuelles et qu’elles soient mises à jour régulièrement. »

Actuellement ce sont les municipalités du Québec qui ont le mandat de mettre à jour les cartes de risques. Faute de moyens, de temps et d’expertise, elles n’ont pas été mises à jour depuis près de 25 ans.

Au Canada, les inondations représentent 40 % des catastrophes naturelles et elles coutent au trésor public 75 % des accords d’aide financière pour les catastrophes, avance le titulaire de la Chaire de recherche sur les risques hydrométéorologiques liés aux changements climatiques.

« Au Québec on a parmi les plus grandes plaines inondables du Canada avec d’immenses bassins versants et/ou la majorité de la population y vit », explique M. Gachon. Il est donc primordial pour lui d’avoir un plan à long terme qui respecte autant l’avant, le pendant et l’après.

Délocaliser n’est pas la panacée

Pour bien gérer les inondations, il n’y a pas qu’une seule solution. Délocaliser les gens ou les inciter à déménager devrait être la dernière de la liste, selon Philippe Gachon. Les taxes foncières déresponsabilisent autant l’acheteur que les municipalités et sont au cœur du problème lié à la délocalisation, selon lui.

« Si une personne n’est pas autorisée à se reconstruire, cela entraine automatiquement une perte de revenu pour la municipalité. Or, l’état ne compense pas pour cette perte, même si cet espace sert d’espace vert. Donc les municipalités ont tendance à redonner les permis de construire pour percevoir les taxes, parce que ce sont leurs principales sources de revenus. »

Tant qu’à reconstruire, aussi bien considérer l’ingénierie, mentionne M. Gachon. « Toutes les maisons qui sont en zone à risques devraient être construites en hauteur ou sur pilotis. Les sous-sols devraient être imperméabilisés et l’aménagement public devrait être conçu pour absorber l’eau. Il est important de conserver nos milieux humides et la végétation aux abords des berges, car elles ralentissent la propagation de l’eau. Le goudron et l’asphalte imperméabilisent les sols. L’eau de la fonte des neiges et des pluies se dirige plus rapidement vers les rivières et les égouts et crée des débordements. »

L’organisme Nature Québec abonde en ce sens. « Il faut sauvegarder l’intégrité des cours d’eau, des lacs, des bandes riveraines naturelles, des plaines inondables et des milieux humides et doit s’imposer à nous comme une nécessité, afin d’assurer à long terme la sécurité des personnes et des biens, en plus de protéger l’intégrité des écosystèmes », a-t-il écrit dans un communiqué exhortant le gouvernement de ne pas revoir à la baisse la loi sur les milieux humides.

Nature Québec a aussi rappelé qu’une révision à la baisse des montants de compensation pour la perte des milieux humides ne fait qu’accélérer la destruction de ces milieux et encourager l’étalement urbain.

Prendre exemple sur ce qui se fait ailleurs

En France, dans la vallée du Rhône, le plan antiinondations inclut tous les partenaires ; les centres de recherches des Universités, L’EDF, qui est l’équivalent d’Hydro-Québec, la compagnie nationale du Rhône qui gère les barrages, les régions et municipalités ainsi que l’effort citoyen. Les gouvernements paient pour les infrastructures publiques, mais les maisons sont indemnisées par les assureurs privés.

« Tous les autres pays du G8 investissent des milliards de dollars à long terme pour s’assurer de la recherche, de la connaissance, de l’acquisition d’outils à jour, de former la relève et des partenariats avec les gouvernements, relate M. Gachon. Toujours dans le but de s’améliorer et développer des capacités à s’adapter et à devenir résilient face à des conditions météorologiques qui favorisent une récurrence et une intensité des inondations comme on n’en a jamais vu par le passé. »

Appel au dialogue

Le RIISQ souhaite collaborer avec le gouvernement, mais aucune rencontre n’a eu lieu pour le moment entre les parties. À son lancement, le réseau a invité sept ministres, dont ceux de la Sécurité publique, de l’Éducation et de l’Environnement et de la lutte aux changements climatiques. Aucun n’a fait acte de présence ou n’a envoyé de représentant.

« On voudrait rencontrer les gouvernements le plus tôt possible. On n’a jamais autant parlé des changements climatiques, et on n’a jamais autant peu investi en l’espace de 15 ans dans le domaine. On a moins d’argent en 2019 qu’on en avait en 2000 pour le secteur des changements climatiques au Canada », dit avec stupeur Philippe Gachon.

À l’époque, le gouvernement de Jean Chrétien investissait dans la Fondation canadienne des sciences du climat et de l’atmosphère, qu’il avait créée. En l’espace de dix ans, 100 M$ ont été investis pour la recherche et ont permis au Canada de s’inscrire parmi les meilleurs dans le domaine. Le gouvernement de Stephen Harper y a mis un terme à son arrivée au pouvoir et elle n’a jamais été remise sur pied depuis.

Le pire arrive

Les sombres prédictions que M. Gachon avait faites à la Journée de l’assurance de dommages 2014 semblent se réaliser. Il avait alors indiqué que le Canada et le Québec seraient très sensibles aux variations climatiques. Pour relire son témoignage, cliquez ici.