Après celle du courtier Louis Cyr, annoncée le 7 mai dernier, une autre membre du conseil d’administration de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) a remis sa démission. Suzie Godmer, représentante des experts en sinistre, désire ainsi protester à l’égard des changements récemment apportés à la Loi sur la distribution de produits et services financiers.
Selon elle, les changements apportés sur la question de l’utilisation élargie des personnes surnuméraires et leur supervision par des experts certifiés ne sont pas une bonne nouvelle en matière de protection du public.
Mme Godmer, vice-présidente et associée du cabinet Authentik, a annoncé sa décision en publiant un avis de démission sur le réseau LinkedIn.
En entrevue avec le Portail de l’assurance, elle confirme que sa démission du conseil d’administration de la Chambre lui permet de retrouver son droit de parole.
« Comme Louis Cyr le disait, en étant membre du conseil de la Chambre, j’ai un certain devoir de réserve. Je ne peux m’exprimer publiquement comme je le souhaite », dit-elle.
« Ma démission n’a rien à voir avec le fait que la Chambre n’a pas fait son travail ou que je n’étais pas à l’aise au sein du conseil. Ça n’a aucun rapport. Je veux juste reprendre ma liberté d’expression », poursuit-elle.
Les nouveaux champs
Comme le précisait le mémoire de la Chambre sur le projet de loi 30, les surnuméraires pouvaient agir pour des dossiers simples comme un bris de pare-brise ou des dossiers liés à la convention d’indemnisation directe en assurance automobile.
Lors de notre entretien, elle rappelle que les surnuméraires pourront désormais intervenir dans des dossiers plus complexes que ce que l’on voyait auparavant, notamment pour des sinistres en assurance habitation pour des montants inférieurs à 5 000 $.
Dans son avis de démission publié sur les réseaux sociaux, Mme Godmer indique : « Le ministre prétend avoir “amélioré” la loi en permettant à toute personne non certifiée de régler un sinistre de moins de 5 000 $. »
« Or, pour les professionnels du domaine, il est évident que la complexité d’un dossier ne se mesure pas uniquement à l’importance du montant en jeu », poursuit Mme Godmer.
« On va plus loin qu’un bris de vitre ou de la tôle froissée. On vient d’ouvrir la porte pour que des non-certifiés règlent des dossiers dans d’autres catégories », dit-elle.
Les cabinets indépendants chargés de l’expertise en sinistre n’interviennent à peu près jamais pour régler des sinistres de moindre importance. « Les réclamations en bas de 5 000 $, on n’en fait pas tant que ça », reconnaît-elle. En conséquence, sa sortie publique ne vise même pas l’activité principale des cabinets indépendants.
Protection du public
« Pour moi, que la réclamation soit de 2 000 $, de 5 000 $ ou de 100 000 $, ça prend une personne certifiée pour accompagner le public. Le commun des mortels ne comprend pas toujours sa police d’assurance », dit-elle.
« Ça prend un professionnel certifié qui a étudié les contrats d’assurance, qui a de l’expérience, pour expliquer leurs droits aux assurés, ce qu’ils doivent faire pour mitiger leurs dommages, les garanties, les exclusions, les avenants, les limites, etc. », insiste-t-elle.
Une fois qu’on ouvre la porte aux surnuméraires non certifiés, rien ne dit que la limite du montant ne sera pas augmentée dans le futur. « J’ai un peu de misère avec ça. J’ai 30 ans d’expérience, j’ai mon diplôme P.A.A.*, je fais de la formation continue obligatoire. Les experts en sinistre ont un code de déontologie. Tout cela a été mis en place pour protéger le public. Si on enlève ces obligations, c’est un non-sens », ajoute Suzie Godmer.
Les députés membres de la commission des finances publiques qui ont étudié le projet de loi 30 ont plusieurs fois cité le mémoire de la Chambre. Les obligations des superviseurs de ces surnuméraires étaient l’objet de plusieurs recommandations.
« Les discussions sur la formation des superviseurs devront se faire avec la Chambre et avec l’Autorité des marchés financiers. Le ministère des Finances et l’Autorité doivent comprendre la réalité du terrain avant d’élargir ainsi la portée d’une loi », dit-elle.
Dévalorisation
Le recours à des surnuméraires non certifiés « diminue l’importance de nos études et efforts pour obtenir notre certification », ce qui est une source de « grande déception », écrit-elle dans son avis de démission.
Selon elle, la profession d’expert en sinistre n’est pas assez valorisée. « Pour faire ce métier, j’ai toujours dit qu’il faut être passionné et un peu fou. On doit apprendre tellement de choses dans un paquet de domaines. Il faut être curieux, lire beaucoup pour comprendre et interpréter les polices », explique-t-elle.
« J’ai donc de la misère à concevoir qu’une personne non certifiée sera capable de régler de nouveaux dossiers même en bas de 5 000 $ », note Mme Godmer.
Parfois, le dossier mal réglé peut coûter plus cher. « Qui va décider à quel moment le dossier change de main ? En période de pointe, est-ce que ça va vraiment se faire de passer le dossier à un expert certifié ? », souligne-t-elle.
En conséquence, Suzie Godmer estime que tous les experts en sinistre doivent se réunir, peu importe leur employeur, pour signifier leur désaccord avec les changements apportés concernant le recours aux surnuméraires.
Adoption
Le projet de loi 30 a été adopté le 8 mai dernier à l’Assemblée nationale et il a été sanctionné dès le lendemain.
Lors du court débat sur la motion proposant l’adoption, la députée libérale de D’Arcy-McGee, Élisabeth Prass, disait ceci à propos du recours aux surnuméraires : « Ce qui est important, c’est de s’assurer que l’ensemble des personnes assurées reçoivent des services de qualité. Il est donc important pour nous de s’assurer que cette pratique d’avoir recours à des surnuméraires pour faire des expertises en sinistre ne vient pas léser les clients et ne viendra pas complexifier davantage les processus administratifs auxquels doivent se plier les Québécois. »
En commission parlementaire, son collègue de Marguerite-Bourgeoys, Frédéric Beauchemin, avait suggéré au ministère des Finances de collecter des données afin de mesurer l’impact de ce changement sur les réclamations d’assurance. La réaction des représentants du ministère a été décevante à cet égard, ajoute Mme Prass.
* Professionnel d’assurance agréé