Lors du Congrès de l’assurance de personnes 2023 le 14 novembre 2023, la table ronde Un regard sur l’avenir ! Qu’est-ce qui marquera la profession au cours des prochaines années ? a convié quatre dirigeants d’assurance à répondre à cette question d’ouverture.

Serge Therrien

Les quatre ont souligné l’impact du numérique et de l’intelligence artificielle sur la profession d’assurance de personnes. L’industrie aura toutefois bien d’autres soucis à dissiper. Modérateur de la table ronde, Serge Therrien, président et éditeur des Éditions du Journal de l’assurance inc., a récemment soulevé que l’avenir de l’assurance de personnes individuelle risque d’être ombragé d’ici 2030.

Dans son texte paru sur le Portail de l’assurance le 9 janvier 2024, M. Therrien a insisté sur deux ombres qui figurent au tableau de l’industrie depuis plusieurs années : 

  • Elle vend de moins en moins de polices d’assurance vie individuelles : 600 000 en 2022 contre 700 000 en 2010.
  • Recruter de nouveaux conseillers et les retenir relève de l’exploit : 3 recrues sur 4 ont quitté avant leur cinquième année dans la profession. Les deux statistiques sont de LIMRA, association de recherche de l’industrie. 

Lors de la table ronde, M. Therrien a lancé une question teintée par ces deux enjeux : d’où viendra la croissance dans l’industrie dans les 10 prochaines années ? 

La diversité comme levier 

Je crois profondément à la diversité comme levier pour atteindre d’autres types de clients qui ont d’autres genres de besoins — Chantal Gagné 

Selon Chantal Gagné, l’industrie pourra rejoindre plus de clients si elle diversifie son réseau de distribution. « Très souvent, je me retrouve dans des galas de ventes des 20 ou 50 top conseillers de certains réseaux, où il y a parfois une femme, parfois aucune », déplore la vice-présidente principale, assurance de personnes de Mouvement Desjardins

« Je crois profondément à la diversité comme levier pour atteindre d’autres types de clients qui ont d’autres genres de besoins, et qui ont le goût d’interagir différemment avec une conseillère ou un conseiller », lance Mme Gagné.

Chantal Gagné estime crucial que le conseiller devienne un spécialiste des besoins d’une clientèle ciblée. « Je crois qu’un conseiller doit se focaliser sur un segment de clients pour devenir un expert dans la compréhension des besoins et de la réalité de ce type de clients. Et non un expert d’un produit », dit-elle. 

La population canadienne augmente très rapidement. Quelle est la diversité de votre équipe pour aller rejoindre ces gens ? — Mathieu Charest

Pour Mathieu Charest, les changements démographiques seront la plus importante évolution à venir. Le chef des produits et de la tarification d’assurance individuelle de Manuvie cite l’immigration massive survenue au Canada dans les dernières années. « Le réflexe est d’aller voir les gens qu’on connaît, les amis et les amis des amis. Nous sommes une industrie de bouche à oreille. La population canadienne augmente très rapidement. Quelle est la diversité de votre équipe pour aller rejoindre ces gens ? », questionne-t-il. 

Orphelins et références 

Christian Mercier

Président-directeur général d’UV Assurance, Christian Mercier croit que le départ d’une première cohorte de conseillers qui ont connu du succès dans les dernières années laissera des clients orphelins dans son sillage. « Les clients orphelins sont une source de croissance importante. Il faut se pencher sur cette réalité qui va s’accentuer de façon significative dans les 10 prochaines années », dit-il. 

M. Mercier a lancé une question à son auditoire : « À quelle fréquence contactez-vous vos clients ? Je ne parle pas d’envoyer un article des tendances sur le marché ou celui d’un économiste. Soyez en interaction avec eux à une fréquence régulière. Un client déjà fidèle a sûrement des besoins qui évoluent plus rapidement que ce qu’on a déjà connu, axés sur les différentes étapes de sa vie », soutient le PDG d’UV Assurance. 

Vice-président principal, distribution, d’iA Groupe financier, Pierre Vincent pense que la proximité avec le client est un axe de croissance important parce qu’il permet au conseiller d’avoir plus de produits avec lui. M. Vincent explique que ce client devient alors un centre d’influence. « Il s’agit de trouver ce client idéal et de lui demander des références », ajoute Pierre Vincent. 

Réviser le portefeuille 

Pierre Vincent

Lors des échanges avec les quatre panélistes, Serge Therrien a abordé avec eux un sondage sur les pratiques de développement des affaires réalisé par les Éditions du Journal de l’assurance inc. dans la foulée du Canada Sales Congress de 2021. Plus de 800 conseillers y ont participé. Appelés à identifier leur principale source de nouveaux prospects (ou nouvelles ventes), à peine 8 % ont désigné la révision du portefeuille des clients (policy reviews). 

M. Therrien a demandé aux panélistes si ce résultat est une anomalie. Pierre Vincent a répondu par une blague connue dans l’industrie qui a provoqué l’hilarité générale : « La meilleure manière de ne pas revoir un courtier d’assurance est de lui acheter une police ! » Plus sérieusement, M. Vincent s’est demandé combien de fois par année un conseiller qui a 1 500 ou 2000 clients peut rencontrer chacun d’eux. 

Retourner voir les clients, c’est une mine d’or — Pierre Vincent 

M. Vincent relate le cas d’un nouveau conseiller d’iA qui a vendu une police à un client qui n’avait vu aucun conseiller depuis huit ans. « Ce client a acheté 7 produits pendant ce temps-là, mais pas avec nous. Retourner voir les clients, c’est une mine d’or », soutient le vice-président principal, distribution, d’iA.

Revoir une fois l’an 

« Bien travailler avec les clients passe par des revues périodiques », ajoute Pierre Vincent. Il mentionne les directives que donne la Chambre de la sécurité financière sur son site, quant à la fréquence à laquelle le conseiller devrait mettre à jour la connaissance de son client.

La Chambre dit que le conseiller en fonds communs devra s’assurer de revoir les informations liées à son obligation de bien connaître son client au minimum tous les 36 mois. Il devra le faire plus tôt s’il y a des opérations dans le compte, ajoute-t-elle. « Une mise à jour annuelle constitue toutefois une bonne pratique puisque la vie du client peut avoir passablement changé en un an », écrit l’organisme d’autoréglementation. 

« En assurance, bien que la loi ne prévoie pas de fréquence à laquelle le dossier d’un client doit être mis à jour par le conseiller et que les besoins de suivi puissent varier d’un client à l’autre, l’effectuer sur une base annuelle constitue une bonne pratique », ajoute la Chambre.  

Pierre Vincent estime qu’il s’agit d’une très bonne approche afin de bien servir les clients. « Autrement, des conseillers ont une bombe à retardement. Des actions qui n’ont pas été prises vont revenir contre eux et ça leur prendra beaucoup de temps s’il y a des plaintes », dit-il. 

Un rappel qui scelle la relation 

Chantal Gagné

Chantal Gagné relate qu’au niveau du réseau carrière de Desjardins, les conseillers en sécurité financière s’occupaient auparavant des références qu’ils recevaient des Caisses, en plus de gérer leurs affaires en vigueur. « Tellement d’énergie est mise sur les nouvelles ventes que les clients en vigueur en écopent », constate alors Mme Gagné.

En janvier 2023, Desjardins crée une équipe dédiée à faire la gestion de la clientèle en vigueur : « C’est un mégasuccès de rappeler les clients pour leur parler de leurs besoins », lance Chantal Gagné. Elle explique que ces clients ont « plein de besoins », par exemple celui de transformer leur assurance temporaire en assurance permanente ou de rajouter des fonds dans leur assurance vie universelle pour qu’elle ne tombe pas en déchéance.

Au-delà de la croissance, rappeler les clients est gage d’une bonne expérience client, croit Chantal Gagné. « Ils sont contents qu’on les rappelle, et rassurés qu’on fasse le tour de leurs besoins. C’est un levier pour souder la relation », constate-t-elle. 

Des produits à améliorer 

Les produits qu’on offre n’ont pas nécessairement un design optimal et idéal pour le consommateur — Mathieu Charest 

Les produits d’assurance que nous connaissons aujourd’hui seront-ils les mêmes dans 10 ans ? a demandé Serge Therrien. À Manuvie, Mathieu Charest pense que des facteurs comme les changements climatiques et les changements comptables, « qui arrivent chaque deux minutes », influenceront leur avenir.

Il poursuit sa réponse par une question : offrons-nous aujourd’hui les produits que nous voudrions offrir ?

Mathieu Charest

« Les produits qu’on offre n’ont pas nécessairement un design optimal et idéal pour le consommateur. Parfois, nous avons des contraintes au niveau de la vente et des chiffres comptables. Elles font que le risque est trop élevé et qu’il y a certains produits que nous ne pouvons pas offrir », explique l’actuaire.

M. Charest ajoute que l’avenir tendra vers des produits dans lesquels les risques sont partagés entre l’assureur et l’assuré. Les garanties à long terme deviendront selon lui moins populaires. 

Répondre aux besoins 

Pierre Vincent ne croit pas que les produits vivront une grande révolution dans les prochaines années. C’est le taux de pénétration des produits actuel qui devra changer. « Nous sommes rendus 40 millions de Canadiens et à peu près 1,2 million de polices d’assurance vie de prestations du vivant, invalidité et maladies graves. Quand on regarde le taux de pénétration, il y a un besoin énorme. Le secret pour que cela fonctionne, c’est d’en parler au client », dit-il.

Selon M. Vincent, il faut simplifier l’offre davantage et voir à ce que client sache ce qu’il achète et pourquoi. « Ce n’est pas parce que le produit est complexe qu’on doit le présenter de manière complexe », ajoute-t-il. Il mentionne au détour qu’il ne faut pas manquer le bateau des produits de retraite des assureurs, qui permettent aux clients de se protéger du risque de longévité. 

La profession a besoin d’un électrochoc 

Selon Christian Mercier, il y a évidemment une tranche de la population qui est laissée pour compte. « Nous nous sommes positionnés et nous sommes lancés dans la classe moyenne québécoise et canadienne. Il y a un déficit à ce niveau. La réponse est excellente. Certains diront que c’est plus de travail parce que ce sont de petites polices, mais c’est une classe de la population qui a besoin de services et de conseils financiers », dit-il. 

Je ne suis plus dans l’assurance. Maintenant je change des vies ! Christian Mercier 

À cela s’ajoute selon lui le défi de l’éducation financière, qu’il qualifie de déficiente, et aussi de faire connaître la profession. « Notre industrie aurait besoin d’un électrochoc. Lorsque je suis arrivé en assurance il y a 7 ans, les gens me demandaient : que fais-tu ? Je réponds : je suis rendu dans l’assurance. Avant, j’étais dans l’armée et je sautais en bas des hélicoptères, c’était moins captivant », plaisante-t-il. Plus tard, on lui demande s’il était encore dans l’assurance. Il répond : « Je ne suis plus dans l’assurance. Maintenant je change des vies ! Changer votre façon de travailler sur le terrain. C’est juste une question de perspective. Lorsque je dis cela aux gens, ça marche ! » 

Vers les healthechs 

Chantal Gagné ne voit pas nécessairement une révolution dans les produits, mais plutôt dans l’offre globale de produits et de services. « Le plus grand besoin des clients est d’avoir accès à des soins de santé. C’est un défi au Canada, aux États-Unis et partout ailleurs », estime-t-elle.

Mme Gagné observe que l’assurance collective offre des services de santé et mieux-être, mais qu’on voit moins cette offre en assurance individuelle. Elle observe toutefois une tendance mondiale : « Après les assurtechs, on voit apparaître les healthtechs. » 

Chantal Gagné souligne entre autres l’apparition sur le marché d’un stylo avec lequel on ausculte l’oreille de l’enfant pour détecter s’il a une otite. Un bracelet destiné à la santé de la femme en ménopause devient glacé lors d’une bouffée de chaleur, et en neutralise ainsi le signal au cerveau. Selon elle, les assureurs peuvent être de bons partenaires dans cette offre. 

Industrie hyper conservatrice 

« Nous sommes dans une industrie hyper conservatrice. Il n’y aura pas de révolution de produits. Ce qui changera, c’est la technologie et son apport pour faciliter la distribution, et la complémentarité avec ce que mentionnait Chantal précédemment. Le Nouveau-Brunswick teste actuellement un système d’ambulance qui permet de diagnostiquer 70 problèmes de santé par reconnaissance faciale », relate pour sa part Christian Mercier. 

« Ce qui changera aussi, c’est notre façon de gérer le risque et de développer des produits. Mais un produit T10 (assurance temporaire 10 ans) restera un produit T10 », lance le PDG d’UV Assurance.