Le conseiller qui ne développe pas une relation avec les héritiers de ses clients risque bien de les perdre. Si ceux-ci font déjà affaire avec une banque ou un grand cabinet, le conseiller risque d’y transférer tous les avoirs de leurs clients à leur décès.Président de MSP & associés, Marc Saint-Pierre évolue depuis plus de 40 ans en gestion des caisses de retraite. Il a été économiste pour des institutions financières avant de travailler pour de grandes firmes de gestion privée et enfin lancer sa propre firme. Chez MSP, il travaille avec des conseillers qui comptent des personnes fortunées parmi leur clientèle.

« Je ne suis pas dans le développement des affaires, mais je suis là pour les aider dans le positionnement de leur portefeuille. » Avant d’aller rencontrer son client, le conseiller doit se préparer à répondre à certaines questions. « Pourquoi votre client devrait-il vous écouter? Quelle est votre valeur ajoutée? Votre client en est-il conscient? Est-il en mesure de l’apprécier? »

Selon lui, s’il est bien entouré et outillé, le conseiller financier est le mieux placé pour appuyer le client fortuné dans sa démarche de planification financière pour la retraite et la succession. « Mais, avant de vous préoccuper des héritiers, demandez-vous quelle est la relation que vous entretenez avec vos clients actuels. À quelle fréquence les rencontrez-vous? Si le client n’a pas été rencontré depuis cinq ans, il est peu probable que vous le conserviez parmi votre portefeuille, et encore moins ses enfants », dit-il.

Le conseiller doit gérer la totalité des actifs du client pour être en mesure de bien le servir, estime M. Saint-Pierre. Le client doit pouvoir mesurer la performance de son conseiller et lui attribuer un degré de satisfaction. Il y a 31 000 conseillers financiers inscrits auprès de la Chambre de la sécurité financière, note-t-il. « Le client peut-il vous distinguer parmi cette masse de gens, voir à quel point vous êtes différent? Quelle est votre proposition d’affaires? Quelle est la valeur ajoutée de votre façon de faire? Si vous n’êtes pas capable de définir cela, vous risquez de perdre votre client… Et oubliez tout de suite ses héritiers. »

Même parmi les gestionnaires qui ont des bureaux en angle et 350 millions de dollars (M$) d’actifs à gérer, rares sont ceux qui font de la planification. « Misez sur vos forces. Vous avez cet avantage concurrentiel sur eux. » En utilisant efficacement ses forces, le conseiller arrive à convaincre sa clientèle que le rendement n’est plus le moteur principal de son activité, conclut M. Saint-Pierre.

Gestion privée

Normand Morin est directeur général chez Excel gestion privée, firme qu’il a contribué à fonder, en 1998. M. Morin rappelle que le nombre de clients fortunés est en hausse constante. En 2000, on évaluait que 358 000 ménages canadiens détenaient un actif net supérieur à 1 M$. Dix ans plus tard, ce nombre avait grimpé de 57 %. Selon Investor Economics, en 2020, on comptera environ un million de ces ménages fortunés, une autre hausse de 78 % en une décennie.

Le marché des clients haut de gamme, soit les ménages détenant un actif net supérieur à 500 000 $, représente 13 % de l’ensemble des ménages, mais ceux-ci détiennent 81 % de la richesse au Canada. Ce sont eux qui sont visés par les banques et les courtiers en valeurs mobilières, souligne M. Morin. Et plusieurs d’entre eux transmettront cette fortune à leurs héritiers, dans les prochaines années. Les conseillers financiers doivent se battre pour conserver ces actifs dans leur portefeuille sous gestion, estime-t-il.

Une partie de la nouvelle fortune de ces héritiers proviendra aussi de l’assurance vie. En 2012, les Canadiens ont souscrit pour 321,7 milliards de dollars (G$) en assurance vie, et le capital assuré moyen par police était de 334 200 $. L’ensemble de l’assurance vie détenue par les Canadiens atteignait 3 903 G$ à la fin de 2012, une « somme phénoménale » qu’il ne faut pas échapper, dit-il.

Les clients fortunés ont pour principale préoccupation l’impact fiscal de leur planification financière. Ils veulent aussi savoir s’ils pourront conserver leur style de vie à la retraite. Et ils souhaitent déléguer leur planification financière à une personne de confiance. « Le conseiller financier doit offrir plus qu’un rendement, insiste M. Morin. Vous pouvez offrir bien plus que cela, comme de la planification pour la retraite et fiscale. »

Le conseiller doit élargir son offre de service par la gestion intégrée du patrimoine familial, recommande-t-il. Il ne peut détenir des permis couvrant toutes les sphères de la finance, mais il peut s’entourer d’un bon réseau de professionnels et référer ses clients à des gens de confiance. Il deviendra ainsi le coordonnateur financier de la famille.

Cette gestion intégrée passe par une offre de service écrite. En plus de satisfaire les attentes du régulateur à l’égard de la transparence, elle permet au conseiller de préciser ses honoraires. En adoptant la même transparence que celle des prospectus des gestionnaires de fonds communs, les conseillers montreront qu’ils sont bien organisés.

Enfin, tout comme M. Saint-Pierre, M. Morin recommande vivement aux conseillers de s’occuper aussi des enfants de leurs clients. Un exemple simple : les grands-parents sont souvent les premiers à investir dans le régime d’épargne-études de leur descendance. « Ça vous ouvre la porte pour aller rencontrer les parents de ces enfants pour leur expliquer ce que cela comporte. » À cette occasion, des questions sur la gestion de la dette, la succession, la fiscalité et la retraite peuvent surgir. Le conseiller spécialiste des produits d’assurance doit s’entourer d’experts en ces domaines, conclut M. Morin.

Le fournisseur

Luis Romero, président et fondateur d’EquiSoft, offre des solutions informatiques à l’industrie des services financiers depuis 1994. Mathématicien, actuaire et informaticien, M. Romero estime que le nerf de la guerre pour le conseiller financier est de consolider l’ensemble des actifs du client afin d’avoir une meilleure vue d’ensemble. Les investisseurs ont d’ailleurs tendance à consolider leurs actifs à l’approche de la retraite, au moment où ils cesseront d’accumuler du capital pour entrer dans la phase de décaissement.

Le principal intérêt pour le conseiller d’obtenir cette vue globale de l’actif du client est de pouvoir lui parler d’assurance. Ses besoins sont-ils suffisants? Ses dettes sont-elles assurées? C’est aussi l’occasion de discuter de placements et de projection des revenus à la retraite.

« On dit que 90 % des Canadiens n’épargnent pas assez pour la retraite, mais il n’y a rien de mieux que de voir la courbe descendre dans le rouge pour convaincre le client d’investir un peu plus ou de mieux gérer son budget. » L’analyse des besoins financiers du client est désormais obligatoire pour vendre de l’assurance au Québec, ajoute-t-il. Elle est la base des renseignements que doit obtenir le conseiller pour aider à la consolidation de l’actif.

L’information financière est désormais accessible à tous grâce à Internet, ce qui augmente les attentes des clients à l’égard de leur conseiller financier. Par ailleurs, les institutions financières sont capables d’utiliser les renseignements sur les transactions de leurs clients pour dresser leur portrait financier et leur recommander des produits. « Si vous ne parlez pas à votre client très souvent, dites-vous que sa banque peut le faire plusieurs fois par semaine », dit-il.

Les institutions financières offrent même des outils de planification financière sur Internet. Ces outils sont simplistes, mais ils ajoutent de la pression sur les conseillers financiers. Ceux-ci doivent pouvoir se montrer aussi efficaces pour aider leurs clients en matière de planification successorale. Ils doivent accéder facilement aux renseignements sur le client, aux polices existantes, aux résultats de placements, etc., afin de produire rapidement les documents requis par le client.

L’avantage de l’automatisation des opérations est de pouvoir offrir à l’ensemble des clients la même qualité de service sans pour autant augmenter le cout d’exploitation. « Ça vous sera utile pour assurer la relève au sein de votre propre cabinet. Si vous ajoutez de la valeur à votre offre de services, ça valorise votre clientèle », explique M. Romero.

Les solutions informatiques offertes sont disponibles en ligne, et la sauvegarde est faite par l’infonuagique. Selon le PDG d’Equisoft, les renseignements du client sont ainsi mieux protégés que s’ils étaient stockés sur l’ordinateur portable du conseiller. En outre, les outils offerts au conseiller lui permettent de produire des rapports de grande qualité.

Autre avantage d’informatiser les données des clients : le conseiller veut que les héritiers deviennent aussi ses clients, mais les jeunes générations ont des besoins plus sophistiqués que leurs parents en matière d’information financière, conclut-il.

M. Saint-Pierre a d’ailleurs vanté l’utilité des outils informatiques pour le développement des affaires du conseiller. Les solutions de gestion de portefeuille qu’il utilise lui permettent d’équilibrer le portefeuille de chaque client en fonction de son profil, de manière rapide et efficace. « Les outils existent; vous en avez besoin. Bien sûr, il faut investir, mais vous n’avez pas le choix. Sinon, vous ne conserverez pas votre clientèle », insiste-t-il.

Le plus important, ajoute-t-il, est de contribuer à l’éducation financière de la clientèle. « Quand vous leur expliquerez la répartition de son portefeuille, vous verrez que votre client vous dira que c’est la première fois qu’on le lui explique. Même celui qui faisait affaire avec le courtier qui a un bureau à angle au 38e étage. »

Tous les clients fortunés veulent obtenir du rendement sur leur capital, mais sans risque, lance-t-il avec ironie. « Le client qui a fait de l’argent, c’est certain qu’il ne veut pas le perdre. Les gens sont plus prudents dans leur planification financière qu’ils ne l’étaient avant. On en voit à 4 %, 5 % ou 6 %. Si vous aviez osé faire cela en 2008, on aurait douté de votre santé mentale. »

Quand la planification financière du client est bien faite, le rendement devient secondaire, poursuit M. Saint-Pierre. « Je le dis aux clients : même si les actions américaines sont en hausse de 32 %, vous ne ferez jamais 32 % avec moi dans votre portefeuille, parce que mon objectif est de vous faire 6 %. Si je fais du 12 %, j’en vends un peu et je rééquilibre le portefeuille, et si le marché grimpe de 18 %, je vends encore. Je sais qu’un jour le marché tombera, mais je ne sais pas quand. Personne ne le sait. »

Le conseiller financier doit se présenter comme le médecin de famille qui peut confier les questions pointues au spécialiste. La firme MSP & associés intervient comme spécialiste de la gestion de portefeuille. « Quand on se met à parler de succession, de fiscalité, etc., personne ne se plaint des frais de gestion », dit-il. Les conseillers financiers ne doivent pas avoir peur de comparer leur offre de services à celle des courtiers de plein exercice, répète-t-il.

M. Saint-Pierre rappelle qu’il y aura toujours un autre conseiller qui affichera un meilleur rendement de son portefeuille, dit-il. « On gère des relations avec la clientèle. Si on se concentre seulement sur le rendement, c’est là-dessus qu’on sera jugé. Si on gère juste du rendement, les clients partent et reviennent. Ce n’est pas ce qu’on veut. On veut bâtir une clientèle fiable, fidèle, et gérer l’ensemble de leurs actifs. Pour cela, ça prend une relation privilégiée avec le client. »