Des assureurs à courtage souhaitent que les modifications qui seront apportées aux lois encadrant le secteur permettent de préciser les ambigüités actuelles.Le 40e congrès annuel du Regroupement des cabinets de courtage en assurance du Québec (RCCAQ) s’est ouvert par le traditionnel « forum des PDG », qui se déroulait à l’heure du lunch. Étaient présents Glen Bates, vice-président au Québec de RSA, Mario Cusson, de L’Unique, Sylvain Fauchon, du Groupe Promutuel, Denis Garneau, premier vice-président d’Intact Assurance au Québec, et de Martin-Éric Tremblay, vice-président principal pour le Québec et l’Atlantique chez Aviva Canada. Le débat était animé par Stéphan Bureau.
Période charnière
Le 30 avril 2013, le ministre des Finances du Québec, Nicolas Marceau, a confirmé son intention de proposer des changements législatifs et règlementaires touchant l’industrie de l’assurance. Les cinq dirigeants ont commencé le forum en exprimant leur perception du contexte actuel, où le législateur entend déposer un nouvel encadrement à l’industrie de l’assurance et à la distribution de produits et services financiers.
Glen Bates affirme que RSA est optimiste envers le développement de ses affaires au Québec, puisqu’elle a investi 150 millions de dollars (M$) en 2012 pour acquérir L’Union Canadienne. Il dit souhaiter que le législateur encadre mieux la distribution sans représentant et la vente par Internet, afin de mieux protéger le consommateur. Il encourage par ailleurs les courtiers à être plus présents sur Internet, comme le sont les assureurs directs.
Quant aux parts de marché des assureurs à courtage, M. Bates rappelle que la situation était bien pire au Royaume-Uni, où ce mode de distribution avait chuté à 34 % du marché, en 2007. Depuis 2011, le déclin a cessé et les assureurs tirent désormais 39 % de leurs revenus par l’entremise des courtiers. « Nos produits sont complexes. La fonction-conseil du courtier est essentielle et il est nécessaire de mieux la faire connaitre », dit-il.
Mario Cusson reconnait que les cabinets de courtage vivent une période charnière, tant pour le transfert vers la relève que dans la révision du modèle d’affaires requise par la concurrence avec les assureurs directs. Selon lui, à cause d’Internet, les gens requièrent moins l’expertise des courtiers au téléphone, mais font plutôt leur magasinage en ligne. Les cabinets doivent augmenter leur volume de sollicitation et faire valoir le rôle de conseiller du courtier, dit-il.
Sylvain Fauchon estime qu’il est temps de clarifier « les ambigüités et les éléments flottants » mal couverts par la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF), notamment à l’égard de la distribution sans représentant, d’Internet et du Fonds d’indemnisation des services financiers. Le chef de la direction de Promutuel demeure optimiste pour le courtage et précise que son groupe tire désormais près du quart de ses revenus, soit 24,6 %, par l’entremise des 231 courtiers avec qui il fait affaire. Il y a 15 ans, au moment de l’adoption de la loi 188, « c’était près de zéro ».
Même si Intact Corporation financière est présente en distribution directe, l’entreprise tire toujours plus de 90 % de ses revenus de 2 milliards de dollars au Québec grâce au courtage. Denis Garneau ajoute que cette proportion sera maintenue.
M. Garneau ajoute que le taux de fermeture d’une vente chez les courtiers varie de 40 à 50 %, tandis qu’il est à peine de 25 % chez les assureurs directs. « Les consommateurs ne font pas la différence entre le travail du courtier et celui d’un autre intermédiaire. Ils achètent une marque. » M. Garneau constate lui aussi que l’achalandage est insuffisant chez les courtiers et que les assureurs directs sont habiles pour promouvoir leur marque.
Quant à Martin-Éric Tremblay, arrivé chez Aviva en octobre 2012, il note qu’Internet est le moyen privilégié pour solliciter le consommateur, mais il estime que la souscription d’une police doit passer par un intermédiaire, que celui-ci soit courtier, agent ou représentant, ce que M. Tremblay regroupe dans le vocable de « conseiller ». Les produits d’assurance sont complexes et il est important que les consommateurs soient bien informés à l’égard de la couverture qu’ils achètent.
Quand cette information est lacunaire, on note des problèmes et de l’insatisfaction, comme on le constate dans le cas de l’assurance voyage, où plusieurs clients découvrent l’insuffisance de leur couverture après le sinistre, dit-il. Depuis l’irruption de Desjardins comme assureur direct, en 1988, les assureurs à courtage ont modifié leur réseau de distribution, et ont lutté en maintenant le prix des produits à un niveau assez bas. Mais ce temps est révolu, juge M. Tremblay, et il est nécessaire de faire valoir la valeur ajoutée du courtier.
Markéting
La période des échanges a permis aux dirigeants d’assureurs de préciser leur pensée. « Nous faisons concurrence à des machines qui dépensent des millions de dollars en markéting, lance Denis Garneau. Il nous faut utiliser les mêmes moyens et nous concerter tous ensemble pour augmenter l’achalandage chez les courtiers. Chez Intact, chacun de nos messages publicitaires se termine d’ailleurs par «contactez votre courtier». Tous les appels et toutes les demandes de soumission que nous recevons sont dirigés vers un courtier. »
Les cinq dirigeants ont tour à tour évoqué les sommes qu’ils investissent dans les campagnes de l’Association des courtiers d’assurance du Canada (ACAC). Chez RSA, Glen Bates parle de 500 000 $ par année. Mario Cusson précise de son côté que les assureurs font partie de la table de concertation avec le RCCAQ et que chacun d’eux contribuera à une campagne conjointe, en fonction de leurs moyens. M. Cusson insiste pour que le législateur favorise une meilleure protection du consommateur, peu importe le réseau de distribution.
« C’est bien beau d’avoir accès aux assureurs directs au téléphone, en dehors des heures normales de bureau, mais c’est à l’étape du suivi après sinistre que les courtiers peuvent se distinguer », lance un courtier au micro. Un autre a mentionné que la valeur ajoutée du courtier est notable pour des produits plus complexes, dont l’assurance commerciale.
En assurance auto, explique Martin-Éric Tremblay, les manufacturiers ont fait le maximum pour réduire le cout des produits, afin de permettre aux courtiers de faire concurrence aux assureurs directs. « Il faut arrêter de se battre contre les directs en misant sur le prix. C’est la qualité de notre service qu’il faut vendre. »
Desjardins offre depuis mai 2013 le produit Ajusto, qui permet de réduire la prime des bons conducteurs, grâce à un module électronique qui numérise les renseignements sur la conduite du véhicule. Intact a profité du congrès du RCCAQ pour lancer un produit similaire. De son côté, Glen Bates confirme l’intérêt de RSA pour le système développé par l’Association des courtiers d’assurance de l’Ontario (IBAO). Chez Aviva, le produit est déjà utilisé par la filiale au Royaume-Uni, et on attend de voir les résultats avant d’y donner suite au Canada, précise M. Tremblay. Chez Promutuel, Sylvain Fauchon note que l’assureur vient d’investir une bonne somme dans son nouveau système de tarification et qu’il se limitera dans l’immédiat à observer le marché.
Martin-Éric Tremblay souligne que le prix n’est pas le seul facteur déterminant pour les clients; sinon, tout le marché de l’automobile serait détenu par les assureurs directs, ce qui n’est pas le cas. Sylvain Fauchon note que chez Promutuel, le prix demeure le même en assurance auto, peu importe qui distribue le produit, y compris les courtiers. Cette remarque a été applaudie. Glen Bates ajoute que RSA lancera un programme d’assistance routière en janvier 2014 et a ajouté des options à son produit en automobile.
Profonde incompréhension
Martin-Éric Tremblay a accompagné le RCCAQ dans ses démarches auprès du ministère des Finances dans le dossier de la taxe de vente. Il a alors constaté une incompréhension profonde au gouvernement relativement à la fonction du courtier. Il affirme que les assureurs à courtage doivent continuer d’augmenter leur efficacité. Sinon, ils risquent de perdre des parts de marché dans les autres segments qu’ils dominent, notamment en assurance des entreprises. Il faudra offrir des produits plus standardisés et abordables, ajoute-t-il.
Denis Garneau souligne qu’Intact met actuellement au point un système de tarification qui offrira aux courtiers des produits en assurance commerciale qui seront aussi populaires que ceux en assurance des particuliers. Il mentionne que les relations entre les divers partenaires de l’industrie sont meilleures, depuis quelques années, et que la collaboration renforcée améliorera la situation des courtiers.
Sylvain Fauchon ajoute qu’en assurance commerciale, ce sont plus de 40 % des revenus de Promutuel qui viennent du courtage. Glen Bates souligne que le succès de Desjardins en assurance commerciale au Québec est pratiquement unique au Canada, et même ailleurs dans le monde.
Divulgation et transparence
À propos de la divulgation de la présence d’un assureur dans l’actionnariat d’un cabinet de courtage et de la limite du 20 % en vigueur au Québec, Glen Bates confirme que cette limitation n’existe pas ailleurs au Canada. « On respecte la règle, au Québec », dit-il. Mario Cusson dit être à l’aise avec la règle du 20 %. Sylvain Fauchon croit qu’elle pourrait être abolie. « Le courtier est un entrepreneur, et s’il a besoin d’avoir un partenaire, c’est à lui de décider. » Denis Garneau réagit à ce commentaire par une blague : « Quand Promutuel achète, c’est 100 % du cabinet. »
Martin-Éric Tremblay estime que la limite est artificielle, car tout en respectant les règles de l’Autorité des marchés financiers, on peut contourner cette barrière. Avant son arrivée chez Aviva, M. Tremblay travaillait au sein du Groupe Co-Operators. « En 13 ans, on a dû approcher 150 courtiers pour qu’ils deviennent des agents chez nous, et ils ont tous refusé. » Les assureurs à courtage n’ont pas le choix d’appuyer financièrement la relève pour assurer la pérennité du réseau de courtage, dit-il, car les banques ont déserté le secteur. Il en coute de plus en plus cher pour acheter un cabinet parce que les assureurs directs font monter les enchères, ajoute-t-il.