Déclarés responsables de l’aggravation d’un risque, qui a fait en sorte que l’assureur a réduit considérablement une indemnité, le cabinet Rivard Assurances générales et une ex-courtière devront payer plus de 171 000 $ à deux clients de Rouyn-Noranda dont le duplex a été détruit par les flammes en 2019, vient de trancher la Cour supérieure du Québec.
Au printemps 2018, alors qu’ils formaient un couple, Michelle Jolicœur et Richard Bernatchez ont contracté, par l’entremise de Rivard Assurances et de sa courtière Katy Savard, une assurance habitation pour le duplex qu’ils possédaient dans le rang A de Rouyn-Noranda. Le montant de l’assurance souscrit auprès de L’Unique Assurances générales était de 497 700 $.
Des suites de l’incendie qui a ravagé leur duplex, le 31 juillet 2019, Mme Jolicœur et M. Bernatchez ont reçu une indemnité amputée de 44 %, soit de 171 463 $. Raison invoquée par l’assureur : le duplex n’était pas situé à moins de 8 km d’une caserne de pompiers, tel que l’indiquait le contrat d’assurance, mais plutôt à 12,1 km. Cette distance, si elle avait été indiquée au moment de la souscription, aurait représenté pour les assurés une prime de 44 % plus élevée à verser à L’Unique.
En Cour supérieure, lors de l’audition qui a eu lieu en février 2023, Mme Jolicœur et M. Bernatchez réclamaient donc la somme de 171 463 $ à la courtière et au cabinet, estimant que l’erreur quant à la distance indiquée entre leur duplex et la caserne de pompiers leur était attribuable.
Évaluée en minutes
Le 30 mai 2018, les demandeurs se présentent chez Rivard Assurances, à Rouyn-Noranda, afin de faire assurer leur nouvelle résidence du chemin de la Croix ainsi que leur duplex du rang A, jusqu’alors assurés par Promutuel. Katy Savard, qui débute dans le domaine de l’assurance des particuliers, les accueille. Face à la cour, Mme Savard dit n’avoir aucun souvenir de cette rencontre, mais nie que Mme Jolicœur y assiste.
En présence des clients, Mme Savard procède, à l’ordinateur, à une demande de souscription auprès de L’Unique pour chacun des immeubles, duplex et résidence du chemin de la Croix. Des questions sont posées, des réponses sont données via le logiciel de souscription de L’Unique.
À la question posée par la courtière concernant la distance qui sépare le duplex de la caserne de pompiers, le demandeur Bernatchez affirme avoir répondu « 30 minutes ». Sa conjointe évalue cette distance à « 20 minutes ». Les demandeurs sont catégoriques devant le juge Robert Dufresne : ils répondent toujours en temps de déplacement lorsqu’il s’agit d’évaluer une distance. Mais le logiciel de souscription impose à la courtière de choisir entre les réponses « moins de 8 km » et « 8 km et plus ».
Donnent-ils d’autres réponses que celles formulées en durée de trajet ? Les demandeurs disent que non. Katy Savard affirme pour sa part qu’il est impossible qu’elle ait pu indiquer au formulaire de souscription « moins de 8 km » si le demandeur Bernatchez lui a répondu « environ 30 minutes ». Katy Savard affirme ne pas savoir à l’époque où se situe le rang A, ayant été à l’extérieur de Rouyn-Noranda pendant des années. Les mêmes réponses, formulées en durée de trajet, ont été données par les demandeurs au sujet de la résidence du chemin de la Croix.
Le demandeur Bernatchez prend possession de la police d’assurance le 1er juin 2018. Dans l’année qui suit, il fait apporter à quelques reprises des modifications à la police d’assurance. Sa conjointe et lui reçoivent chaque fois un nouveau contrat qui indique que la distance séparant le duplex de la caserne des pompiers est de moins de 8 km.
Les demandeurs affirment au tribunal ne rien connaître du domaine des assurances. Mme Jolicœur, qui est préposée aux bénéficiaires, souligne avoir une formation équivalant à un niveau de première secondaire. M. Bernatchez dit avoir toujours laissé ses partenaires d’affaires s’occuper des assurances, notamment celles relatives au restaurant dont il est copropriétaire.
Quelques autres manquements possibles
Les demandeurs soutiennent également devant le juge que, le 30 mai 2018, ils ont indiqué à la courtière le nom de leur créancier hypothécaire pour les deux propriétés à assurer, document à l’appui, soit la police émise par Promutuel. Le nom du créancier ne figure toutefois pas à la police d’assurance couvrant le duplex. Katy Savard nie qu’on lui ait montré ce document.
Les demandeurs disent également avoir demandé une couverture de la valeur locative du duplex, comme ils en détenaient une via leur assurance avec Promutuel. La police émise par L’Unique n’en fait pas mention, ce qu’ils ne réaliseront qu’au lendemain de l’incendie. Toutefois, deux mois après le sinistre, le propriétaire de Rivard Assurances verse la somme de 15 000 $ aux demandeurs pour couvrir les pertes locatives non assurées. Il dit avoir agi ainsi pour des motifs humanitaires et des considérations d’affaires, car M. Bernatchez est copropriétaire d’un commerce du centre-ville de Rouyn-Noranda.
L’analyse du juge
Les demandeurs ont-ils failli à leur obligation de déclarer toutes les circonstances connues d’eux en regard de la distance ? Non, conclut le tribunal, qui juge crédible le témoignage des demandeurs, notamment en ce qui concerne leur façon de répondre à la question de la distance séparant le duplex du poste de pompiers.
La preuve circonstancielle convainc le tribunal que Mme Savard est responsable de la réponse transmise à l’assureur. La courtière a agi « par négligence ou par erreur » en choisissant dans le menu défilant du logiciel de souscription « moins de 8 km » au lieu de « plus de 8 km ».
De plus, Mme Savard n’aurait pas été en mesure de réaliser son erreur, car la demande de souscription, une fois validée par L’Unique, comportait la mention « Ok vu Google ». Pour l’assureur, cela consiste en une validation de l’apparence de la propriété en lien avec le montant de couverture demandé, alors que Mme Savard a pu croire que c’était la localisation de l’immeuble qui était alors validée.
En réponse aux défenderesses qui arguent qu’il appartenait aux demandeurs de s’assurer que la police émise était conforme aux faits qu’ils sont tenus de déclarer, et qu’en ce sens ils ont commis une erreur en ne constatant pas que la distance indiquée était erronée, le juge écarte ce reproche. Il estime que les demandeurs n’ont commis aucune faute.
« C’est librement que Rivard Assurances accepte les demandeurs à titre de nouveaux clients, conclut le juge Dufresne. Le devoir professionnel qui s’impose alors est de les conseiller et de les assister dans leurs démarches. Rivard Assurances […] ne peut maintenant reprocher aux demandeurs, profanes, de ne pas avoir vu et corrigé l’erreur de Mme Katy Savard. Rivard Assurances doit être tenue responsable de la faute de son employée. »
Il ordonne donc à Rivard Assurances et à Katy Savard de payer la somme de 171 463 $ aux demandeurs, à laquelle s’ajoutent les intérêts et les frais de justice.
Contactée par le Portail de l’assurance, l’avocate Alice Boivinet confirme que les défenderesses qu’elle représentait n’ont pas l’intention de faire appel du jugement rendu le 2 mai dernier. Katy Savard a quitté la profession de courtière en assurance de dommages en mars 2020.